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ROMANS DES DOUZE PAIRS
DE FRANCE.
N° III.
Cet ouvrage csl tiré à quatre cents exemplaires,
papier de Hollande, et vingt papier vlin.
N'
PARIS. — IMPB. DE FIRMIN DIDOT FREREi,
Rue Jacob, ii° 24.
LI
ROMANS DE GARIN
LE LOHERAIN,
PUBLIÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS ET PRÉcÉdÉ
DE l'examen du système de m. FAURIEL
SLR LES ROMANS CARLOVINGIENS.
PAR AI. P. PARIS.
PARIS.
TECHENER , PLACE DU LODVBE , N" 12.
1835.
'*'»*K.fO
/ 735
LI ROMANS
GARI?^ LE LOHERAIN.
[Suite du XXIh couplet.)
jtijDONT parla l'aicevesques Henris*
fâ^6^Q»i de Rains dut la croce maintenir:
fg^ . Drois empereres, que est-ce que tu dis?
« Se Garins la, France verras honnir;
« Jamais Fromons ne te voura servir
' Nous avons déjà vu figurer l'archevêque de Reims
dans la première chanson. En comparant les récils du
Garin avec ceux de Flodoard, on retrouve dans Henri
le souvenir d'Heriveus ou Hervé, qui succéda à Foul-
ques en 900 et finit , après avoir été le conseiller de
Charles -le -Simple, par se joindre à ses ennemis. Flo-
doard , tout en montrant pour Heriveus une partialité
fondée sur les bienfaits qu'il en avait reçus, le pré-
sente comme : « Largus solator religiosorum.... pater
« cleri atque populi fjiiis palrouus... amator ecclesiarum
II. I
2 LI ROMANS DE
« Né ses parages né tuit si bon ami '.
« Jamais la guerre nul jor ne penra fin. >•
— « Qu'en ferai donc? » li rois Pépins a dit.
— « Se la prenez, » li arcevesques dit,
a Partant ferez la guerre départir;
« Vous estes jones et la dame autresi,
n Plus hautement ne povez vous choisir,
« Né mains de terre n'a-elle pas de ti. »
Et dist li rois : « Merveilles puis oïr!
« Vous m'enseignez ma fiance à mentir. >^
— « Non fais voir, sire; car je me sui garnis ' :
«Dei, et fortissimus ovilis sibi commissi cum Dei virtiite
« deffensor.» Suivant le même Flodoard, quand les Wandies
ou Hongres envahirent la Lorraine, Heriveus avait été le
seul vassal du roi qui ne lui refusât pas assistance, et nul
prélat n'avait fait rendre à l'église autant de terres et de
privilèges usurpés antérieurement par les seigneurs laïcs.
De tout cela, ue concluons pas que les récils du Garin sont
fondés sur l'histoire du x* siècle, mais seulement que les
allusions nombreuses aux événements de cette époque
accusent assez bien la date du poème.
» Né luit si bon ami. Variante du msc. St.-Germ. 2041 :
né son mervillous lin.
ï Je me sui garnis, etc., j'ai pris mes précautions ; j'ai eu
soin de faire constater par deux hommes la pareuté qui
unit Garia et Biancheflor.
GARIN LE LOHERAIN.
'< Deus moines ai porchaciés et perquis
« Qui jureront qu'ambedui sunt d'un lin '.
'< Demain seront dessevré et parti. »
Dist l'empereres : « Dont l'irai-je véir'' ;
« S'ele me siet si m'aura à mari. »
Maintenant monte, n'i ot nul respit prins,
Dusqu'à l'ostel ne prennent onques fin.
A Blancheflor fu la nouvele dit
Que ci venoit l'empereres Pépins;
Et la pucelle en une chambre vint
Et vest un drap, nuns si riche ne vit.
Fors de la chambre contre le roi issit:
Li empereres entre ses bras la print:
— « Ma damoiselle, bien puissiez-vous venir! »
— 'c Sire, » dist-elle, « la vostre grant merci! »
En une chambre sunt maintenant assis ^:
Il li regarde et le cors et le vis *,
< Lin, ligne, lignée.
» Dont, donc. Je ne crois pas que cette dernière ortho-
graphe soit antérieure au .wt*^ siècle. De même adont,
pour adonc.
5 En une chambre. Variante du msc. St.-Germ. ao4i :
En une coache,
4 Et le cors et le vis. Variante :
Et la bouche elle vig.
/, LI ROMANS DE
Et ncs et bras , le menton et le pis;
Les niammelcttes il vit amont sallir '
Que li soslievent le peliçon hermin '.
Se il ne l'a, molt se prise petit :
Embrasés est de s'amor et sosprins.
En son palais arriéres s'en revint,
Icelle nuit ne put onques dormir.
Matines sonnent : li arcevescjues vint ^.
Li rois le voit , si l'a à raison mis :
— « Sire, » dist-il, » ne vous en quier mentir,
« Je ai véu Blancheflor au cler vis ,
« Si m'ait Diex, je en sui si sosprins ,
'< Je la penroie vollentiers , non envis.
' Amont sallir, s'élever en hauleur; pour à mont,
comme aval pour à val, d'où avaler.
2 Que li soslievent, etc.; parce qu'elles soulèvent sou
pelisson d'hermine.
^Le président La Mare a mis en note, sur son manuscrit;
<• Cela prouve que l'archevesque se levoit et venoit à ma-
tiues. » (Msc. 7628. ^.) J'ajouterai : non seulement les
archevêques, mais aussi les barons et les rois. C'est, dans
nos chansons de Geste , un reproche fréquemment adressé
aux personnages odieux , de n'avoir en souci ni dévotes orai-
sons, ni matines ; et dans le beau roman à'Auberi le Bour-
going, ce héros, victime d'une méprise, est assassiné
comme il entendait pieusement les matines à Saint-Denis.
GARIN LE LOHERATN.
« Ains de mes ieiis plus belle riens ne vis.
« Or pourchassiez ce que vous m'avez dit. «
Dist l'arcevesques : » Por Dieu, j'en sni garnis.
" Ce sunt deus moine, chenu sunt et flori ',
< Le parenté jurront sans contredit. »
Li jors apert et li aube esclarcit :
Les messes sonnent tôt contreval Paris;
A Saint-Magloire la pucelle s'en vinf.
» Chenu sunt, ils sont blanchis par les années , comme
il convient à des témoins d'alliance on de parenté. I.'àge
ponvait en effet leur donner connaissance des faits onbliés
par les plus jeunes.
2 A Saint-Magloire. "Voici un nouveau moyen de re-
trouver la date du poëme. Saint Magloire donna son nom à
la chapelle royale, de i;75à ii38. Sous le règne de Lothaire,
l'évéque d'Aletz étant venu déposer à Paris les reliques
bretouoes des saints Magloire, Samson et Maclou, Lo-
tbaire recueillit ces objets sacrés dans la chapelle de son
palais qui s'appela, dès ce moment, Saint-Magloire;
mais elle reprit le nom de Chapelle Saint-Barthélémy,
sous le régne de Louis VU, en ii3S. Ainsi on doit pla-
cer la composition de Garin entre la fin du x*" et le com-
meucenient du xu"" siècle; car le poète, écrivant pour le
peuple, n'aurait pas désigné sous un nom inusité le monu-
ment sur lequel il appelait l'attention.
Saint-Bartbélemy, dépouillé par l'érection de la Sainte-
Chapelle des prérogatives de chapelle royale, subsista toute-
fois jusqu'en 1792 , cette grande année climalérique de la
6 LI ROMANS DE
Et Bauduins se leva par matin,
Li quens Fromons et Bcrnars de Naisil ;
En lor compaigne chevaliers trente sis.
Le palais montent: d'une part se snnl mis '
Por les nouvelles et enqnerre et oïr.
Atant ez-vous Blancheflor au cler vis,
Ensemble o lui de chevaliers bien vint.
Bernars la voit, au conte Fromont dist :
« Vez la pucelle dont tant niaus sunt partis,
'< Dont nos avons perdu nos bons amis.
« Car la donnons dant Isoré le gris
« Ou mon neveu Guillaume de Monclin.
« Se la tenoie , par mon chief, à ]Naisil ,
n Je laisseroie Hellsent, je vos di,
« La damoiselle coucheroie avec mi.
France. Elle était située en face du Palais de Justice. L'é-
glise n'était pas belle; mais la menuiserie dorée du chœur,
plusieurs tableaux, le tombeau de Claude Clerselier, Pé-
pitaphe de l'avocat géuéral Louis Servin, enfin les deux
belles statues de saint Barlbelemy et sainte Catherine, pla-
cées devant les portes; tout cela aurait mérité grâce dans
un tout autre temps. On fil tomber l'église qui, rebâtie
au XI v*^ siècle, avait encore clé restaurée en 1778. A la
place, ou construisit une salle de spectacle. Hilarilatipu-
bl'tcœ. Ce fut le théâtre delà C;ilé, que les acteurs aban-
donnèrent bientôt à défaut de public. C'est aujourd'hui
la salle du Prado.
I D'une part, à part, à l'écart.
GARIN LE LOHERAIN.
n Prenez-Ià, niés, s'aiirons tôt assouvi '. «
Et dist Fromons : « Sire, por dieu merci ,
« Por guerroier ne sui pas venus ci,
'< Mais por pais faire, se Diex l'a consenti.
« De guerroier ne vi onques joïr. »
— «Voir, » dist Bernars, « aine ne ni'apartenis,
'< Mauvais couars ! com estes assouplis ! »
Atant cz-vous le Lohérenc Garin,
Begon son frère et l'Allcmant Ouri,
Girart dou Liège , le Borgoin Auberi
Et bien soissante de chevaliers de pris.
Tout le linage au Lohérenc Garin.
Fromons les voit, an conte Bernart dit :
'( Par Dieu ! biaus oncles, or vos tiens à hardi,
« Se vous alez la pucelle saisir. »
Et dist Bernars : « Tost m'en avez requis ;
i II n'est pas leus, ore, ce m'est avis. »
Nostre empereres va la dame saisir,
De jouste lui la pucelle s'assit;
Puis apella Froraont le poestis
Et son linage et ses riches amins :
— « Car faites pais au duc, je vos en pri;
« En droit de moi ce que avez mesprins,
• Prenez-là, etc., c'est-à-dire : Mou neveu, prenez-la
pour notre famille; ainsi nous terminerons tout.
8 LI ROMANS DE
« Je le mettrai , s'il vous plaît, en respil ',
'■ Que moult désire la pais au duc Garin. »
Et dist Fromons : « Je ferai vo plaisir;
'< Contre vous, sire, ne nous devons tenir. »
Et dist li rois : « Or, avez-vous bien dit :
'< N'i perdrez rien, se longuement je vis. »
Là véissiez ces bons homes venir.
Et arcevesques et abbés benéis
Qui la pais quièrent, bien furent quatre mil ";
Li rois parole, qui moult bien fut ois,
Garin apele, bêlement li a dit :
— « Prenez vo famé, li miens très dous amis,
« Car au mangier vous vourois-je servir. »
Li dus respont : « Sire, vostre merci! »
Li rois li donne et il la recoilli.
Adont parla l'arcevesques Henris :
— " Or escoulez, li grant et li petit!
' En respit, en pardon, je le tiendrai pour excusé.
' Variantes :
Là \éissiés tôt le clergié venir
Et arcevesques , etc.
(Msc. 7628. 2.)
Dont vélssiés ches boins sigiieurs venir
elles arcevesques et vesques plus de mil
La pais requièrent, si l'ont fait Uiea merci.
(Msc.9654. 3.A.)
GARIN LE LOHERAIN.
rt Vez-ci de Mcz le Lohcrenc Garin
« Qui prent à feme la fille au roi Thieri
« De Moriane, Blancheflor au clcr vis;
« Qui rien i set, por Dieu, die-le ci,
« Ou se ce non, jamais n'en icrt oïs,
« Ains l'entredi et si l'escoméni '. »
Dont saut uns moines qui le poil ot flori :
— « Entendez-moi, franc chevalier gentil !
« Gis mariages que je voi establis
" Il n'est pas drois né ne doit avenir :
« Hervis de Mez, qui fu pères Garin,
« Après-germains fu-il au roi Thieri %
« Il et Girars qui le Rossillon tint;
« Si li est près que ne la puet tenir'
« Né espouser né coucher en son lit. »
' Ou se ce non, etc. , c'est-à-dire : « ou s'il cache ce qu'il
«en sait, jamais on n'admettra son témoignage, mais je
« l'interdis et je l'excommunie. » — Voilà une publication dv
bans en règle; elle répond aux paroles encore usitées
aujourd'hui : « Si quelqu'un connaît à ce mariage quel-
« que empêchement canonique, les règles de l'église lo-
« bligent à nous en donner connaissance. »
2 À près-germain, cousin issu de germain. C'était sans
doute du côté de sa mère, fille du duc de MetiL; car pour
le bourgeois Tierry, son père , il ne pouvait être parent
ni du roi de Morienne, ni de Girard de Roussillon, duc de
Bourgogne.
5 Si a est près, il est si proche parent de Blancheflor.
I..
10 LI ROMANS DE
Bègues l'oït, à pou n'enrage vis.
Le moine prent, à terre le flati,
Por un petit que nel crevast parmi:
— « Fis à putain, où avez-vous ce prins ?
'< Mal tlahés ait qui les dras vous vestit! »
Jà l'éust mors , quant on li retoUi.
Li rois le voit, pas ne li abeli :
— « Sire vassaus, moult me prisiez petit,
« Que vous cest moine bâtez si, devant mi.»
— « II n'est pas moines, » li dus Bègues a dit.
'( Ains est traîtres, parjures, foi-mentis.
'( Se je le trais, par le cor saint Martin,
« Fors de céans , por verte le vos di ',
'< Nuns lions del mont ne le puet garentir
'( Que ne l'ocie, foi que dois à Garin. »
— <( Non ferez , sire, » l'empereres a dit,
« Je ferai, jà, ici les sains venir;
" Si jureront ici que il ont dit. »
Iluec jurèrent, sor le cors saint Denis ",
• Fors de céans, c'est-à-dire, si je puis le tenir hors de
Totre piéseiice.
* Sor le cors saint Dents. Variantes :
Sor le bras saint Denis.
(Msc. 7(>28.2.)
Sor le braic saint Freinin.
(Msc.9654. 3.A.)
Sot le cors saint Rémi.
(Msc.7533.)
GA.RIN LE LOHERAIN.
Bien quatre moine, que vérité ont dit '.
Desevré sunt la purelle et Garins.
Par le palais en lieve li hustins;
Dist l'uns à l'autre : < Diex ! quel dolor a ci!
<c Dahcs ait l'hore que li moines naquist ! »
— « Je le Savoie, » li quens Bernars a dit,
« Que il estoient et parent et amin. »
— '< Monsterriez vous le? » Bègues a dit.
Et dist Garins : < Sire, je le vos quit';
'< Jà de tel cose n'arez bataille à mi. »
Quant vit Fromons que il sunt départi,
Il en apelle le Lohereuc Garin:
— « Frans chevaliers, parlez un pou à mi ;
« Si m'ait Dieu , à tort vous ai haï.
« De guerroier certes ce poise mi :
' Que vérité ont dit. Bien que l'opposition au mariage
fut l'effet des intrigues de i'archevêque de Reims , il n'en
faut pas conclure que, dans l'intention du poëte, les moi-
nes fissent un faux serment. Les liens de parenté étaient
réels; la preuve, c'est que les reliques gardèrent leur
impassibilité en recevant le serment. Mais il s'en fallait
de beaucoup que l'église montrât toujours la même sévé-
rité sur l'article des mariages; et le cousinage de Garin et
Blanchefleur n'aurait pas empêché leur union, si l'intérêt
du roi n'avait été pour rien dans l'affaire.
' Je le vos cjuit, j'admets que nous soyons parents.
12 LI ROMANS DE
« Dès ores mais, serons-nous bon amiu.
« Or si m'aidiez, par la vostre merci,
<i Cornent je aie Blancheflor au clervis,
« A eus mon frerc Guillaume de Monclin '.
« J'ai deux serors qui moult ont clers les vis,
« L'une en prenez, s'il vous vient à plaisir
« Et l'autre ara dus Bègues de Belin:
« Toute ma terre vous partirai par mi^;
« Se nos linages estoit ensemble mis,
« Nuns bons de char ne nous pouroit sofrir '. »
— « Je le ferai , » ce dist li dus Garins ,
« S'elle me vuet escouter et oïr. »
Par la main va la pucelle saisir :
— « Parlez à moi , dame , » ce dit Garins ,
« Jà vous requiert Fromons li poestis
« A eus son frère Guillaume de Monclin ;
« N'a plus preudome en soissante païs;
'< Riches bons est et enforciés d'amins.
1 y4 eus. Variantes: à lietis, — à fines. Ce mot est un
souvenir du latin aduxorem, à femme. Il n'a jamais été
français, mais on le disait ^ar une espèce d'allusion aux
mots prononcés par le prêtre , dans l'office du mariage.
2 Par mi, par moitié. Fromont et Guillaume de Mon-
clin se partageant le royaume de Mauricnne, le premier
pouvait céder aux Lorrains la province d'Artois, son pro-
pre patrimoine.
3 Sofrir, soutenir.
GARIN LE LOHERAIN. li
« Cis mariages seroit moult bien assis. »
— « Sire, » dit-elle, » je ferai vo plaisir. »
Et l'arcevesques s'en est bien garde prins ;
Conseiller voit et Froment et Garin ,
Pépin le montre; maintenant li a dit :
« Se ne te hastes, empereres gentis,
« A Blancheflor, ce cuis, as-tu failli ? »
Li rois l'oït , si envoia Thierri ' ,
Huon de Troyes, de Nevers Amauri :
— « La damoiselle me faites ci venir,
'< Parler voudroie nn petit et à li. »
Et cil i vont corne li rois l'a dit :
— « Venez parler à monsignor Pépin. »
Elle ce fait sans nés un contredit.
Li rois la voit , bellement li a dit :
— « Ma damoiselle, por l'amor de Garin,
yn Vous donrai-je assez riche mari,
« Mon cors méismes, que je d'autre ne di. »
— « Sire, » dist-elle, « la vostre grant merci !
"■ Se il vous siet et il vous plait ensi,
« Car mandez dont le Lohérenc Garin ,
« Lui et Begon , li bourgoin Aubcri ,
'< Et mon barnage et mes riches amis. »
' Thierri d'Ardennes, ici nommé avant Hues de Troyes,
comme au tome 1*^"^, page io3. — Amauri de Nevers est
nommé après Hues de Troyes, tome 1^' , page 293.
i/i LI ROMANS DE
Et tlist li rois : « Or, avcz-vons bien dit. -.
Garin apelle et Bt-gon ch; Belin,
Le Bourguignon et l'AlIemant Ouri :
— « Venez avant, dans Bègues de Belin;
'< Vous m'avez bien honoré et servi ,
« En vo linage >ne vueil nietre et tenir ;
" Espouser vucil Blancheflor au cler vis. »
Et dist Garins : « Nos vous avons servi
'( Et vous l'avez mauvaisemcnt méri.
« Jà par mon los ne serez ses maris '. «
Bègues l'oit, si est avant saillis :
' — « Fols Lohérens, que est ce que tu dis ?
« Laissiez ester Blancheflor au cler vis ;
« .Se voilez feme , vous en avérez dis. »
— « Tenez, dans rois, Diex vous en doint joïr !
Là l'espousa l'cmperères Pépins
Et corona à la cit de Paris * :
Lors fist crier que nuns ne s'en partist.
Grant sunt les noces que l'empereres tint.
Dou mangier sert dans Bègues de Belin ^;
' Los, conseil.
* Et corona, etc. Variante :
Et la corone ens on cbief U assist.
(St.-Germ. 2041.)
3 Dou mangier sert, c'est-à-dire, fait l'office de dapifer,
maître-d'hôtel.
GA.RIN LE LOHERAIN.
Panetiers fu li bons dus Aiiberis,
Girars don Liège et rAllemans Ouris ;
Et eschanson Jofrois li Angevins '
Et Hernaïs et Gantiers de Paris;
Devant lo roi esta en pies Garins,
De la grant coupe servi le roi Pépin *.
Gent ot le cors mole et eschevi,
En nule terre plus bel de lui ne vis :
Bien le regarde la franche empéreris,
Forment li siet et molt li abélit ' :
D'ores en autre le regarde Pépins.
A une table li quens Fromons se sist,
De jouste lui fu Bernars de Naisil
Et de Bouloigne dans Isorés li gris.
1 Variante :
Sene^chaus fa.
(Msc. 7533.-7628.'.)
Mais échanson semble venir plus naturellement après pa-
netiers. Les sénéchaux étaient en général tous ceux qui
s'occupaient de dresser et servir les tables.
2 De la grant coupe. C'était le privilège du dapifer, oit
grand-maître de l'hôtel du roi.
3 Ce vers n'est pas dans le msc. 9654 ^.a.., ordinaire-
ment si exact, et le sens du vers suivant peut se rapporter
aussi bien à Garin qu'à Blanchefleur. Il est curieux ,
parce qu'il explique seul les injures que Bernaid et l'ro-
mont adresseront plus tard à la reine.
i6 LI ROMANS DE
Bernars regarde le Loliércnc Garin
Qui sert le roi de la coupe d'or fin :
— « Biaus niés Fromons, esgardez, » Bernars dist ,
« Com Lohérenc se sunt or avant mis;
'c Vous déussiez devant le roi servir.
« Vous ressemblés, par mon chief, le niastiii ,
« Dedans abaie et defors n'ose issir '.
« Va, prans la cou|)e, frans chevaliers gentis,
« Ce est tes drois, bien déusses servir. »
Et dist Fromons : « Merveille puis où!
« Cui que il plaise né cui doie abélir
« Li rois donra ses mestiers à tenir;
« La merci-Dieu, je m'en puis bien soufrir 2.
« Vostre merci, si me laissiez garir,
« Car ne vaut rien follic à maintenir. >. .
Bernars l'oit , à pou n'enrage vis ,
Tressaut la table, vers Garin se guenchit ^,
Que la nef d'or li vont des poins toUir ^;
1 Vous ressemblés , etc.; c'est-à-dire, vous êtes sem-
blable au mâtiii qui aboie dans son chenil et n'ose en
sortir.
2 Cui que il plaise, etc.; quel que soit celui que le roi
charge de ses affaires, je puis , grâce à Dieu, le tolérer.
3 Tressaut la table , il franchit la table. — Se guenchit,
se tourna.
i Que la nef d'or. << Sur les tables de nos rois, princes
et grands seigneurs, on met d'ordinaire le navire d'or ou
GARIN LE LOHERAIN. 17
Li vins espant sor son peliiçon gris.
Garins le voit, si l'a à raison mis :
'< Voulez-vous boivrc, sire Bernars ? » dist-il,
« Je vous donrai encore de millor vin! »
Et dist Bernars : < Maleurous, chaïtis ' !
" A toi que tient de la nef d'or tenir '?
n Tu deshérites Fromont et ses amis;
« Il t'en puet bien mal et honte avenir. » •
Bernars sacha, que la cuide tolir^,
Garins le voit, si nel vout plus soufrir;
Grand coup li donc de la coupe d'or fin ,
Qu'il li abat le cuir et le sorcil *;
vermeil doré. » (Favin, Traité des premiers officiers de la
couronne de France, page i58.)
» Chaïtis, chétif, captif. Ce mot se prend ici et dans
la première chanson (tome I"', page 5) dans le sens de fu-
gitif; Bernard fait peut-être allusion à la fuite des deux
eufants d'Hervis, après la mort de leur père.
2 A toi. T'appartient-il de tenir la nef d'or? — Ce vers
et surtout le suivant rapprochés du vers 17 delà page i53
(tome I"), indiquent que la charge de qiiens palais don-
nait l'honneur de servir à boire au roi.
î Sacha, tira.
i Le cuir et le sorcil. Variantes :
Le cuir tôt des sorcis.
(Msc. St. Germ. 204 r.)
Le cair sur le sourcil-
(Msc. 9654. 3. A.)
1» LI ROMANS DE
De sanc vermeil le fait trestout covrir.
Des taublcs saillent de chevalier sept vint;
D'ambedeus pars, et parent et amis
De rustes cous commencent à férir.
Et la meslée quant la roïne vit,
Molt fu dolante, si appella Pépin r
— «■ Sire, » dist-elle, « com povez ce sofrir,
« Que tu vois ci tes chevaliers laidir
« Qui tosjours t'ont de léal cuer servi ?
" S'ensi le fais, ne dois terre tenir. »
En la granl presse vint Isorés li Gris,
Grant fu et gros et de fier cuer le fist.
Gui il consuit à terre fait flatir;
Li Loherenc i sunt molt entreprins.
En la cuisine fu Bègues li marchis,
Qui del mangier devoit le roi servir' ;
Et la nouvelle isnellement li vint
Que se combat li Loherens Garins,
Et li parages Froment le poesti
L'ont au palais durement assailli.
Bègues l'oit, de mautalent rogit,
Le queu apelle : «Viens-ca tost, biax amins,
« Tu es mes bons et de moi dois tenir ";
' Le roi. Variantes : Lejor, — La nuit.
ï De moi dois tenir, en ma qualité de maître-d'hôlel.
GARIN LE tOHERAIN. 19
■< Je te donrai ma reube que j'ai ci,
« Je te semons que tu viegnes o mi
« Et ti sergent , quanqne j'en vois ici ;
« Or i parra com tu sauras férir. »
La véissiez tant grant pestel saisir ' ,
Tantes cuilliers et tant crochet tenir,
Que il vouront desor Froment férir.
Li rois commande et de bouche lor dist
Que maintenant Bordelois fuissent pris ;
Et Françès s'arment dès que li rois lor dist,
Les huis porprennent, les portes vont saisir.
Ez-vous Begon qui sus el palais vint,
Queus de cuisine plus de soissante sis ;
Li dus avoit un grant hastier saisi '
Plain de ploviers qui chaut sunt et rosti ' ;
Fiert Isoré qui tenoit Auberi,
Parmi le cou , li peçoia parmi*;
' Pestel, pilons, instruments à broyer, à pétrir.
' Hastier, broche.
3 Plain de ploviers. Variante : Plain de poons. — Un -
hastier garni de trois pluviers ou merleltes, telles ont tou-
jours été les armes de Lorraine. Ne serait-il pas singulier
que la tradition de notre poëme fut l'origine de cet écus-
son P pour moi, je n'en doute pas.
i Parmi le cou, etc., il lui brisa le hastier dans le cou.
l
ao LI ROMANS DE
Si don tronçon fiert le conte Harduin ',
Que devant lui sor le marbre l'assist.
Li quen commencent maintenant à férir,
Maint bras i brisent, mainte tête et maint pis;
La ^'ent Fromonf, cui que doie abébr,
Font del palais par estevoir issir'.
Mais à Fromorit raaiement i avint
A l'avaler des degrés marberins;
Uns povres gars qu'ot les mustiaux rostis ',
Jeté une pierre , si consieut Joscelin ,
Fieus fu Fromons, ainsnés bastars fu-il ,
Grans cop li donne où il le consivit,
Que la cervelle li fait don chief saillir,
Si chaït mort, plus ne se pout tenir.
' Si, tellement. — Harduin, seigneur gascon. Voy.
tom. F"^, pag. 295.
2 Par estevoir, par nécessité, par force; du verbe iles-
tuet, et non pas comme je l'ai expliqué dans la note 4 de
la page 26 , lonie l".
^ Les mustiaus. yarianle : iei //•«m/ax. (Msc. 7628. 2.)
Ces deux mois sont également obscurs; cependant on trouve
trumeau dans le sens de cuisse, pied; par extension :
gigot. Pour mustiaux, je crois qu'il faudrait l'entendre,
non pas comme le mystile, pain de chien, cité par les
continuateurs de du Cange, mais dans le sens de lapins.
Il viendrait de mustela, et il serait alors singulier que mus-
tela ayant fait en langue vulgaire, lapin, l'ancien nom
germanique du lapin, rabel , eût formé notre nom de
belette.
GARIN LE LOHERAIN. i
La j^ent le roi en ont soissante pris ,
Fromont méismes, le comte Baiulnin
Et (le Verdun le riche Lancelin,
Et dant Guillaume et Isoré le Gris.
Li rois commande qu'en prison soient mis,
Et on les fait en la chartre flatir.
— « Las ! ' dist Fromons, ■' que pourai devenir?
<i De la prison ne pourons mes issir,
« Tuit soraes mors, que je le sai de fi. »
— « Tais, mauvais glous, » dist Bernars de Naisil ,
0 Se je pouvoie parler au roi Pépin,
« En pou de termes en serions de fors mis. »
— « En quel meniere ? « dist Isorés li Gris ,
— « Bien le sarez, « dist Bernars de Naisil,
« Mais otroiez et mes fais et mes dis :
« Je noncerai au roi de saint Denis
>t Murdrir le vont li Lohérens Garins,
« Por la roïne dont il l'a départis.
'< En convent ot Fromons que je voi ci ',
« Qu'il li donroit Blancheflor au cler vis
« A eus Guillaume, son frère de Monclin ;
" Et cil en ot soissante mars d'or fin.
' En convent, etc. Je dirai que Fromont était conveun
de recevoir Blanchefleur, de la main de Gariii, pour la
donner à Guillaume de Monlclin , et que Fromont lui donna
même, à celte occasion, soixante marcs d'or; s'illenie,etc.
aa LI ROMANS DE
« Et s'il le noie, bien sera avant mis ' ;
« Jel montrerai, ou Isorés li Gris
« Contre Garin , que tout ensi le fist.
« Mien escient, ensi serons fors mis
'< Et puis après irons en nos pais. »
Dist Isorés : « Et je l'otroie ensi. »
Li charteriers de sor la chartre vint » ,
Tint en sa main un cierge tôt esprins;
Bernars regarde et la clarté choisi ,
Puis lui escrie : « Qui estes -vous amins? »
Et cil respont : « Charteriers sui Pépin ;
« Si vieng serchier que n'en puissiez issir ^.
Et dit Bernars : « Parole un pou à mi :
« Je te donrai mon pelisson hermin "
I Avant mis ; aujourd'hui /^/Ww//, en terme de droit;
ou peut-être : avancé, prétendu.
» Li charteriers , le garde de la chartre ou prison. On
voit que cette chartre était une sorte de cachot, dont la
seule ouverture était pratiquée à la partie supérieure. —
Esprins, pris, allumé.
3 Serchier, examiner {qitœrere).
4 Mon pelisson hermin ; mot à mot, mon pelissou d'Ar-
ménie; mais par hermin, il faut entendre: fourré d'her-
mines. Les hermines, que l'on tirait, au moyen-âge, du nord
plus que de l'orient, ont pourtant conser^é le nom du pajs
qui d'abord les fournissait aux autres nations.
GARIN LE LOHERAIN. 'j3
« Et de mon col le niantel sebelin ',
.< Mais que le roi me foras ci venir. »
Et cil a dit : « Vollentiers, non cnvis.
« Or ça la robe, et jel ferai venir. »
Il li geta, li charteriers la print,
Il s'afubla maintenant et vesti ;
Vint en la chanbre où l'emperères sist;
Li rois le voit, si l'a à raison mis :
< Diva, » fait-il , « qui t'a si bien vesti'? »
— « Sires, Bernars, li sires de Naisil
« Par moi vous mande venez parler à li
« Por vostre prou, ensi le ma-il dit. »
Li rois apelle Faucon et Amauri,
Huon de Troyes et Garnier de Paris ^;
Jusqu'à la chartre ne prinsrent onques fin.
Bernars le voit, tôt en plorant li dist :
« Hé! riches rois, por l'amor Dieu, merci!
« Nos n'avons mie, par mon chief, déservi
n Que nos féisses en ta chartre }:;ésir-,
« Jel montrerai contre le duc Garin.
« Maneça toi li Lohéreos chétis,
' Sebeitn , c'est-à-dire de martre noire ou /ibelioe. De
sebelin est veau le sable des armoiries.
ï Diva, espèce d'iulerjection qui répond à uoire dis donc,
et qu'on peut expliquer : dis , l'alet.
^ Garnier. Variante: Hernaut. (Msc. 9654.)
24 Ll ROMANS DE
« Por Blanchetlor dont tu l'as départis,
« Que te feroit de maie mort morir;
« Fromont promit Blancheflor au cler vis
<■ A eus Guillaume, son frère de Mouclin.
<- Li quens Froraons qui est et fous et bris ',
« L'en a donné soissante marc d'or (in;
« Por ceste chose , sire, que je te dis ,
« Alai Garin enmi les dens férir;
« Dont tu nos fais en ta chartre gésir. >'
Li rois l'oit , à pou n'enrage vis
Et dit as contes : « Signor, avez oï?
« Voir, plus amois le Lohérenc Garin
« Que chevaliers qui fuist en mon païs. "
— « Nel créez mie, » li quens Hues a dit.
— « Si fais, » dit-il , « par le cors saint Denis " !
« Au commencier, mauvais senblant me fist ^. »
' Bris. Ce rnot semble le même que l'espagnol brio, vif,
étourdi. Bricon alors en serait un diminutif et ne vien-
drait pas de briga, comme l'a pensé du Cange.
2 Si fais. Nous avons conservé cette locution, sans nous
rendre compte de son véritable sens. Sicfaciam ; nous écri-
vons : Si fait!
3 Au commencier. Quand il apprit mon intention d'é-
pouser Blancheflor. (Voyez plus haut, page i4, vers 9.)
GARIN LE LOHERAIN. a5
Les riches contes ont fors de prison mis '.
Or eu pent Diex qui en la crois fu mis!
Que de tel chose est apelés Garins
Ne se defent, il en sera honnis '.
Li rois envoie querre le duc Garin ,
Avec lui vint Girars qui Liège tint,
Li Borguignons et l'Allemans Ouris,
Gautiers del Mans et li dus Hernaïs.
Li rois le voit si l'a à raison mis :
Bernart apelle : i Or dites, biaus amins. »
Et dist Bernars : « Riens n'i vaut li covrir'.
« Vez-ci de Mez le Loherenc Garin ,
« Fromont promist Blancheflor au cler vis
« A eus Guillaume, son frère de Monclin ;
« Et si en ot soissante mars d'or fin.
« Si se vanta et devant nous le dist
« Qu'il te feroit de raale mort morir. »
Et dit Garins : « Vous i avez menti !
" En tôle France n'a home si hardi,
« S'il ce disoit que de ma bouche issit
' Ne l'en féisse récréant ains raidi. »
• Les riches contes ont, elc. Pépin et ses amis mireut
les comtes Fromoot , Bernait et Isoré hors de prison.
* iVe se defent, s'il ne se défend; dans le sens du nisï
Satin.
î Riens ni vaut li covrir, la feinte n'avancerait à rien.
II. 2
26 LI ROMANS DE
Et dit Bernars : «Voirement le désis ';
« Alez avant, dans Isoré& U Gris»
« Et si montrez ce que avez oï. »
Et Isorés son jjage por ofrit,
Là le plévissent et parent et amin.
Dont saut avant U Loherens Garins
Et présenta son gage et por ofril.
— « Plévissez-moi, li Alleraans Oris,
« Et vous Girars et li borgoins Aubris;
« Mi nevou estes, ne me devez fallir. ■>
Et cil respondent: « Volenticrs, biax amins. » .
— « Je n'en vuel nul , » ce dit 11 rois Pépins,
« Autres ostages i convient avenir '. «
Et dit Garins : « Merveilles puis oïr !
« Se ci me faillent et parent et coisin,
« Je n'irai mie querre les Sarrasins ^. »
Au duc Begon uns mésages en vint,
En la chambre est avoc l'emperéris :
' Le désis, tu l'as dit. Nos paysans de Bourgogne et de
Champagne disent encore disis.
2 yiiUres ostages, etc. Les motifs de récusation de la
part du roi venaient sans doute de ce que Girard, Au
beri et rAllemaud Ori tenaient quelques fiefs relevant de
Garin. De même, Isoré avait pris la place de Bernard
pour laisser à ses parents et amis, qui ne tenaient rien de
lui , la facilité de le plévir.
3 Ce vers ne se trouve que dans les rass. 2041 St. Ger-
main et 7542.3-3.
GARIN LE LOHERAIN. 47
— " Hé! riches dus, que faites vous ici?
« En cest pallais est Garins entrepris,
« Gage a donné vers Isoré le Gris.
«■ Molt le tient court l'emperères Pépins:
« Car ostagier nel lait à ses amis. »
Li dus l'entent, sus e! pallais en vint.
Tout défublés, onques niantel n'i prist.
— « Drois empereres , » fait-il, « je vuel oïr
« Pourquoi mon frère avez ci entreprins.
« Si m'ait Dieu , je ne tieng riens de lui \
« Né de la terre mon chier père Hervi ; J
« En toutes cours dois mon frère garir'. /
« Or vuel savoir et jugement oïr,
" Se je le puis de cest gaige guérir. »
Li baron dient : « On le puet bien soufrir,
« Se il connoit que il doie estre ainsi 2. »
— n II vous dit voir, sire, ■» ce dist Garins.
« Laissiez ester, biax frères, biax amins,
« Contre Isoré me doi-je bien tenir,
« Si m'ait Dieu, j'en ociroie dis
« L'un après l'autre, por ce que sus m'ont mis. »
— 't Bien le savons, » dist Bègues de Belin,
« Chevaliers estes courajous et hardis;
« Mais à mon droit , ne dois-je pas falir. «
' Garir, garanlir.
' Se il connoit, si Bègues juge qu'il soit de son devoir
de défendre Garin.
a.
a8 LI ROMANS DE
Les gages changent, il les a sor lui prins;
En pies se lievent de chevaliers set vint
Por ostagier, mismi' l'empéréris '.
D'anbedeus pars furent li gage prins.
XXIII.
nostre dame en est Bègues aies;
>La nuit veilla et chevaliers assés.
jBel luminaire fu iluec aprestés'.
A son ostel est venus Isorés;
Il a mangié , il a béu assés ,
La nuit se cuiche dormir et repouser.
Au matin lievent cil provoire ordenc,
La messe chantent par les maistres autés.
■ Misme l'empéréris. Même l'impératrice s'offre en olage.
— J'ai suivi la leçon du msc. 9654; les autres portent :
Por ostagier li nies l'impéreris.
(Msc. 7533.)
Por ostagier les niés l'empéréris.
(Msc. 7628.)
Por ostagier néis l'emperéis.
(Mss. 2o4i Sl.Germ., 7542 et 7533. 2'».).
2 Aprcstés. Variante : Aportés. (Mss. 7533 et 7628.}
GARIN LE LOHERAIN. 29
Bègues ofri un vert paile roé ' ,
Et la roïne ofri un autre tel.
A son oslel est Bègues retomes :
Sor une coûte vermeille de cendé
S'assit li dus , si l'a-on bien armé.
Isorés s'arme, si est à cort aies
Il et sa gent et ses grans parentés.
Devant le roi s'est Bernars présentés :
— a Sire, )' dist-il, « mes niés est jà armés;
« Li Lohérenc vous ont servi assés, A
« Prenez un jor et si vous acordéz. « I
Et dist le rois : « Bernars , or vous s'offrez '. »J
XXIV.
EGUES li dus est sor un paile assis;
Q&Il vest l'aubert, lace l'elme bruni :
fer^Onques nus hons si bel armé ne vit.
1 Roé, rayé. La citation de du Gange, au mot Roiatus,
le prouve assez bien: « Item, una magna cortina serica
« roiata et armuratura armis de Courtenay. » M. de Ro-
quefort a donc eu tort de rendre le mot roé par rouge,
ou orné de roues. — Variante du msc. St. Germ. 1244 :
Un vert paile rouei.
2 Or VOUS s'offrez, offrez cela vous-même.
3o LI ROMANS DE
Floberge pent à la sele d'or (in ',
Ceinte a une autre qui de Co'.dongne vint '.
Girars dou Liùjj;e a son bon cheval prins;
Son escu j)rint li borgoins Auberis,
Et son espiel des mons d'Anssai Tierris ^ ;
Li gonfanons i est fermés et mis *.
Or le chastoient com jà pourez oïr * :
— « Biaus niés, « font-il , « soiez prous et hardis;
« Souviegne-vous de vos père Hervi,
« Le miilor homme qui sor cheval séist. »
— « Je nel pris mie, » li Loherens a dit ®,
' Floberge. Variantes : Flobierge. (Msp. 7628. '.) — Fro-
berge. (Mss. St.Germ. 2041. — 7542. 3-3. — "SSS.*'».)
» Qui de Coiilongiie vint. Parmi les expressions pro-
verbiales recueillies au xm*^ siècle dans une pièce intitu-
lée: Concile (l'A /tostolc, ou trouve les épees de Coulogne.
Voy. M. Crapelet , Proverbes et Dictons populaires , page
102.
3 Espiel, épieu. Variante : Espie. — Des mous d'Ausstii,
d'Alsace.
4 Li gonfanons i est fermés. Le gonfanon était attaché
au-dessous du fer des lances et des épieus. Il permettait
de mieux brandir l'arme dans l'air et en pénétrant dans
les chairs de l'ennemi, il rendait la plaie incurable.
5 Lecliasto'ent, le sermonnent, le haranguent. De là,
ckasloiement ou casloiement , discours moral, leçon.
6 Je nel pris, je ne prise pas Isoré.
GARIN LE LOHERAIN. 3i
■< Car il a tort si commoi est avis;
« Hons desloiaus ne puet longes garir'. »
A tant en montent el grant pallais Pépin.
Devant le roi s'est H dus Bègues mis :
— « Drois cmperères , je me présente ci;
« Ma bataille offre ains que past miedis. »
— « Drois emperères , » dit Bernars de Naisil ,
« Prenez un jor et si soit terme mis»
« S'es accordez et soient bon ami *. »
— n Drois erapereres , » dist Bègues de Belin ,
« Il ont de murte ci apellé Garin ;
« De traïson ne doit-on plait tenir ^.
' Longes garir. Lat. longé cavere , être long -temps
garanti.
2 S'es accordez, si (ainsi) les accordez.
3 De traïson, etc. Cette maxime est parfaitement con-
firmée par le préambule de l'ordonnance de Philippe-le-
Bel, sur les gages de bataille. Ce prince avait d'abord dé-
fendu les coml)ats judiciaires dans tous les cas, voici comme
il s'en excuse :« Comme ca en arrière,... nous eussions
deffendu generaument toutes manières de guerres et tous
gaiges de batailles; dont pluseurs malfaicteurs se sont avan-
cés par la force de leurs corps et faux engins à faire homi-
cides, traysons et tous autres maléfices;... pour oster aux
mauvais dessusdiz cause de maléfice, nous avons nostre
deffense dessusdite altrempée; par ainsi... nous voulons
que ceulx, pour avoir ce fait, soient appelez et citez à
32 LI ROMANS DE
« D'endroit de moi n'i ara nul jor prins*. »
Maintenant font les reliques venir,
Si a juré dans Isorés li Gris
Que Garins a envers le roi mesprins
Et traison porchacié et porquis.
Et dist dus Bègues : «Vous i avez menti,
« Comme parjure je vous lieve de ci 'j
H Ains que soit vespres né que dûie anuitir,.
« Vous en ferai l'ame dou cors partir. »
A tant livrèrent ostaiges à Pépin.
En une salle, par devers un jardin ,
Mettent Bouchart, Haimon et Harduin ',,
Et Gallerant et son frère Gaudin ^,
Et dant Bernart le signor de Naisil;
Et par devant, Guillaume deMonclin,
gaiges de bataille. » (Voy. les Cérémonies des gages de
bataille, édit. de M. Ciapelet.)
' D'endroit, etc., pour ce qui me regarde, je refuse tout
délai.
2 Je vous lieve de ci. (Voyez, sur cette expression, la
page suivante, note 2.)
^ Bouchart, etc. Ces trois barons sont déjà nommés,
tome 1*"^, page 295, parmi les parents de Fromont.
4 Gallerant et Gaudin, de Lanborc, (Voy. tome I*""^,
page 292.)
GARIN LE LOHERAIN. 33
Lui et Fromont de Lens le poeslis '
Et de Verdun le riche Lancelin.
XXV.
L font les sains en la place aporter :
^■4 Tous primerains a juré Isorés :
« Cuivers,» dist Bègues, » malement es menés.
Par le poing destre l'en a Bègues levé ",
Ez-vous le plait au diauble torné;
Bègues li a son serement faussé ^.
» Lui et Fromont, etc. C'est la leçon du seul nisc.
7542.5-3. Les autres nomment le Flamand Baudoin dans
le même vers; mais comme il n'a pas encore figuré dans
toute cette scène, l'autre leçon ma paru meilleure.
* Par te poing, etc., c'est-à-dire. Bègues l'a relevé par
la main droite. — Ce vers nous apprend que l'usage de
jeter et de relever le gant vient de l'usage plus ancien de
relever l'accusateur, quand, agenouillé devant les reliques,
il prononçait son accusation. Sans doute on aura reconnu
le danger qu'il y avait à amener les deux adversaires trop
près l'un de l'autre; et l'on aura décidé qu'il valait mieux
prendre un gant pour leur intermédiaire. L'accusateur dut
le jeter et l'accusé le relever. Mais au temps de Jean de
Flagy c'était encore l'homme qu'on relevait.
3 Faussé, contredit, nié; comme on à'\%a\\. : fausser un
jugement, pour en appeler.
2„
34 LI ROMANS DE
Les portes ferment, an chastel sunt entré
Li rois les a ans gardes délivré ',
A trente conte (jiii tuit siint si chasé^".
Parmi la ville sunt li Franceis armé
Que il n'i ait traïson porparlé.
Au mostier est li dus Garins entrés,
Et la roïne au gent cors honoré
Et dis pucellcs pleines de chastéé,
Et quinze dames veves de ce régné î.
Et li baron sunt es chevaus monté ,
Li uns vers l'autre, le frein abandonné,
S'entreférirent durement abrivé.
Bègues li dus a son espiel quassé,
Mais durement l'a féru Isorés;
Le bon cheval a el pis encontre
Si l'abat mort desous Begon au pré.
Bègues saut sus , o le cors honoré,
L'escu au col et tient le branc letré.
ï u4 us gardes délivré, confié aux. gardes du champ clos.
2 Si chasé. Ses barons féodaux , tenant de lui fief ou
chasement.
3 Veves, veuves. — Le msc. 9654, au lieu de ces deun
vers, porte :
A dis pucieles qui sont de joaene aé
A nus geiious par de devant l'aatel
Saciés le jour y ol assés plonré-
GARIN LE LOHERAIN. 35
Moult durement le requiert Isorés;
Mais li vassaus ne l'a mie douté,
Et quant li cuens est d'autre part torné,
Au bon destrier a le jarret coupé.
Li chevaus chiet, si descent Isorés,
Le branc au poing , l'escu avant levé.
Amdui estoient li baron eus el pré
Et lor escu estoient estroé '
Et li vert hiaume frait et escartelé ^;
Devant la tierce qu'il furent asemblé '
Jusqu'à midi à li estors duré.
XXVI.
^^i^jRWS fu la noise et li brais et li cris
,(ji®Des deus barons vigueros et hardis.
;Diex! quel damage aura li rois Pépins!
Et les nouvelles en vinrent à Garin
Que li chevaus Begon estoit ocis.
Quant la roïne la nouvelle entendi,
Dieu réclama qui onques ne menti :
' Estroé, troué.
> Frait, rompu.
^ La tierce, neuf heures du matin.
36 LI ROMANS DE
— «Vierge pucelle qui le cors Dieu tenis ' !
'< Ne sofrez mie que Bègues soit lionis,
'< Que la corone en esteroit plus vis'. »
Del duc Begon vous dirai que il fist :
Par mautalent va Isoré férir ^
De sor son hiaume où l'escharbocle sist ^ ;
L'espée brise , l'alemele chaït ^.
Del pont à or va Isoré férir ^
' vierge pucelle. Aulrefois ce dernier mot ne signifiatt
que Jeune fille {puer, puella ).
2 Vis, vile.
3 Mautalent, courroux ( mot à mot : mauvaise intention.)
4 Vescharbocle. On remarquera ces pierres précieuses qui
dans nos anciens romans surmontent le casque des illus-
tres guerriers. « Quelquefois, » dit Fauchet, « les heaumes
" estoient parés d'orfaverie , voire de pierres précieuses^
" que les goniers chevaliers, par cointise, y faisoient atta-
« cher, et bien souvent les chargeoient de fermaux ou fer-
« maillets (c'est-à-dire de pièces d'or jointes ensemble,
'< comme carcans garnis de pierreries). » Livre i de la
Milice française , f"5i3. — Mais on peut croire que ces
brillants ornements étaient surtout employés dans l'intérêt
de la défense, et que souvent ils amortissaient les pre-
miers coups.
5 L'alemele, la lame de son épée : de celle qui de Co-
longne rinl.
6 Del pont, de la poignée de l'épée.
GARIN LE LOHERAIN. 37
Por un petit que il ne l'abatit '.
A vois escrie Giiillaiimes de Monclin :
« Niés, prens la teste dou Lohérenc chétif '. »
Dist Isorés : « Merveilles puis oïr !
« Vous n'estes mie desous mon escu bis ;
« Mais or proiez remperéor Pépin
« Qu'il ait pitié et de moi et de li. »
Begon sovient del branc d'acier forbi ^
Qui à la selle dou bon destrier fu mis;
Isnellcment le va li dus saisir *,
Et non portant si fu-il si laidis ^
Qu'il ot senglant et la teste et le pis.
N'est pas merveille, que des grans cous a pris.
Fiert Isoré à mont sor l'hiaume bis ,
Le cercle coupe qui esloit à or fin ,
En la cervèle le branc li embati ,
Jusques as dens trestot le porfendit,
Mort le trébuche, cui qu'il doie abélir.
' Por un petit, peu s'en fallut.
* Niés, prens la teste. Ces mots portèrent Begon à
l'acte de cruauté que le poëte va nous décrire. Guil-
laume, en le voyant privé de son arme, le croyait vaincu.
3 Sovient, se souvient , il souvient à Bégon.
4 Saisir. Variante du msc. 9654 : Férir.
'■' Laidis, blessé.
iS LI ROMANS DE
Oiez merveille que li Loherens fist :
Ou cors li met Floherge au pont d'or fin ;
Le cuer dou ventre entre ses deus mains tint ',
Guillaume ficrt devant , cmmi le vis :
« Tenez, vassal , le cuer vostre cuisin ,
<< Or le povez et saller et rôtir. »
Li Loherens à Nostre Dame en vint 2,
Et la roïne moult grant joie li fist;
Si fist Garins, li Loherens gentis.
Li sains sonnèrent tout contreval Paris,
Nés Dieu tonnant ni poissiez oïr^.
Bègues se peine de ses plaies garir.
Li cuens Bernars la parole en oït j
Fent son mantel et son peliçon gris,
L'un lie à l'autre; moût sagement le fisf*,
' Le cuer, etc. « Il prend à deux mains les entrailles
d'Isoré et en frappe au visage Guillaume de Monclin. »
Après de pareils outrages, on conçoit (comme le dit ail-
leurs le poëte)
La baine qui jà ne prenra fin -.
Après les pères la reprendront li fil.
2 A Nostre Dame. Variante : y4u Moustier.
3 Nés, pas même.
4 Sagement, adroitement.
GARIN LE LOHERAIN. 39
Si s'en avale cl grant vergier Pépin ',
Seine tri'-passe , issus est de Paris '.
Molt se hasta, la nuit vint à Laigni,
Chiés un bon hoste qui ot à non Forsin^
D'enqui se part, ains que soit esclarci ,
Rebais trépasse, de ci à Soivre vint*;
Molt se merveille ses fils quant il le vit :
« Vergier. Variante : Jardin. Dans le plan de tapisserie
exécuté au commenocmeut du xvt^ siècle, on voit encore
figurer le Jerdin du Roi, comprenant l'espace occupé main-
tenant par la Chambre des comptes, la Sainte-Chapelle,
et la place Dauphine. Bernard de Naisil était renfermé
dans une chambre haute dont les fenêtres donnaient sur ce
■vergier.
» Seine trépasse, sans doute à la nage. Je ne sais si le
moulin qui , au x vi* siècle , était placé au milieu de la Seine
entre les deux îlots et le rivage méridional, était établi dès
le XI* siècle. — D'après ce vers, on peut conjecturer qu'au
temps de Jehan de Flagy, Paris était encore renfermé dans
l'île de la Cité, et que l'enceinte décrite par Dulaure, sous
le règne de Louis-le-Gros, n'était pas encore fermée.
3 Qui ot à non Forsin. Variante : Qui ot non Saint-For-
«■/?, (Mss. 7542. 3-3._,j533. 2-2.)
4 Rebais. Variante : Rabai, clRabes, village à huit lieues
de Laigni et quinze de Paris. Quant au nom de Soivre, il
est loin de présenter un point topographique clair. Les
manuscrits donnent les variantes: Aucuerre; ce ne peut
être guère Aiixerre, dans la direction de Lagni et de Rcbai;
Vausoivre , Vasore et Falsore.
/,o LI ROMANS DE
— « Père, » fait-il , « dont venez-vous einsi ? »
Bernars respont : « Je vieng droit de Paris.
« Bègues a mort dant Isoré le Gris,
« En champ plcnier l'a vaincu et conquis.
« Je m'en irai droitement à Naisil > ,
« Mort sunt et prins mi mortel anemin ;
« En Loherainne lor ferai nouvel cri,
« Ni lairai vache, né mouton né berbis. »
Dist Fauconés : « Por amor Dieu , merci !
« Ne faites chose dont nous soions honnis ;
« Falli vous ont, bien le sai, vostre amin. »
— « Tais- toi, lechieres, » dit Bernars de Naisil ",
« Si m'ait Dieu, onc ne m'aparlenis ^.
« Mieus vouroie estre traînés à roncins,
« Ne me vengeasse dou Loherenc Garin
« Et de Begon le laron de Belin
« Qui mon linage ont et mort et honni. »
Dist Fauconés : « Or entendez à mi :
« Se vous alez Loherains assallir
« Et il le savent, il venront tous sor ti ,
1 Droitement. Variante : Le matin. D'après celte leçon ,
Soivre serait assez près de Naisil.
2 Tais - toi , lecliieres. Variante : Lais , glous lechieres.
(Gulosus parasytus.)
3 Si m'ait Dieu , serment elliptique. <• Ainsi m'aide
Dieu, " c'est-à-dire, que Dieu me protège aussi vraiment
que tu n'es pas de ma race.
GARIN LE LOHERMN. 41
« Né jà aïde n'aras de nos amins ,
« Qu'envers lo roi se sunt mis à merci. »
Et dit Bernars : « Merveilles ai ci ;
« Se or avoie tout gasté lor païs
« Et puis si fusse en mon chastel flalis ,
« Nés douterois, vaillant un Parisis;
« Tout le plus cointe ferois grief et marri. »
Bernars semont à force et à estri,
O lui enmaine de chevaliers sept vint;
Ains ne fina , s'est venus à Naisil ,
Pas n'i sejorne né gaires n'i dormit;
Les proies prent, si gaste le pais,
La gent vilaine furent tout esbaïs
Que trestout perdent ce qu'il orent norri.
XXVII.
î^S^ERNARS s'afiche forment de guerroier * :
SjÇjÇSes fossés fait et ses murs redrecier,
^«^ Barres et lisses où seront li archier.
Son chastel fait durement enforcier.
Huimais dirons de Fromont le guerrier,
De son linage qu'est mervillous et fier.
» S'afiche, s'assure. C'est ainsi qu'il faut entendre ce
mot ici comme plus bas , et non pas comme l'inlerprète
M. de Roquefort.
42 LI ROMA.NS DE
En prison sunt, por mortel enconbrier,
Né ne se pueent vers le roi aiîchier.
XXVIII.
jti'^^f^^ PRÈS la feste dou baron Saint-Denis',
v^4iK^ ^^^'"^ ^^ pro voire qui Dieu d oient servir
^^^^ En vont au roi, por la pais establir.
As pies li chieent, si li crient merci.
— « N'en ferai rien, » ce dist li rois Pépins,
« Se nel me loe dans Bègues de Belin,
« Il et ses frères li Loherens Garins. »
A l'ostel vienent où li dus Bègues git.
Encontre dressent li grant et li petit ;
Li dui prodorame qui sunt viel et flori
Voient Bégon , si l'ont à raison mis :
— « Hé gentis lions , aiez de nous merci !
« Jà, scès-tu bien , Diex grant honor te fist
« Quant, en l'estor, Isoré as conquis.
« Aies merci de Fromont le marchis. «
Et dist li dus : « Il n'est mie sor mi ' ,
• La /este dou baron Saint-Denis. Elle tombe le 9 oc-
tobre.
2 It n'est mie sor mi. 11 c'est pas en ma puissance.
À
GARIN LE LOHERAIN. 4Î
« Mais sor le roi qui droit doit maintenir;
« Fasse mes sires son bon et son plaisir!
Cil l'en mercient et font parfont enclin'.
Dont font Fromout de la Chartre venir
Et son linage et ses riches amins;
Sou mautalent li pardonne Pépins
Il et dus Bègues et ses frères Garins.
Il s'entrebaisent devant l'empéreris;
Fromons jura celui qu'en crois fut mis*
Que ne faura nul jor le roi Pépin',
Lui né Bégpn né son frère Garin,
• Et font parfont enclin, et font ime profonde inclina-
tion. On remarquera le noble usage que font ici les gens
d'église de leur haute influence. L'auteur du roman des
Loherains n'est pas suspect <le prévention cléricale, il a fait
SCS preuves au début du poëme.
Si, plus haut, nous avons vu l'archevêque de Reims
aposter de faux témoins, on peut dire encore que c'était
dans une intention nationale; car, au x" siècle, les grands
barons étaient trop ptiissants et le roi de France trop
faible. Dans ces circonstances, la réunion de la Maurienne
aux domaines de la couronne pouvait long-temps retarder
l'anarchie menaçante.
» Celui qu'en crois fa mis. Variante :
Le cor de saint Denis.
(Msc, 9654.)
î Ne faura, ne faillira, ne manquera à...
44 LI ROMANS DE
Ains s'ameront comme loial voisin '.
Li quens Guillaiimes li sire de Monclia '
Et de Verdun li riches Lancelins,
Cil de Granfpré, Hues qui Retel tint'
Devinrent home au Loherenc Garin.
Haims de Bordelle et li quens Harduins ,
Li quens Guillaumes et Bouchars li floris.
De la Valdoiue li chastelains Landris
Homes devinrent à Begon le marchis.
Grant joie en mainent tout contreval Paris.
I Ains s'amcront. Il ne faut pas oublier que, dans ce
poëme, Fromont, Garin et Bègues représentent toujours
trois grands vassaux de la couronne : le premier, comte
d'Artois; le second, duc de Lorraine; le troisième, duc
de Gascogne. Maintenant, voici les noms des autres grands
vassaux qui figureut dans le roman : Baudoin avait la
Flandre , Auberi la Bourgogne , Joffrois l'Anjou, Hues le
Maine, Hernaïs l'Orléaaais. Plusieurs barons, rarement
nommés, avaient la Bretagne; Richard, rarement nommé,
avait la Normandie. La Champagne, la Picardie et l'Ile-
de-France étaient partagées entre le roi de France, le comte
d'Artois et le duc de Lorraine; le Dauphiné , la Provence
et le Languedoc appartenaient au roi d'Arles, au roi de
Maurieone et aux Sarrasins.
» Monclin , château ruiné par Bègues dans la guerre
précédente ; il était situé entre Chaumont et Verdun. —
Voy. tom. l" , page 238.
3 Cil d^ Grantpré, Henry, déjà nommé tom. I^"^, pag.
i63 et 283. — Hues. Variante Huars.
GARIN LE LOHERAIK. /i5
Jà s'en ralast chascuns en son pais
Moult volentiers véoir fcmes et fis ;
Ez-vous un mes, de Loheraine vint,
Où voit Garin si l'a à raison mis :
— '< Frans chevaliers , que faites-vous ici?
« Tu pers la terre que tes ancestres tint. »
— " Qui fait ce, frères? » ce dist li dus Garins ;
— « En non-Dieu, sire, dans Bernars de Naisil
'i Le val de Mez petoia venredi ',
« Si a Saint-Ladre abatu et mal mis ^;
« N'a abaïe en tout vostre païs
' Qu'il n'ait robe et la viande prins '. »
Et dist li dus : « Merveilles puis oïr!
« Où cist déables a-il tant de gens prins ? »
■ Pecoia, désola.
ï Si a Saint-Ladre. Variantes : Sa asenastre (St. Germ.
2041). — Si a Senastre {^. 7542). — Si a Saint-Âtre (K.
9654). — Saint-Ladre est aujourd'hui nu humeau situé à
peu de distance de Metz.
3 Les viandes, les provisions de bouche. Il n'y a pas
très-iong-temps que l'acception de ce mot a été resU-einte à
la chair des animaux. Dans la traduction d'Orose présentée
eu 1491 à Charles VIII , on lit encore : « Un jour advint
« qu'Ésaù estoit allé à la chasse; son frère alla cueillir une
« certaine viande qu'ils avoient coustume de manger en ce
i< temps-là , nommée lentille. » — Viande a été formé de
vivenda (les choses dont on peut vivre).
46 LI ROMANS DE
— « Je nel sai, sire, j'en vis les chans covrkr,
« Par tropaus vont ensi comme berbis. »
Garins l'entent, n'i et né gas né ris;
Vient en la salle ou l'emperères sist' :
— « En non-Dieu, rois, » ce dist li dus Garins,
n La nostre pais a duré moult petit;
« Car dans Bernars li sires de Naisil
« La terre gaste que de vous dois tenir.
« Le val de Mez pecoia venredi;
<c Voici le mes qui or endroit en vint :
« Quant j'i venrai , encores sera pis ,
« Car ma gent sunt de moi moult esbahi \ »
Et dist li rois : « Par moiv chief , mar le fist. »
Fromont appelle qui de joste lui sist :
Et dist li rois : « Fromons, avez oï ?
«. Ce est vostre oncles qui nous tribolle si. >-
Et dist Fromons : « Son jjarage renis ' :
« Mal dahé ait cui onques apartint ^. »
' Ou l'emperères sist. Variaute :
Desous l'onbi'e d'un pin.
(R. 7618. — 7533. — St. Germ. 1244.)
2 Esbahi. Variante: Esmnri, troublés, effrayés: mars
ici le sens paraît être : dispersés, débandés (exbanditi).
3 Pavage, synonyme de parenté, comme dans celte
phrase conservée : « Un homme de haut parage. »
4 Mal dahé, etc. J'entends ce vers : « Malheur à qui le
mérite, maie mort à qui il convient. »
GARIN LE LOHERAIN. 47
Et dist li rois : « Venrez-vous avec mi ,
« Vostrc linage et trestiiit vostre aniin?
« Or verrai-je qui me voura servir. »
Respont Fromons : « Nous ferons vo plaisir
« Moult volen tiers, cui qu'en doie avenir. »
Li rois semont à force et à estri.
Des saint Michel qui desor la mer sist,
Jusqu'à Germaise qui siec desor le Rin ' ,
Ne remaint home qui arme puist tenir.
Flamenc i vienent, Gascon et Angevin ,
Et Berruier, Breton et Poitevin :
Fromons li quens i vint niolt enforcis
Qui molt se paine de nostre roi servir;
Puis fu un jor que il s'en repenti.
Bègues remaint en la cit de Paris
Que il n'est pas respassés et garis^
Et la roïue se peine del servir.
A Chaalons vienent li ost Pépin.
' Jusqu'à Germaise. "Variante :
Jusc'a Gannaisse qui est delà le Biii.
(St. Germ. 2041.)
. . . Garmaise. . .
(R. 7542. 3-3.)
Il faut reconnaître ici Germesheim, petite ville située sur
le Rhin, à une lieue de Philisbourg et justement à l'ex-
trémité de la France opposée à Saint-Michel.
48 LI ROMANS DE
Garin baillèrent l'enseigne Saint-Denis,
Là véissiez la viande venir.
"Vers Bar-le-Duc firent lor ost guenchir;
A la rivière par desoz Viteri ',
Loge le soir l'eniperères Pépins.
Et li Borgoins , li prous et li hardis ^,
Fist l'eschargaite , à deus mil fer-vcstis;
Plus het Bernart le signor de Naisil ^
Que il ne fait nul home qui soit vis ,
Et Bernars lui et le prise petit.
Li os s'esmuet quant ce vint au matin.
Bar-le-Duc passent et gisent à Lini",
A quatre lieus dou chastel de Naisil '.
I viteri. C'est aujourd'hui Vitry-le-Briilé, situé à égale
distance de Chàlons et de Bar-le-Duc, el réduit eu ceudres
par Louis Vil, en n43.
» Li Borgoins , le Bourguignon Auberi.
3 Plus het Bernart. Auberi se souvenait du ravage
de la Bourgogne par Bernard , dans la première guerre.
( Voy. tom. 1'*", pag. i85 et suivantes.)
4 Lini. Variantes : Laigni. — Chauni. — CUgni. — C'est
aujourd'hui Ligni en Barrais, petite ville sur l'Ornain , à
trois lieues de Bar.
5 A quatre lieus. Variantes : A deus leuettes. — A deus
grans lias. — Quoi qu'il en soit , ce vers justifie complète-
ment les conjectures que j'ai émises dausle premier volume
GARIN LE LOHERAIN. 49
Et la nouvelle au traitor en vint
Que Franceis ont et juré et plévi '
N'en torneront, si l'averont brui
Et abatu et tout à terre mis.
Bernars l'entenl , si en a fait un ris :
— « Par Dieu , " dist-il , " jusqu'au jor del juis
« N'iert-il , par force, né retenus né prins;
« Se ne le rens, jà n'en seront saisis.
« Or, foites joie, Fauconés sire fis,
« Que longement i puet li rois croupir,
'< N'oiiverrai porte né guichet né postis ". »
XXIX.
«^-^gTT^i quens Bernars a sa gent devisé:
^ ^^De chevaliers i ot à grant plenté;
JIQ^^Î^BieD pert as murs quant il furent monté'.
Là veist-on maint bon escu doré,
de Garin, page 221), note 2. Il est bien certain que l'anuieu
Naisil est Naix, ISais ou Nas, petit village à deu\ lieues
de Goudrecourt et à quatre lieues de Ligiii eu Barrois.
' Plévi, donué gage, fait vœu.
2 Postis, poiit-levis (/»oo.7/tti), ti i\on portes, comme
je l'ai interprété daus le premier volume (page 142). Dans
un sens analogue , cheveux postiches.
^ Bien pert, bien parait.
II. 3
5o LI ROMANS DE
Et tant vert hiaume et tant pennon fein)e;
A grant merveille furent bel li armé.
Bernars s'en ist, quant il l'oient armé',
Sor un destrier grant et gros et quarré ,
A quatre vins (ju'il a des siens sevrés";
K'i a celui qui n'ait cscu flore ^
Et le destrier corant et abrivé.
Bien semblent gent de bien faire apresté.
Bernars fu preus, de grant nobileté;
Bien le sachiez, s'il étist loiauté,
Tséust meillor en trestout le régné.
A'ers les Roiaus chevaucha abrivé ^ ;
Le Borguignon a premier encontre,
Tôt cors à cors ont ambediii jouste ;
Bernars ne (Toule, li Borgoins a versé ^ ,
• S'en ist, sort du châleau de Naisil.
2 A quatre vins, avecquatie-vingis. Variantes : A quatre
cens. — A trois cens homs.
3 Flore, fleuri, peint à fleur de lis, comme alors tous
les écus de distinction. Cette circonstance ajoute à la dif-
ficulté de retrouver l'origine des armes de France : mais
on voit qu'au temps de Jehan de Flagi, nos rois n'avaient
pas encore seuls le privilège de porter sur leur écu la fleur
de lis.
4 Les Roiaus , les chevaliers de l'armée du roi. —
Abrivé, prompt, rapide. Les Catalans, comme me l'ap-
prend M. Tastu , disent encore abrivat dans le même sens.
5 A'c croule, n'est pas ébranlé du choc.
{
GARIN LE LOHERAIN.
Naisil ! escrie ; là ot le jor josté,
Lances biisies el fors esciis troués :
Diex! coin le fait Bernars et ses barnés !
Moult bien chalonge et le pas et le gué '.
Mais li Borgoins est el cheval montés
Et Borguignons sunt o lui ajoustés,
Maugré Bernarl en passèrent le gué.
Garins chevauche tout coutrcval un pré,
A quatre cens chevaliers adoubés;
Se tant atent Bernars qu'il soit passés,
Jà comperra , se à plain est trouvés ".
Mais Bernars sait de guerre à grant plenté,
Que bien en fu norris tout son aé;
Dist à sa gent : < Trop i avons esté,
« Tornons nous en. » Et il s'en sunt tornés;
Tr( stout le pas ne s'i sunt arrestés.
' CInilonge , dispute, vlùfend. Ce mot parait venir du
mot laliu calumniari , que Ton prononçait peut-être calum-
jari. — Pour bien entendre ce vers et les suivants, il faut
supposer que Bernard joula contre Auberi , quand celui-ci
allait traverser, à l'endroit gitéable, le fossé qui entou-
rait le cbàteau de IS'aisil; la rivière d'Orne peut-être.
2 Jà comperra, etc. Il le paiera cher, s'il est trouve en
pleine campagne.
3.
5a LI ROMANS DE
XXX.
(^4^^(^\ s'en Bernars li sires de Naisil,
"^MJ^rDe toiunoier ne fii plus entreprins '.
^^^S^^Çhes siens enmaine; tout derrières s'est mis,
Sovent retorne et sovent lor guenchit ^.
Au chief dou pont fu grans li fouléis;
Garins enchauce et ses niés Auberis.
Et dit Bernars : « Passez tôt à loisir,
" Ne doutez homme tant com je soie vis. «
Devant la porte fut moult grans li estris ^,
Et gietent pieres cil qui as murs sunt mis.
Volent saietes et grans quarriaus niassis;
Entour les portes se sont Loherens mis.
Li os se loge, chacuns son atrait fist " :
Li sommier vinrent, si ont pavillons prins.
Tout environ le chastel de Naisil ,
» ]Se fu plus entreprins. Il ne songe plus à jouter de-
vant lui.
2 Lor guenchit , leur échappe par uu détour.
î Li estris, la lutte, et non pas les étriers, connue je
l'ai interprété à tort dans le premier volume. De ce mot,
ou a fait esiriver, relriver, interrompre, contredire.
4 Son atrait, ses dispositions, son attirai!.
GA.RIN LE LOHERA.m.
A la rcf)nde, si com il fii assis ,
De pavillons poissiez moult véir;
Et defors l'ost , à haies , à jardins ,
Logent serjans dont il ot bien dis mil;
Et les communes logent par le larris \
Li cuens Bernars fu par vertu assis,
Mais il nés prise vaillant deus Parisis ;
Renart resenble qu'en la taisnière est mis.
Julis César, quant le chastel conquist " ,
Il i fist faire et croates et chemins ^
Par dessous terre, s'en puet-on bien issir
Bien quatre lieues, ou cinq ou neuf ou dis;
« Et les communes. Encore les communes qui font partie
de l'armée du roi. — «Mais,» dira-t-on, «l'histoire ne parle
des communes qu'au moment de la bataille de Bouvines. »
— Mais, dirai-je à mou tour, un seul historien a men-
tionné la présence des communes dans cette bataille; sans
lui , vous ne les verriez figurer que sous Philippe-le-Bel, au
commencement du xiv*' siècle. La belle preuve négative !
2 Quant le chastel conquist. Variante :
.... Quant le chastel féist.
Le déplorable oubli dans lequel nous sommes tombés sur
notre histoire nationale ancienne fait qu'aujourd'hui on
rattache partout à Jules-César les monuments et les tradi-
tions dont on ne peut assigner la véritable origine. On voit
que cette habitude est ancienne.
î F.t croûtes, et grottes, caves souterraines.
54 LI ROMANS DE
Par là s'en ist dans Bernars de Naisil.
Trois fois, lejors, toute l'ost estormit
Et les charrois lor defent et laidit.
Jà n'iert nul jors ne fasse nouvel cri;
jMé li passages ne sera si garnis
Né li forrier n'iront par le pais
Que il n'en isse au soir et au matin :
Molt est iriés l'emperéor Pépins
Et jure Dieu, s'il est à force prins,
Que il sera escorchiés trestout vis,
En aiguë chaude iert li siens cors boullis.
Fromons li (picns à la nouvelle oï :
Dedens son tref fist ses parens venir ;
— « Avez oï de nostre roi Pépin,
« Com il menasse mon oncle de Naisil ?
<i Se il ce fait nous sommes tous honnis.
« Mais mette soi Bernars en sa merci,
« Nos proierons à nostre roi Pépin
« Que pas n'abate le chastel de Naisil. »
Et il respondent : « Sire, bien avez dit,
'i Tousjours avez esté de sens gai'ni. «
Fromons apelle Guillaume de Monclin :
— « Alez-i , frères , « fait-il , <; je vous en pri. »
— «. Moult voUentiers, » Guillaumes respondit.
Il est montés sor un cheval de pris;
Ains ne fina, s'est venus à Naisil.
GARIN LE LOHERAIN. 55
Devant la porte s'arcsta et {^iienchit '
Tout (Jroitemont, sor le pont lornéis.
Gent apela que il, là dedans, vit :
— « Ne traiez mie, franc chevalier gentil 2,
« J'ai nom Guillaume, le sire de Montclin,
« A mon chier oncle vueil parler de Naisil ;
>< Ovrez la porte, s'il vous vient à plaisir. »
Et cil respondent : " Atendez un petit,
'< Tant que soions de Bernart reverti. »
Adont s'en vont li chevalier gentil;
Jusqu'à la salle ne prinsrent onques fin ,
Voient Bernart, si l'ont à raison mis :
— n Là defors est Guillaumes de Monclin ,
" Il est tos seus, de sor un cheval gris ^. »
Et dist Bernars : « Si, le faites venir. »
Et cil li courent tantost la porte ouvrir.
Li quens Guillaumes dou cheval descendi ,
Bernars le voit, à l'encontre li vint :
— « Biaus niés, » dist-il, « bien puissiez-vous venir!
'< Bien avez fait quant vous venites ci,
« Au grant besoing voit-on bien son amin ;
« Or vois-je bien que cuer ne puet mentir. »
Par le poing destre l'a maintenant saisi;
• Et guencliit, et fit demi-tour pour entrer.
2 Ne traiez mie , ne dirigez pas de flèches contre mor.
î Tos sens, tout seul.
56 LI ROMANS DE
II li monstra ses greniers et ses vins
Et ses lardiers où li bacon sunt mis '.
Et dist Guillaumes: « Molt bel trésor a ci 2 !
« Por Dieu, biaus oncles, entendez un petit :
" Faites ice que diront vostre aniin;
« Envers le roi vous metez en merci.
« Li chevalier en prieront por ti,
« Jà ni perdras, vaillant un angevin. »
Bernars l'oit, à poi n'enrage vis :
— « Fis à ])utain , vénistes-vous pour ci?
« Trop par scroie vergondés et honnis,
« Se me mettoie en la merci Pépin.
« Mais dites moi , jà n'i mettez respit,
" Aiderez-moi ma guerre à maintenir ? »
— " Nenil voir, sire, » li quens Guillaumes dit,
« Ains m'en irai arriers en l'ost Pépin. »
— « Non ferez, certes , » li quens Bernars a dit.
<f Par saint Denis , vous estes molt bien ci. »
Dist à ses hommes : « Prenez-moi ce chetif. «
Et cil ce font tantost com il l'ot dit.
Tant le redoutent que n'i ot contredit.
1 Li bacon, les lards, les jambons. Ce mot est resté
dans la langue anglaise.
2 Molt bel trésor a ci, il y a ici, etc. Mais remarquez
que dans noire phrase moderne, l'emploi simultané de y
et ici forme un gros pléonasme.
GARIN LE LOIIERAIN. 57
Le baron font en la cliartre flatir,
Trois jors i fii que il ne but de vin ,
Né ne manja, car ou ne li ofri ;
Et au quart jors fu fors de chartre mis.
En l'est en vint coureçous et maris;
Fromons le voit pâle et descolori ,
Il li demande : « Qui vous a si bailli ' ? »
— '< Sire, vostre oncle, li sires de Naisil ,
« Li maus traîtres qui en prison m'a mis;
'< TVe l'amerai tant com je soie vis ,
'< Ains l'ocirai, s'a l'assaut puis venir. »
Et dist Fromons : « Par mon chief , mar le fist. »
Or redirons de Begon le marchis
Qui de ses plaies estoit sains et garis ,
Et vint en l'ost enforciés et garnis;
De l'autre part furent li ostel prins.
Et dans Bernars est dou chastel partis,
En sa compaigne de chevaliers sept vint,
Par une croûte que firent Sarrasin ' ;
• Si bailli, ainsi mené, arrangé.
2 Sarrasins, les Romains. A la note que j'ai placée a la
page 88 dti tome I"^' , j'ajouterai cette remarque du car-
dinal du Perron. « Sarrasins, dans le vieux slvie françois,
'< signifie toute sorte d'infidèles, comme le mot Franc, en
«Orient, signifie toute sorte de chrétiens latins. »
( Perron iana.)
3..
58 LI ROMANS DE
Murs et sommiers cnmainc quatre vint '.
Et Bègues monte quant il oit le cri,
O lui enmaine chevaliers trente sis;
En -lin vausel li dus le consivit »
Si com il (lut en sa croûte venir;
« Chaste! ! " escrie, si tost com il le vist ^.
Et Bernais torne quant il le vit venir.
Tant corne porent des espérons furnir,
Se sunt venus sor les escus férir;
Bègues chancelle et dans Bernars chaït.
A la rescousse vint Fauconés, ses fis,
Bernars remonte sur un destrier de pris.
Là véissiez un estor maintenir;
La gent Bernart le signor de Naisil
Lor courent sus , si en ont dis ocis ;
Begon niéismes eussent il mal mis.
Que desous lui fu ses chevaus ocis.
Uns escuiers à ses compagnons vint;
A haute vois à escrier se print :
— « Frans chevaliers, que faites-vous ici?
« Mors est dus Bègues se Diex n'en a merci. »
' Murs, pour muls , mulets. C'est ainsi que nous h'ou-
vous m.ar pour mal.
2 Le consivit, joignit Bernait en un vallon.
3 Cliastel. On se rappelle que c'était déjà le cri de guerre
du père des Lorrains, Hervis.
GA.RIN LE LOHERAIN. $9
Gai'ins monta, (luanl la nouvele oït,
En sa compaigne chevaliers qnatre mil;
Se Jîernart trueve , mallement iert baillis.
Bernars regarde, si vist Garin venir.
Faucon apclle : « Alons nos-en , amins, ,
« Je vois ici le Loherenc venir. »
Et cil s'en torne, si corn Bernars eut dit,
Derrier se met, por les siens garentir.
Bègues remonte sor un cheval de pris;
Assemblé furent et Bègues et Garins.
Qui dont véist Begon le Palasin
Sor ans torner et durement guenchir,
De gentil home li poïst sovenir.
Tout droit au pas les a fait revenir ' ,
Ens les enbatent, malgré en aient-il,
Dedans la crote que (irent Sarrasins.
Plus i perdist Bernars que ne conquist,
Car de ses hommes i a mort trentesis.
Desor la crote li Loherens se tint;
Charpentiers mande et fait maçons venir,
Bien fait murer la crote et si emplir "
Jamais Bernars ne s'en porra issir.
> Au pas, au passage qui conduisait au souterrain ou
grotte.
» Si emplir, tellement emplir que. . . .
6o LI ROMANS DE
Et Bègues serche le pas et le païs,
Ni trueve crote ne fasse bien garnir
Et bien murer et richement cnpiir.
Or est Bcrnars à la réonde assis;
Ne s'en istra jamais par les larris ',
A droite porte l'en convcnra issir.
Bègues commande qu'on un castiel f'éist
Par quoi il soient là dedans envaï '.
Li quens Fromons a la parole oï :
A tout quatorze des mieus de son païs,
' Par les larris, etc., c'esl-à-dire : >< Bernard ne pourra
plus à l'avenir faire de sorties dans la campagne, par les
terrains inégaux et déserts; il lui faudra sortir par la
grande porte de Naisil. »
2 J'ai suivi la seule leçon du n° 9654 , parce qu'elle me
paraît de beaucoup la meilleure. Les autres manuscrits
s'accordent à ne pas donner le second vers.
Begons commande qu'on uti cbastcl feisl. —
Bcgons commande qu'on un castiel feist. — ;
Begons commande qu'on le chastel iireisl.
1\ faut entendre ici par castiel une sorte de galerie rou-
lante et flanquée de tours, employée pour l'attaque des
places fortes. On la nommait plus communément chat ou
chas-cliastiaux ; et l'on nommait chat-faux les construc-
tions faites rapidement autour d'une place assiégée. De là
échafaud.
GARIN LE LOHERAIiN. 6i
En suut monlc soi- les chevaiis de pris;
Jusqu'à la porte ne |)risrent onques fui.
Mande Bernart venij;ne parler ù H
Et li vassaus isnellemcnt i vint :
— ■( Por Dieu, hiaus oncles, » li quensFromons a dit,
'c Et car créez, s'il vous plaist, vos amis,
« Se ne le faites , vous estes escharnis. »
— « De quoi , biaus niés ? » li quens Bernars a dit.
— '< Se vous rendez à iiostre roi Pépin ,
« Li chevalier prieront tuit por ti ,
" Garins niéismes en fera moult por mi.
'< Il est prodons, ains plus léaus ne vi. »
Et dist Bernars : « Merveilles puis oïr!
'< Certes vint ans i porra bien cropir,
<t Ains que par force né par assaut soit prins.
« J'ai là-dedans et pain et char et vin,
« Fuerre et avoine à nos chevaus de pris,
■< Et belle dame pour faire mon plaisir '. »
— « Si ferez, oncles, por Dieu je vos en pri. »
Et dist Bernars : « Moult m'est grief à tenir;
■ Je le ferai, tout à vostre plaisir,
' Variante :
Kt bele dame , s'il m'i plaist , à gésir.
(Msc. 7542.)
Et bielc feroe , se moi i plaist, dormir.
(Msc. 9654. )
62 Ll ROMA.\S DE
« Par tel convcnt que ne perde Naisil. »
— « Non ferez, oncles, por voir le vous af(i.
Bernart enmainne devant le roi Pépin;
Le roi apelle li Flamans Bauduins :
— « Vez-ci Bernart qui se met à merci,
« Par tel couvent corn vous porez oir,
« Que il ne perde le chastel de Naisil ,
« Et il rendra la perde au duc Garin. »
Et dit li rois : « Je le vueil bien ensi. "
On li demande les clés, il li rendit;
Bègues i va conraiés et garnis,
Le chastel a et la ville saisi.
Et la tor a contre terre flali,
Et tous les bailles et les hauts murs croissis
Nel sot Bernars, tant qu'il oit les cris.
Dont vit il bien qu'il en estoit traïs.
— « Sire , » fait-il , '< j'estoie en ta merci ,
« Abattu m'ont le chastel de Naisil ;
« Si grant outraige ains de mes iex ne vis.
« Se je séusse, certes, que fust ensi,
« N'i entrissiez, jusqu'al jor del juis. »
— « Nel commandai , » l'emperères a dit;
Begon manda, si l'a à raison mis :
— « Sire vassaus, trop grant outrage a ci. »
I Bailles, fortifications extérieures.
GA.R1N LE LOHERAIN. 6^
Et dil li dus : o Jà est il ore ensi?
n Bernars est lerres , si brise les chemins,
« A tel inurtrier ne doit l'en plait tenir";
n Forment s'en plaignent entor lui si voisin
n Que maintes fois, fist lever par matin. »
Respont Bernars : «Vos i avez menti. »
— « Lessiez ester, • li cuens Fromons a dit ,
« Priez le roi que de vos ait merci.
■'■ Quant vos porrez et vos aurez loisir,
T Refermerez le chastel de Naisil. "
— «■ Moult volentiers, " a dit li rois Pépins.
Bègues en vint au Loherenc Garin %
Si li a dit : « Entens un poi à mi ;
( Cis maus lechieres de vos il doit tenir,
'1 Ne laissiez mie son chastel enforcir;
'< Qu'ains vérité ne sairement ne tint. ■>
— << ^on ferai-je , frère», » ce dit Garins.
Les os départent et chascuns s'en revint.
• A tel murti ier; l'ou ne doit pas faire de couvenlioos
avec un tel brigand.
' Bègues en vint, etc. Au lieu des cinq vers suivants,
les mss. 1244 et 7628 » S. Germ., portent :
Il li proia li et li dus Garins,
Il li perdonne de bon cuer et de 6n.
Il s'agit ici de Bernard et non plus de Bègues, qui ne de-
mandait et n'aurait voulu recevoir aucun pardon.
64 LI ROMANS DE
Li rois s'en va séjorner à Paris
Et la roine , qui tant a cler le vis.
Et en Gascoigne li dus Bègues en vint.
Chascuns des princes s'en va en son païs.
Et la roïne à remperéor dit :
— « Sire, » fait-elle, « entendez un petit;
« Car mariez le Loherenc Garin ,
« Lui et Begon, son frère de Bélin.
« L'autrier me dist li prevos Bancelius ',
«■ Fromont le quiert à sa suer Heluis.
« Se lor lignaiges estoil ensemble mis,
« Tost vos feroient correçons et marris,
« Il vos tolroient honor à maintenir ». »
— « Moult dites-bien, » ce dist li rois Pépins.
Li rois se levé , si tost coin li jor vint ,
De ci à Blaives ne print-il onques fin.
Trueve Milon o le grenon flori^
Encontre liève quant son nevou choisi "• :
I Li prevos Bancclins. Variantes :
Li lolaus Bnncelins.
Li prieur Lancelins.
* Honor, toujours dans le sens de puissance.
^ Le grenon, la moustache, et non pas les cheveux,
comme je l'ai dit dans le premier volume, page 87. On sait
que l'usage de la barbe finit eu France avec le règne de
Louis TU, c'est-à-dire en iiSo.
4 Son nevou. Milon était donc frère de Charles Martel.
GARIN LE LOHERAIN. 65
— <c Biaus niés, » fait-il, ». bien puissiez-vous venir!
'< Bien a dis ans que jamais ne vous vj;
« Dès que Gascoigne et Bretaigne préis,
-T Et tu , por moi, chevalchie féis '. »
— « Oncles, » fait-il , « je suis venus ici :
» A grant merveille est troublés mes pais.
« Moult crains Françeis, Norman t et Angevin "
<c Que ne me tollent ce que j'ai à tenir.
'< Ta as deus filles , au gent cor signori
< Et j'ai deus contes dedans ma cour noris,
'< Il sunt mi homme et de mon fief saisi;
'< S'il ont mes nièces je en serai plus fis ^. »
— « Sainte Marie! «li dus Miles a dit,
I Les mss. S. Germain 1244 et 7628 ne donnent pas
ces deux vers, et le msc. 9654 ne donne que le dernier.
Cette chevauchée du roi Pépin en Gascogne, sans doute
chantée dans une branche non conservée, est cependant
indiquée dans la i^^ chanson, i**^ volume, page 71,
vers i^'. Au reste, Blaives, où séjournait Milon, n'élait
pas compris dans le fief de Gascogne proprement dite, que
tenait déjà Bègues avant son mariage. C'était le séjour or-
dinaire du duc d'Aquitaine, duquel relevait Bordeaux.
» Variantes :
Crieng ke Flamenc Normant et Angevin.. . .
(Msc. 9654.)
Moult dout en France Normant et .\ngevin.. . .
(?/Isc. 7628.)
^ Fis, affermi {fixiis.)
ry6 LI ROMANS DE
« Je n'ai plus d'oirs pour ma terre tenir :
« Et duc et route les ont assez requis;
" N'en vuelent mie, tuit les ont escondis.
'■ Li ainsnée aime le Loherenc Garin ,
'< Le duc de Mez, le chevalier gentil;
" L'autie pucèle qui a nom Biatrix
« Aime Begon, le signor de Belin,
« Ton seneschal qui est preus et gentis.
n II s'acointerent, quant il furent ici ';
« Se ces deus n'ont, tuit autre i ont failli. »
— <( Sainte Marie ! » ce dit li rois Pépins,
« Ce sunt li duc porquoi je viens ici. »
— «Eh ! Diex l'otroit! >- Miles li respondit,
« Mandez les dont , jes désir à véir 2. »
Mandent à Mez le Loherenc Garin;
Et il i vint molt richement garnis,
O lui trois cent de chevaliers de pris.
Bègues revint dou chaslel de Belin,
Li rois se lieve quant il le vit venir.
Miles les baise quant il les eut choisis.
Vint eus as chambres et as pucelles dit :
— « Mes belles filles , pensez de vous garnir
' Quant il furent ici, quand ils acquirent au roi Pépin
tote Gascoigne et Poitou. Voy. toin. I*"^, pag. 71, v. i.
2 Jes, je les.
GARIN LE LOHERAIN. 67
« Des plus biaiis tiras que vous pourrez choisir;
« Venez, ça fors, deus chevaliers véir. »
— " Qui sunt il, père? » ce a dit Aelis,
« Tel pevent estre du tout i ont failli. »
— « Jel vous dirai, » li dus Miles a dit.
« Lainsnés a non li Loherens Garins,
« Dus est de Mez et fis au duc Hervin ;
« Et l'autres Bègues dou chaste! de Belin -,
« 11 ne siuit mie né ribaut né frarin ' ,
'< Sénéchal sunt l'emperéor Pépin.
« Jà en lor route ne troverez roncin ',
« Fors pallefrois et destriers arabis. »
Quant celles oient ce qui lor abélit ,
Ens en la chambre montèrent por vestir.
Vestent bliaus et pelissons hermins ^
Et afublerent les mantiaus sebelins *.
> Né ribaut né frarin. Variante :
Garçon ne poverwi.
(9654.)
Frarin a toujours le sens de mendiant, misérable; mais
j'igaore l'origine de ce mot.
ï En lor route. Parmi les guerriers qui combattent sous
leur enseigne , à leur solde. — Roncin se prend ici , comme
on le voit, dans le sens générique de cheval.
3 Pelissons hermins, pelisses d'hermine.
4 Mantiaus sebelins , de martre zibeline.
68 LI ROMANS DE
Sor les espaules lornent arrier lor crins '.
Jusqu'au pallais ne prisrent onques fin;
Miles les guie qui par les dois les tint :
— « Tenez mes filles, bians sire rois Pépins,
I Metez les si qu'à bien puissent venir. »
II les enbrasse soz son mantel hermin ",
« Sor les espaules. Variantes :
Sor les voQsures d'argent tornent lor crins.
(S. Germ. 2041.)
Deseur leur ciés ont deus capelès mis
D'or et de pierres , avenament lor sist ;
Sur les vausieres derier vinrent lor crins
Moult furent bieles, s'ont les cors escaivis ,
Fors RIanceflor nos plus bêle ne vit.
(9654.)
Le mot Dousures ou vausieres doit siijnifier cercle ou tour-
nure (du latin volvere). Voussure est resté eu style d'ar-
chitecture, dans un sens analogue. Ducange, au mot vol-
sura, renvoie à rufia, où il explique l'un et l'autre : peau
des animaux couverte de poil. Il s'est probablement trompé,
du moins quant à -volsura, dont il ne cite pas l'exemple.
ï Soz son mantel hermin, c'est-à-dire : le roi ayant en-
tr'ouvert sou manteau d'hermine , pressa les deux filles
sur son sein. — Variantes :
Il les reçut sos son mantel hermin ,
Si en appelle , etc.
(S. Germ. 2041.)
Li rois se dresce tunlost corne il les vit ,
Si les emhrache sos les mantiaus bermins.
(9654.)
GARIN LE LOHERAIÎS. 69
Et les pucelles li font parfont enclin.
Il en apelle lo Loherenc Garin :
— « Venez avant , le fis au duc Hervin ,
« Tenez ma nièce, la bien faite Aélis;
« Et vous , dans Bègues dou chastel de Beliu ,
« A vous doing-je la belle Biatrix,
« S'est la plus belle que onques Diex féist ;
« Et de la terre amdui vous revestis.
« Miles iert moines au mostier Saint Seurin '. •
Et cil respondent : « Sire, à vostre plaisir! ><
Chascuns des contes la soie rccoillitz,
Puis les menèrent au mostier Saint Martin ^ :
Deus arceuesques i out au benéir;
Li uns de Borges qui appartient Aubri ■*
Et l'autres fu de Bordelle la cit.
Là les espousent et d'argent et d'or (in '.
> Saint Seurin ou Saint Surin , à Bordeaux.
2 La soie, la sienne, sa femme promise.
^ Saint Martin. Variante : Saint Seurin.
4 De Barges qui appartient Aubri. Le vicomte de Bour-
ges ne relevait donc pas des comtes du Berry, mais des
durs de Bourgogne. Ainsi le fief d'Aubri le Bourgoing
comprenait, avec la Bourgogne actuelle, le Ni\ernais et
partie de la Lorraine et du Berry.
5 Et d'argent et d'or fin, c'est-à-dire, suivant la cou-
tume des Francs; c'est ce qu'on appelle dans les lois bar-
bares sponsaita munera dare, ou de solido et denario spon-
70 LE ROMANS DE
Bègues parole si que luit l'ont oï ■
— « Entendez-moi , vous qui estes ici ,
« Et vous biaus frères, entendez-i aussi:
n Vous tenez quite la terre au duc Hervi *,
« Le Loherenc qui nous engenui ;
« Je n'en ai rien , ce set-on bien de fi.
'< Je tieng Gascongne que me donna Pépins ,
« (De Dieu en ait et grâces et mercis! )
1 Et si avons ambedui feme prins;
« Bonne est la terre que avons mes conquis 2.
« Un gieu vous pars, voiant tous vos amins^ :
« Je ne vneil rien en ce que j'ai conquis;
n Prenez la terre que vous véez ici,
« Je la ferai quiter à Biatris,
sare, comme dans Frcdegaire, Epifome, cap. 18 : << Legalos
« ad Guiidebaldiim dirigit, pctens ut Clirolechildem, iiep-
« tem siiam , ei in conjugium sociandam traderet. Legali
<• offereutes solidum et denarium (ut mos erat Prancorum),
« eam parlibus Chlodovei spousam, placitum ad piîesens
« patentes, ut ipsam , ad conjugium, traderet Chlodoveo. »
La même expression se retrouve frécpiemment dans notre
Roman, et c'est, à mon avis, un grand indice d'antiquité,
comme tout le discours de Bègues.
' Quite, entière.
2 CoïK/nis, dans le sens absolu de gagné, acquis , comme
encore phis bas.
3 Un gieu nous pars, je vous laisse le cboix. (Voy.
tom. 1*"^, pag. 102 , note 2. )
GARIN LE LOHERAIN.
" Et je tenrai la tfiii' an iliic Hervis.
« Ou s'il vous plaist et vous doie abelir
« Que vous teniez à la terre Hervis,
« Faites quitter la terre à Aélis '. »
Dient trestuit : « Bègues a moult bien dit. »
— « Et je prang Tun, « ce dit li dus Garins *;
« Del tout me tieng à la lerre Hervin
" Que mes linages et mes ancesties tint ^. »
Sa femme appelle et en riant li dist :
« Venez avant, la bien faite Aélis,
" Quitez la terre cpie vostre pères tint,
« Moult bon eschange vons en donrai ici;
' Ce discours de Bègues est la plus forte preuve que l'on
puisse offrir de l'ancienneté di- notre poème, du moins dans
sa composition primitive. Tons nos auteurs s'accordent à
penser que le droit d'aînesse date de l'époque même où les
liefs devinrent héréditaires; c'est-à-dire, an plus tard, sous
Charles-le-Chauve. Et voilà que Bègues et Garin traitent
la question du partage égal , non seulement de leur patri-
moine, mais encore de l'héritage de leur commun heau-
père! Il est bien évident qu'une pareille controverse ne
peut avoir été supposée au xn^ siècle.
' Je prang l'un , c'est-à-dire : je choisis l'une des deux
parts.
3 Mes dans le sens de mon (meus). — Ancestres ré-
pond à prédécesseur, auteur.
72 LI ROMANS DE
« Vous teniez Mez , la grant cité de pris ,
« Val saint Dié, là où li argent git '. »
J Val saint Dié. Variantes : Vaut saint Dyel ( 7533 ). —
Vaul saint Diey {S. Germ. 1244). — Val saint Dy (7628).
Les mines d'argent deSaiut-Diez étaient, comme on le voit,
célèbres longtemps avant le xvi'' siècle , époque de leur
seconde exploitation. Si l'on en croit Piguerre ( Hist. de
France, liv. 2), elles furent découvertes vers l'an i525,
par les seigneurs de Rapolstein , cpii , « ayant trouvé au
•■ lieu nommé Saint- Jacques une grande mine d'argent, ne
«cessèrent qu'ils n'eussent éventé toutes ces minières; et
« après avoir bien creusé, ils trouvèrent plusieurs grands
« puits et anciennes avenues, où les anciens avoient cherché
•< des métaux et fait des miuières bien profondes. Mais ils
« avoient abandonné ces recherches par la grande quan-
« tilé d'eau qu'ils rencoutroient et qui se ramassoit dans
•< ces puits. "
Je n'ai pas vu de monumeut authentique de ces mioes,
postérieurement à l'année 1120. Dans une charte de celte
époque, donnée à l'égUse de Saint-Diez par Simon 1*^"^, il
est dit : •< Si argenlum de montibus elicilur, si montes in
« banno S. Deodati fuerint, argentum quo ad ditionem ejus
•< et suorum pertincbit. >■ (Don Calmet, Preuves de l'Hist.
de Lorraine, tom. IL ) D'après ces termes , on peut sup-
poser que les mines du Val Je Saint-Diez n'avaient déjà
plus une grande importance, ou du moins que la principale
exploitation était dans les montagnes voisines.
Un autre passage plus curieux nous est fourni par l'au-
teur de la Vie des évèques de Toul , sous la date de 965 à
GARIN LE LOHERAIN. 78
Et dit la clame : -< Volentiers, biaus amins;
'< Et moi et vos n'avons-nous riens partis',
'( D'or en avant ferai vostre plaisir. »
Vont s'en li frère, amdui sunt départi;
Les deux serors s'entrebaisent iqui
Et li dui frère se baisent autresi :
Miles li dus a les noirs dras vestis
Et son règne a et sa terre guerpi;
Bègues remaint, si s'en rêva Pépins.
Garins enmainne sa moillier Helui;
De ci à Mez ne prist-il onqnes fin :
Il a mandé les haus barons de pris
Et fist ses noces de la belle Helui.
994 : « Adquisivit idem praesul (S. Gerardus) à prœfalo
" imperatore (Othone) abbatiam S. Deodati.... accepit à
« duce Béatrice i-viii mausos.... ipse concessit duci Beatrici
« tempore vilœ siiae, et post se unifdio siio, tenere abbatias
•< medii monasterii el S. Deodati et décimas mince ar-
.< genti, etc. » ( Martenn. Thesaur. anecd., tom. III.)
L'époque de l'exploitation de la mine de Saint-Diez est
donc bien celle où vivaient la duchesse Béatrice el son fils
unique. C'est également l'époque à laquelle notre poëme
offre les plus fréquentes allusions. Nouvelle preuve que sa
composition ne peut guère être postérieure au .\i* siècle.
' Riens parti, rien de séparé.
II. 4
74 LI ROMANS DE
Première nuit qu'avec ele dormi
L'eure fu bonne , si engenra un fil ' ,
Girbert ot non , si com la chansons dit ,
Au bras de fer ^t au cuer euterin %
Qui tanles ijuerres mena vers Fromondin,
Et Fromont fit aller aus Sarrasins,
Dieu renoier et sa mère guerpir.
Et H dus Bègues respousa Biatris 3 :
De celle issit et Hernaut et Gerin
Aus cuers vérais et aus talens hardis ,
Qui tant amerent Girbert le lor cousin.
Bègues séjorne à Blaives la fort cit :
La féauté a de ses hommes prins.
Enceinte fu Biatrix de Gerin
1 L'eure fu bonne. Les mss. portent : Loure , toiture,
'eure, luere, lore et lliore. J'ai choisi cette dernière leçon
(tome r'', page 49).
2 Au bras de fer. Avariante : Au branc d'acier. ( Msc.
7533. 2- 2") — Les aventures de Girbert sont racontées à la
fm de la troisième et dans la quatrième chanson.
3 Respousa. Cette expression est curieuse. L'usage
semblait donc exiger que les deux époux fissent cha-
cun de leur côté les cérémonies nuptiales. Les noces
d'Heluis et de Béatrix avaient été célébrées à Elayes, celles
de Garin le furent ensuite à Metz; mais il semble que
Bègues ait recommencé à Blayes même les siennes.
GARIN LE LOHERAIN.
îVeuf mois tout plains, si coin dit li escris'.
Droit en Gascongne s'en veut Bègues venir
Véoir sa terre, que pièce a ne la vit.
Sa voie atorne, s'enmaine Biatrix;
Devant envoie au chatel de Belin,
Ses barons mande vengnent encontre li ;
Uns pautonniers a la novelle oï ".
Cil le confonde qui terre et la mer fist!
Cis renouvelle et le duel et le cri ^
Et la grant guerre qui jà ne penra fin,
Dont furent mort li chevalier gentil.
Li pautonniers à Bordelle s'en vint.
Trouva Thiebaut et son frère Estormi,
As esches joue à Berengier d'Autri*.
Li raesagiers fièrement li a dit :
— « Par Dieu , biau sire , que faites-vous ici ?
« Laissiez le gieu, mar fu-il entreprins ;
'< Perdu avez la belle Biatrix,
« Bègues l'a prins qui Ysoré ocist.
'( Je fui as noces , ne vous eu quiers mentir,
' Neuf mois, etc. Variante :
Si com l'en conle , neuf mois et un demi.
ï Uns pautonniers, un infâme , un misérable.
5 Cis, c'est-à-dire: ce pautonnier.
4 Berengier d' A utri. Nous avons déjà vu paraître Galle-
rans d'ylutri, tome 1*"^, page 274.
76 LI ROMANS DE
« Li rois i fu qui trestot establit ;
0 Li dus Garins enmena Helui ,
« Miles est moines et sa terre a guerpi. "
Thiebaus l'oït, à pou n'enrage vis :
Li esches boute et le jeu espandit;
Tout coureciés à la fcncstre vint;
Haïmes le voit, si l'a à raison mis :
— « Par Dieu, biaus niés, que vous démentez ci? »
— « Certes, » fait-il , « je le vous arai dit :
o Hons suis Begon , par Dieu ce poise mi',
« Ne l'ameroie por tout l'or que Diex fist;
« Car il m'a mort assez de mes amis.
« Se nos l'avions détranchié et oci,
» Le remanant priserions moult petit.
« Mandez vos hommes et vos riches amis ,
« A moult grant honte le nos puet-on tenir
« Que nos soffrons entor nous un chaitif ,
« Et ne l'avons, bien a deus ans, ocis;
« Fais eussions au riche roi Pépin. »
Et dist cuens Haimes : « Vos dites voir, amis :
« Fais espier quant il passera ci ,
« Ociez-le , si prenez Bialrix.
« S'il avient chose que Franceis vengnent ci ,
« Bien avons gent por nos marches tenir;
« Il n'aront pas si tost nos chastiaux prins.
' Hons suis Begon. Par la cession que Miles a faite de sa
Icrie.
GARIN LE LOHERAIN.
' Pais en feront nostre inillor amin ',
■ Et nous serons de sa terre saisi, w
Ce dist Thiebaus : « Et je l'otroi ensi. »
Bègues chevauce au chastel de Belin ,
Et Thiebaus ot assemblé ses amins ;
Bien sunt dui cent, je cuil, et quatre-vins
Dedens les Landes : là ont lor agait mis.
Et Bègues passe, oui dame-Dieu ait!
Ensemble o lui chevaliers quatre vins;
Dos li Venerres et ses frères Hervis ',
Fouchiers li mainres et li preus Jocelins 3,
Et si i fu cil de Chartres Ouri -i.
« Pais en feront, etc., c'est-à-dire, nos meilleurs amis
feront notre paix avec le roi, et nous obtiendrons Ihon-
neur du fief de Bègues.
2 Hervis, surnommé le vilain ou du Plaisscis. — Dos li
Venerres ou Doon était alors châtelain de Blanzy, de "Val-
Perdu et du Val-de-Morin. (Voy. tom. I^', pag. 290 et
suiv.)
3 Fouchiers li mainres ou le plus petit, frère de Dos
et d'Hcrvis, et seigneur de Pierrelate. ( Jai fait, page 291
du 1^"^ volume, une note inexacte que l'on peut rétablir
d'après celle-ci et la précédente.) — Jocelins, sans doute
de Dijon, vassal du bourgoin Auberi, ainsi que Fouchier
le raainre.
^ Cil de Chartres. Variantes : Li Cliastelains. ( Mss.
7533, 7628, S. Germ. 1244.) — Cil de Chastel Olris.
( :6o8.)
78 LI ROMANS DE
Cil aincnoient la belle Biatrix;
Ne fineronl:, se Diex le vuet sofrir,
Tant que il venj^nent au chastel de Beiin.
Mais si grant painne crut au frère Garin,
Dont convenra mainte lance croissir
Et maint preudomme fors de la terre issir.
Si corne il vindrent ens avant el chemin,
Pardevant ans virent un pèlerin:
La gent Thiebaut l'ont battu et laidi ',
Tollu li ont et son pain et son vin.
Où voit Begon si l'a à raison mis :
— « Faites-moi bien, por le Saint-Esperit '
« Et por Saint-Jacques, que de mes pies requi;
« Mestier en ai, frans chevaliers gentis! «
Bègues le vit, moult grant pitié l'en print.
Un denier d'or donna au pèlerin.
Autre l'en donne la franche Siatris.
Pou en i ot ne li donnât ausi.
Dist li paumiers : « Riches sui. Dieu merci!
« Avez-vous garde, franc chevalier gentil 3? »
' Laidi, maltraité.
2 Faites-moi bien. Nous conservons cette expression
dans la réponse : Je ne puis vous bien faire. Voyez aussi
tom. 1*''^, page 270.
3 Avez-vous garde, êtes- vous en garde, en défiance,
avez-vous clé défiés. — La même expression se retrouve
plus bas.
GARIN LE LOHERAIN. 79
— « Por quoi le dis, biaus frères pèlerins? »
— !< En non-Dieu, sire, n'a gaires loins de ci,
■ Si trouveras de chevaliers set vint,
« Les blans haubers endossés et vestis.
'< Li pautonnier, cui Diex puist maléir !
< Il m'ont tollu et mon pain et mon vin
" Et mon coutel , mon henap maserin '. »
Bègues l'oït, si apella Hervi :
— « Que pevent estre, par le cors saint Denis?
« Avons-nous garde de ceus de cest pais? »
— « En non Dieu, sire, » ce disl li dus Hervis,
n Bordelois sunt qui gastent le chemin;
" Onques nul jor n'amèrent lor voisins.
« Je redous moult Thiebaut dou Plaisséis ,
« Car maintes fois a requis Biatris ' ,
« Millon son père, mais bien fu escondis :
« S'il le puet faire il la voura saisir.
I Maserin. Variantes: Mazelin, mazerin. Ce mot a
reçu différentes interprétations; la plus vraisemblable se
rapporte au mot belge maezer, érable, dont le bois servait,
chez les anciens peuples du Nord , à faire des coupes plus
ou moins recherchées, suivant les ornements donl on les
chargeait. Voyez Janus Dolmerus, dans ses notes sur la
jurisprudence norwégienne , et Ducange au mot Maze-
rin us.
ï yf requis, etc. Il a demandé Béatrix à Milon son père,
il en fut éconduit.
8o LI ROMANS DE
•' Laissons la voie, alons par cest larris,
<< Je vous menrai droitement à Belin. »
Et respont Bègues : « Tais, Hervis, mar le dis;
« Il sunt mi homme et de mon fief saisi :
« Miens selcrroient tous les membres tollir
« Que il m'osaissent, à nul jour envaïr.
« S'en eschapoie, je les ferois morir,
« Ens en ma chartre au plus parfont gésir;
« là Dieu ne plaise qui en la crois fut mis
« Que jà, por aus, laisse mon droit chemin.
« Se il m'assallent, je m'en vengerai si ,
« Tous li plus coin te vouronl estre à Paris. »
Qui dont véist la belle Biatrix ,
Moult se signa, quant la parolle oï.
— « Alez à terre , » li Loherens a dit ,
« Laciez ceshiaumes, franc chevalier gentil,
« Se il estoient cent et nos fussions dis ,
« Ne leur vauroit , tuit fussent desconfit. »
Li dus descent dou cheval où il sist,
Lasce unes chances, nuns si belle ne vit ';
Vest un haubert, si a un hiaume prins;
El destrier monte qui d'Espaigne li vint,
I Unes cliauces, c'esl-à-dire, une paire de chausses. On
sait que les chances de guerre se laçaient autour des jam-
bes. Guillaume le Breton, parlant de la ville de Bruges:
Brugia , qna; caligis obnubat crnra potentum.
GARIN LE LOHERAIN. 8i
Grant et courant et isnel et hardi ,
Tout a couvert et col et croupe et pis.
Dist à sa gent : « Venez-en après mi. »
Doon commande la belle Biatrix':
— « Quoiqu'il avengne, prenez garde de li.
Dit à Rigaut : '< Prens mon escu, amins 2. »
Et cil respont : « Tout à vostre plaisir ! »
Bègues s'en torne à val un brueil flori •* ,
Monta un tertre , si a son regart pris ;
Il garde à val, les chevaliers choisi ,
Parmi les Landes les chevaus près saillir.
Rigaut apelle : 1 Alez arrier, amins;
« Faites mes hommes toz en conroi venir. »
I Doon commande, il confle à Doon.
» A Rigaut. Ce jeune homme n'était pas encore adoubé
chevalier.
3 A val un brueil flori , au bas d'un taillis ou d'un
champ de bruyères fleuries. Variante :
A tant s'en tournent conréé et garni
Le passelet à'Orgeul, le cbief enclin j
Bien samblenl gent de bien faire ahati.
Un terlre puie dus Bègues li inarcliis;
Levai avale, en l'autre point s'est mis.
Lors garde à val , les chevaliers choisi
Qu'ot embuschiés Thiebaus del Plasséis.
Parmi les Landes vit ces chevaus saillir.
Rigaut apielc , etc.
Cette leçon semble plus correcte, mais on ne la trouve
que dans le msc. 9654.
4..
82 LI ROMANS DE
— « Par Dieu , hiaiis pères, liaste-ioi, >^ Rigaiis dit
— « Si m'ait Dicx, voir, » ilist li pèlerins,
« Parmi les Landes en a plus de set vint. »
Moult s'en esniaie la belle Biatrix.
Encontre vienent, si ont les escus prins,
Et Bègues sist sor le cheval de pris,
"Voit ceus de là, fièrement lor a dit:
— « Qui estes-vous, qui gardez cest chemin ? >-
— « Bien le saurez,» li cuens Thiebaus a dit,
« Mar acointastes la belle Biatrix.
'< Fis à putain! com fustes si hardis
<< Qu'en ceste terre osastes bien venir,
« Puis qu'océistes dant Ysoré le gris?
« Or vos convient de maie mort morir. »
Bègues l'oït, à pou n'enrage vis;
Il ne demande qui est né cist né cil *,
En son escu va le premier férir,
Desoz la boude li a frait et mal mis,
Le blanc haubert déront et dessarti;
Mort le trébuche dou destrier où il sist.
L'autre rabat et le tiers a ocis.
I Biaiis pères. Ici l'enfant Rigaut transmet les ordres
de Bègues au vilaiu Hervis, son père.
' Qui est né cist né cil, qui est ou celui-ci ou celui là.
GARIN LE LOHERAIN. 83
A tant ez-vous le bon villain Ilervis ,
Lui et Doon et Hiiedon et Gaudin ' ;
Lieve la noise, si enforce li cris.
Quant Biatrix voit le inarteléïs
De la paor et de ce qu'ele vit,
Le jor senti son damoisel Gerin 2.
Li Bordellois fuissent jà desconfit ;
Là, lor ocient et Ponçon et Thieri.
Qui dont véist Begon , le fil Hervi ,
Au branc d'acier la presse départir,
Vis et mentons et cervelles bolir 3,
De noble prince li péust sovenir.
Descouû fuissent, quant Guillauraes lor vinf*,
Hains de Bordelle et li quens Harduins.
« Lui et Doon, etc. Variantes :
Lui et Doon et Simon et Tierri.
(Msc. 7542.)
Lui et Simon et Droon et Henri.
(S. Germ. 2041.)
> Gerin, l'enfant quelle portait dans son sein.
3 Bolir, boulir, rouler, qui eût vu rouler visasses , men-
tons et cervelles, etc.
-i Guillaumes , surnomme le Marquis. Vov. tom. I"'.
pag. agS, v. 3.
84 LI ROMANS DE
XXXI.
ÎRAKs fu la noise à l'estor coraencier ;
[©Là véissiez maint fort escu percier
j^^sEt tant vassal à terre trébuchier.
Qui dont véist Begons les rans cerchier ^ ,
Et à l'espée gueuchir et reparier ,
Cui il afaint n'a soing de dosnoier *.
Thiebaut abat qui voloit sa moillier,
Et les talons en fait à mont drecier;
Puis lor abat Guinemant et Gautier.
Dos li Venerres lor ocist Manessier.
Mais Bordelois, cui Diex doint enconbrier!
Begon navrèrent dou branc forbi d'acier;
Dou sanc de lui fu ses haubers moillés,
Pardesous lui ont ocis son destrier,
Et Biatrix corent au frain sachier 3 ;
1 Les rans cerchier, les rangs parcourir. Cette expres-
sion cerchier, tourner, est très-pittoresque. Quant à cette
phrase, qui dont véist, elle se reproduit souvent comme
ici, sans avoir de conclusion apparente; ilfaut l'eutendre :
Chacun (qnisque) aurait pu voir, etc.
2 Dosnoier, faire le plaisant.
3 Et Biatrix, ils courent saisir Béatrix par le frein de,
son cheval.
GARIN LE LOHERAIN. 85
Jà l'enmenassent li glolon pautonnier .
Quant la ducheise commença à huchier :
— « Hé! Bègues, sire, porDieu, ne me laissiez! »
Bègues l'oït, mais ne li puet aidier,
Li sans dou cors li raie à terre et chiet :
— « Lasse, « dit-elle, « ci a grant enconbrier;
(1 Ne verrai mais ton gent cors droiturier,
it Né vous le mien que vous tant amiez!
« Mes daraoisiaus qui en mon cors gisez,
« Dieu te doint vie que le puisses vengier ! »
XXXII.
v^SS^'^'i dont véist la belle Biatrix
^^^«^Corn se démente et crie à haut cris :
if^^^4«- Hé! Bègues, sire, frans chevaliers gentis,
« Ne verrai mais ton gent cors siguori !
<■ Mes damoisiaus qu'en mon ventre norris,
<• Dieu te doint force qui en la crois fut mis ,
« Que tu destruire puisses tes anemis !
<■ Mort ont ton père qui en ce sablon gist,
« Lasse! dollante, que pourrai devenir? »
— « Dame , » dist Haimes , « vous venrez avec mi ,
« Or vous tens-je et de vous suis saisis;
» Si vous donrai Thiebaut dou Plaisséys ,
86 LI ROMANS DK
« Riches hons est, et si vos aime si
« Que jà no peut né mangier né dormir. »
Et dit la dame : '< Mieus vouroie morir
« Que jà ma chars pust la soie sofrir'. «
Atant ez-vous Doon et dant Hervin ^
Et Berengier, Berart et Goscelin ;
L'uns fiert Droon et l'autres fiert Landri ' ;
Hervis abat le signor de Chauni ^ ,
Dos li Venerres ala Haimon ferir,
Poitraus né single ne le pot garentir;
Tant durement à terre le flati
Devant les pies la belle Biatris,
Que le bras destre li a brisié parmi.
— « Dieu ! » dist la dame , <• com gent cop a ici ! »
Qui dont véist le bon vilain Hervi ,
A la grant hache la presse départir;
Cui il ataint tout est de la mort fis 5.
Uns escuiers en va droit à Belin
Là où estoient li chevalier de pris ,
' La soie, la sienne.
* Doon, etc. Dos le Venerres et le vilain Hervis.
3 Landri, le châtelain de la Faldoine. — Droon , Droé»
d'Amiens. (Voy. lom. I'''' , pag. '-qS. )
4 Le signor de Chauni , Aliaumes.
5 Fis, assuré.
GARIN LE LOHERAIN. 87
Les bêles dames et li serjant hardi ;
Le duc atendent qui là devoit venir,
Por faire joie corne de lor ami
Et de sa ferae, la bêle Biatris :
Oiicques la dame ne fu mais cl pais.
Là véissiez vallès escus tenir,
Les chalemiaus , les vielles tentir,
Et les caroles chanter et esbaudir.
L'escuier voient parmi les chans venir,
Il li demandent : «Vient li dus Bègues ci ? '■
Et cil respondent : « Si m'ait Diex, nenil ;
« Li Bordeloi ont mon signor Irai,
« Ma dame enmainent et le conte ont ocis;
« Je ne cuis mais que nuns le voie vif. »
Quant cil l'oïrent n'i ot né jeu né ris ,
Tout maintenant sont as armes sailli;
Là véissiez le chastel estormir
Et les haubers et les hia urnes vestir.
Les chevaliers sur les destriers saillir,
Les escus prendre et les espiés saisir,
Les dars trencans por lancier et férir.
Se tant atendent Bordelois^ ce m'est vis,
Tart en seront , ce croi, au repcnlir.
Là véissiez les grands Landes tentir '
I Les grands Landes tentir. J'ai suivi la leçon du msc.
7542. Les autres portent :
Là vcissiés les graiis lances tenir.
88 LI ROMANS DE
Et le sablon remuer et guenchir;
Li bon cheval font les caillons croissir.
Cens de BordcUe véissiez effréir;
Hainion enportent, ne le vourent guerpir;
La dame laissent, maulgré en aient-il.
Et Bialrix vint deseur son mari;
Durement plore, ne s'en peiit astenir;
Pour çou que voit le duc descoulori :
— « Lasse , « fait-elle, « corn grant dolor a ci ! »
Li Loherens a bien sa feme oï ,
La teste dresce contremont un petit.
— « Dieu ! » dist la dame, « or est vis mes maris !
Li Gascon vienent fretelant le chemin i ,
Il les enchaucent une liue acompli ;
De Bordelois i firent grant train ' ,
Plus de quarante leur en i ont ocis ;
Puis en repairent coureçous et marri.
Là sunt venu oiî li dus Bègues gist,
Et font litière sor quoi il l'ont assis ;
Lor autres mors ont toz en terre mis :
Crois font sor aus, qu'il erent droit martir,
Por lor seignor orent esté ocis ^.
» Fretelant, parcourant à la liàle le chemin.
2 Trahi, régime de trais.
3 Orent esté ocis. Vous voyez que le royaume des
cieux appartenait de droit à quiconque mourait pour dé-
GARIIV LE LOHERAIN. 89
Bef^on enportent au chastel de Belin.
Moult sunt navre li qucns Dos et Hcrvis;
Au chastel entrent, ains que past li midis;
Begon désarment dont enforce li cris,
Moult ot saigné, si fu descouloris,
Il fu plus blans que ne soit fleur de lis.
Les mires mandent, par trestot le pais.
Qui sunt moult sage et de sens bien garnis,
Car en Salerne furent né et norri \
fendre son légitime seigneur, et que la religion elle-même
ne distinguait pas le maître terrien du maître céleste.
Dogme admirable, le premier auquel nous ayons cessé de
croire.
D'après ce passage, on serait tenté de penser qu'au
xi^ siècle, on ne traçait pas encore la croix indistinctement
sur toutes les tombes chrétiennes. Il est certain du moins
que dans les premiers siècles du christianisme, le grand
signe de la religion nouvelle était un agneau; et sans doute,
quand on traça pour la première fois la croix sur une tombe ,
on voulut rappeler la mort violente d'un soldat de Jésus-
Christ.
' En Salerne. "Voici la deuxième fois que Bègues est
grièvement blessé (voy. tom. I'^'', pag. 266), et deux fois
les médecins de Salerne lui sauvent la vie. L'école de Sa-
lerne, fondée suivant toutes les apparences par les Arabes ,
était célèbre dans le monde chrétien dès le x* siècle. Le
nom de mire, synonyme de médecin , vient du mot arabe
émir (maître, seigneur).
go LI ROMANS DE
Les plaies serchent en chief, en cors , en pis;
Li lins à l'autre le confiessa et dist :
« S'il a aide, liien en porra garir. »
Diex! com se paine la hèle Biatrix
Et les pncelles et les femes gcntis ,
Li damoisel qui furent orphenins!
Premiers parla li mires Ascelins ;
Il en apele le bon vilain Hervin :
" Faites oster ces gens et départir,
' Si emmenez la belle Biatrix;
« Que la grant noise , si m'ait Diex, l'ocit i.
« Jusqu'à quinzaine, por verte le vos di,
« Le vous rendrai sain et sauf et gari. »
Hervis Tentent, mont joians en devint:
— '< Or en pensez , >» dist-ii , " li miens amis ,
'< Tous mes trésors vous soit abandon mis j.»
I L'ocit, tue Begon.
* Mes trésors, au singulier. Abandon. Ce mot a bien
occupé les étymologistes. Oiïre-t-il la réunion des trois
mois : A-han-don, ou seulement des deux: A-bandou,
ou bien est-ce un mot simple, comme je pencherais à
le croire? La racine est-elle barbare : bann ou band ?
Est-elle latine : habendum ?
Du Cange a cité ce vers du Garin dans son Glossaire;
mais, comme je l'ai fait jusqu'à présent moi-même , il a
en tort d'écrire à bandoii ; car lous les manuscrits , sans
exception, s'accordent à donner abandon.^
GARIN LE LOHERAIN. 91
— « N'en parlez mie, sire, « dit Ascelins,
'< Jà n'en arai vaillant un parisis,
'< Tant que il soit respassés et garis. »
Les plaies cuevrcnt maintenant sans respit,
L'emplastre mistrent, lor bandiaiis ont assis.
Une grant pièce ont fait le duc dormir.
Puis demanda à mangier un petit.
Li mires fut sages et bien apris,
Herbes destrempe et un chaudel en fist i ;
Dans les plus anciennes chartes latines, on rencontre,
avec la même acception , liabandum ; et l'on peut en
conclure que si le mot abandon, habandon ou à ban-
don, emporte l'idée d'une mise en possession, « res
arbitrio cujusque exposila» (Du Gange), son origine doit
être le participe habendnm, qui précisément offre la même
signification.
Cette origine naturelle ayant été bientôt méconnue,
au lieu de dire seulement : abandon soit, traduction d'Aa-
hendum sii, on transforma le participe latin en substantif
vulgaire et l'on crut mieux faire en disant : être mis
à bandon; puis : être au bandon de quelqu'un; puis enfin :
abandonner. Mais gardons-nous d'établir le moindre rap-
port entre ces expressions et la racine tudesque bann ou
band, laquelle a formé d'autres mots entièrement étran-
gers au sens de Y/tabendum. Ces mots sont : ban, bannir,
bandit, bannière, etc.
I Un chaudel, ou chaudeau, sorte de consommé. Monet
le traduit heureusement par: calidum jusculum. La défi-
92 LI ROMANS DE
Le col en passe trois, quatre fois ou six'.
Dient li mire : « Par tens sera garis. »
Huimais devons à Ilaimon revertir
Qui ot le bras trestout brisié parmi ;
Dos li Vénères l'ot atourné einsi.
Cil qui garisseut s'en sunt bien entremis,
Le bras relient, s'ont les emplastres mis,
Et les estelles i ont moult bien assis ^.
Aval Bordelle fu la noise et li cris;
Lor fils regretcnt et lor charnés amis.
En terre metent et frères et cousins ,
Thiebaut maudient qui est dou Plaisséis ,
Que en la gtierre r'avoit Bordelois mis ;
Il sevent bien de mal venra'en pis.
Bègues li dus fu auques bien garis.
Il a mandé sa gent par le païs;
nition de l'Académie est beaucoup moins satisfaisante :
« Chaudeau, sorte de broiiet ou de bouillon chaud, que
«l'on porte quelquefois aux mariés, le matin du lende-
« main de leurs noces. »
» Le col en passe, etc. Nous dirions aujourd'hui d'une
manière moins pittoresque : // en prend trois ou quatre
gorgées.
2 Estelles, écharpes.
GARIN LE LOUERA IN. gB
Tiès bien se ferme de murs et de palis,
Les estagiers fait ou chastel venir '.
Haimes li quens et li dus Harduins
Bien se porchascent; Diex les puist maléir ^ !
Snudoiers mandent de si à quatre mil ^;
De longes terres i vienent lor amis,
Li quens Guillaumes de Blancaflor i vint,
Piniax de Oeuvres et ses frères Landris**,
Et de Boorges i revint Amauris 5.
Thiebaus i vint , et ses frère Estorrais ;
A grant merveille i vint de Poitevins.
Je qu'en diroie? quant sunt ensemble mis,
Mien escient, bien furent trente mil.
Aine ne finèrent, si vinrent à Belin,
De toutes parts la viande lor vint.
Qui dont véist le grant charroi courrir,
Proies mener et vivres accoillir,
Mosliers brisier et viandes saisir,
' Les estagiers, ceux des vassaux qui élaient tenus de
résider durant un temps déterniiDé dans le château dusu-
zeraiu, pour contribuer à sa défense. De là , chez nos pra-
ticiens, les mots conservés de stage et d'avocat stagiaire.
î Se porchascent, se préparent.
3 De si à quatre mil, jusques à quatre mille.
4 De Genvres, Gênes. Variante : D'Acense (msc. 9654).
5 Amauris. Variante: Estormis (msc. 9654). Le vers
suivant n'est pas dans cette leçon.
94 Ll ROMANS DE
De grant dolor li poïst sovenir.
Bègues repaire don nioiisticr Saint-Miirtin ,
Messe ot oie en non Saint-Esperit » :
A tant, ez-vous le Loherenc Hervin,
Où voit le duc si l'a à raison mis :
— « Sire, » fait-il, « que demorez-vous ci?
'( Cil de Bordelle ont vostre proie pHns;
« Véez-les-vous où il ont le feu mis? »
Par le chastel ont tuit lor armes prins :
Bègues s'arma, un blanc haubert vesti,
Et lasce un helme à un cercle bruni;
S'espée tint la belle Biatris ,
Ce fu Floberge la belle au pont d'or fin ;
Li dus la voit , par la renge la tint ^.
Li bons chevaus en la place li vint,
De plaine terre est aus arçons sallis ,
Entre ses poins son roit espié forbi ,
Dont il avoit maint grant sangler ocis.
Rigaus li baille son fort escu voutis'
Sa gent devise et renja et assist ,
« En non. Variantes : Bel voir.
2 La renge, ceinture dans l'auneau de laquelle était
passée l'épée. Ce nom vient, suivant Biakton et Du Gange,
de ce qu'elle entourait les reins; niais il semhle plus natu-
rel de le ramener au saxon hring, anneau.
3 Voutis, arrondi. Variante : Flori. — Son escu à or fin.
GARIN LE LOHERAIN. 9$
Et si lor dit : « TS'^e vous mouvez de ci :
« Se il m'enchaucenl, pensez de recoillir;
« Son droit sii^uor ue doit-on point falir;
< Qui le feroit, il esteroit plus vis '. »
Devant les autres, plus qu'wns ars ne traisist%
S'en va li dus d'ire mautalentis;
Et après lui de chevaliers set vins;
Lion resemble qui de gaut soit partis ^.
Aus ardéors s'en va sans nul respit;
Fiert le premier, mort le giète sovin^;
Trois en abat li dux à son venir,
Sore lor court com fait lous à berbis ^.
Par tropéaus les meine desconfis,
Aus grans batailles les fait sovent flatir^.
Ains que Haimes né ses frères venist.
En ot li dus abatus vint et sis.
Adont commence et la noise et li cris.
« ris, vil.
* Uns ars, etc. Nous avons déjà vu celte expression,
tome \", page 265.
3 De gaut, de bois.
4 Suvin, à bas (siipinus).
5 Sore lor court, leur court sus.
6 j4us grans batailles, etc., souvent il fait reculer los
fourriers jusqu'au gros de leur bataille.
96 LI ROMANS DE
XXXIII.
^ri dont véist le conte droiturier
'^f.j ffj^Au branc d'acier la place chalon^ier",
'^^
tSS.^
f^'Bien li membrast de vaillant chevalier.
Hervis li prous et Doons li guerriers
Maint bon vassal i firent trebuchier.
Cui chaut de ce? pou ce leur peut aidier;
Que Haïmes fait sa bataille rentier,
L'un après l'autre en conroi chevauchier.
Et Bègues tourne, il et si chevalier,
Les siens enmainne, cui que doie anoier.
Jusqu'à la porte où furent li archier.
XXXIV.
iïgvê^KEVANT Belin qui siet sor le sablon,
^Ti rj^ D^ palis fut trestout clos environ :
3^^^^ Mainte bannière véoir i poïst-on,
Et maint archier et maint serjant félon.
Et Bordelois, qu'aient maleïçon!
L'ont bien assis entour et environ ;
Mais li dus Bègues, qui ait beneïçon!
Sen ist souvent il et si compaignon;
Maint en i laissent gisant sor le sablon
Dont à plusors chaïrent li pormon. P
' Chalongier, disputer.
GARIN LE LOHERAIN. 97
XXXV.
«^-^^2^1 Bordelois ont Loherenc assis;
^^1^ Maint trcf i ot et tendu et forni;
l^ilQg:^ De toutes pars la viande lor vint,
BlaFchié ont grant et de pain et de vin.
Et li dus Bègues, li fis au duc Hervi,
Souvent lor saut au soir et an matin;
Nés au mangier ne pueent-il séir ',
Né en lor lis n'ousent-il pas dormir,
Ains les sorprent et les tue et ocit.
De grant folie s'est Haimes entrerais
Mien escient, tel chose a entreprins
Dont il seia couréciés et marris
Se Diex garit le roi de Saint Denis,
Et son barnage et ses riches amins.
En son palais fu Bègues de Belin :
Après mangier entra en un jardin,
Aveuc lui fu la belle Biatris ";
1 iVéj, même.
2 Aveuc Udfu. Variante: Dcjostelui. Le mot aveuc se
trouve écrit ailleurs avoec et avocques. Ces différentes or-
thographes indiquent clairement la racine tant cherchée,
à voce ou ad vocem alicujus. Dans plusieurs provinces, on
prononce encore avâ et avoc.
II. 5
98 LI R03IANS DE
Caraousscs fu li Loherens gentis ^
Del bon haubert qu'il ot sovent vestis;
Doon apelle et le villain Hervi :
— « Consilliez-moi, franc chevalier gentil;
« On soloit dire qu'estoie fis Hervi
« Le Loherenc qui les mons d'Aussai tint,
« Et Val saint Dye, là où li argens git;
« On soloit dire que je avois amins ,
« Mais mal i pert, que céans suis assis
« Pai' ces garsons qui sunt povre et chetis;
« Mi home sunt, moi dcussent servir,
fc Et il me voudrent, li mal glouton, murdrir.
« Ne sais que faire , ne sais que devenir;
« Se n'ai vengeance, je cuit de duel morir.
« Oï l'ai dire et vérités est-il ,
« Que moult est fous qu'eslongne ses amins,
« Honors né biens ne l'en puet advenir. »
— « Sire, » dist Dos, « que est-ce que tu dis?
« Pas ne le sevent cil de vostre pais,
« Né vostre fi'cres né li bourgoins Aubris;
u Or envoiez, à nuit ou le matin,
« Au roi de France , dont vous devez tenir,
I Camoussés ou camoisiés, c'est-à-dire meurtri, écrasé.
cil au perchant , Guillaumes li genlis ,
N'a point de barbe encore, ce m'est vis;
Mais un pel porté qui est lonc el traitis.
Nos Sarrasins en a camoisiés si. . . .
(Chanson ses Enfances Guillaume. )
GARIN LE LOHERAIN. 99
n Vengne li rois son aleu maintenir ;
« Se il vous faut , or mandez vos amis,
« Gerart dou Liège ou l'Allcniant Ouri. »
Respont dus Bègues : «. Certes bien avez dit ,
« Mais du message sui-je moult esbahis. »
— « J'en sais un bon , siie, » ce dit Hervis,
« Qui bien connoit la terre et le païs. »
Et dist li dus : « Ci le faites venir. «
Il s'en torna maintenant, sans respit;
En la taverne tôt maintenant s'en vint.
Iluec trouva Mcnuel Galopin *
Lez le tonncl , en sa main trois dés tint
Et trois putains, tels estoient ses delis ' ;
Quatre/ribaus ont les mustiaiis rostis ^.
Hervis le voit, si l'a à raison rais :
— « ï,h Diex te saut ! Menuel Galopin ! »
Et il respont : « Diex bénéie ti!
a Venez seoir et si getez au vin ^. »
Et dit Hervis : « Onques por ce ni vins;
'( Bègues vous mande, vostre germains cousins,
» Menuel. Yariante : Menidet, — Moinial, — Manuel.
Tous les détails suivants de la vie de Galopin ne se trou-
vent pas dans le nisc. de Navarre.
I Putains. Variante : ilesch'mes.
3 Les miLsliaus (voy. toni II, pag. 20.)
4 Getez au vin, jetez les des pour jouer le vin.
5.
8'enCTHECA
ïoo LI ROMANS DE
« Vos parcns est, ne H devez faillir. »
Dist Menues : « Onqiies ne m'apartint,
« Je n'ai mestier de si riche voisin ;
« Mieus aims taverne et le soûlas dou vin ,
« Ces deniisieles que vous véez par ci,
" Que je ne fais duchés à maintenir. »
— «. Voir, » dit Hervis, « paine i a au tenir ' !
« Mais se vous pi ait, venez parler à li;
« Il vous demande en son palais marbrin. »
« Dist Menues : « Faites pais de cest vins %
« Que autrement, je ne m'en puis partir. »
— (c Vollentiers voir, « ce dist li cuens Hervis.
Le tavernier appelle, si li dist :
— « Je vous rendrai deus sous de Poitevins 3. »
L'ostes respont : « Tout à vostre plaisir ! »
Par la main destre le prist li cuens Hervis ,
Sus au pallais le mena avoec li.
Li dus le voit, si l'a à raison mis;
1 Paine i a au tenir, c'est-à-dire, on ne tient pas les
duchés sans peine.
2 Pais, payement.
3 Deux sous de Poitevins , c'est-à-dire , la valeur de
deux sous, en mailles poitevines. Ces mailles poitevines,
appelées quelquefois pictavenses masculi, étaient extrême-
ment petites. Variantes : Quatre sous d'Angevins.
GARIN LE LOHERAIN. loi
Il li demande : « Dont es-tu, biaus amins? »
— « De Clermont, sire , si ai nom Galopin,
n Si est mes frères li prous quens Jocelinsy
« D'un père fumes amdui engénui,
« Et d'une mère et porté et norri :
« Je suis ainsnés; mais il me va ensi
« Com vous povez et véoir et oïr. «
Et dit dus Bègues : « Certes, ce poise mi,
« Or reconnois que tu es mes cousins ,
« Et la folie que tu as se guerpis ',
« Je te ferai chevalier, le matin ,
« Trestoute Auvergne vous partirai par mi ^. »
Quant il l'entent, si en a fait un ris 3,
Puis li a dit : « Por noient l'avez dit.
« Mieus aims taverne et de putains les dis,
« Que ne feroie une conté tenir.
« Mais commandez et dites vo plaisir,
« Ou je m'en vois arrières au froit vin. »
— « Non ferez , frères , » li dus Bègues a dit.
' Séguerpis, si tu te détournes de la vie insensée que tu
mènes.
2 Partirai, entre ton frère et toi. — Par mi, par moitié.
î Ce vers manque dans la plupart des manuscrits, et le
suivant commence :
Dist Tranchebise. . . .
102 LI ROMANS DE
« Ne véez-vous com je suis cntreprins?
« Mi homme lige m'ont ra dedans assis. »
Dit Menues : « Traïtor sunt tous dis,
« Onques n'amcrent homme de nostre lin ;
« De dame-Dieu soient-il tout honni! »
Respont li dus : « Certes, bien avez dit.
'< Or, m'en alez en Frailce] au roi Pépin,
« Et à ma dame, la franche empércris ;
« Si, lor contez com je suis entreprins.
« Vengne li rois acquiter son païs ,
« Ou, se ce non, il en sera honis.
« Dites mon frère, le Loherenc Garin,
« Que me secoure, la soie grant merci ;
« Aus nions d'Aussai m'en irez à Thieri , ,
'< Il est mes oncles, si ne me doit faillir;
« Gerart dou Liège ne metez en obli,
« Lui et Garnier, Huon de Cambrési
« Et revenez par l'allemant Ouri :
« N'obliez mie le borgoing Auberi.
« Par Orlenois m'en irez, biaus amins ,
K Ma seror dites qu'elle m'envoit son fis
« Et son nevou, dant Jofroi l'Angevin ,
« Huon del Mans et Garnier de Paris. »
Dist Menues : « Ne vous doi pas faillir ;
« Jou irai là, tout à vostre plaisir. »
Et dist li dus : « De Dieu vous en mercis. »
GARIN LE LOHERAIN. io3
Son capelain à appeler en prist ',
Fait faire lettres et cartes et escris »,
Aine ne fina de si à l'ensérir.
De lettres porte li gars plain un barril ^;
Par la corgie à son col le pendit *.
• Son capelain. A l'époque de la composition du Garin,
et sans doule long-temps après, toutes les missives étaient
écrites pai* des clercs, attendu qu'elles étaient rédigées en
latin. On voit souvent, dans notre puëme, les barons dic-
ter en roman des lettres à leurs chapelains, qui les trans-
crivent en lalin. On ne peut d'ailleurs trop répéter que
dans les temps chevaleresques l'art d'écrire était un métier
incompatible avec celui des armes. Un guerrier pouvait
être fort lettré et ue pas savoir tracer les lettres de son
nom. En effet, le maniement de la lance et de l'épieu était
un obstacle à celui de la plume , et les missives écrites par
des mains accoutumées au gantelet auraient été nécessaire-
ment illisibles.
2 Cartes, chartes.
^ Barril, aujourd'hui barillet. Ce mot, conservé en gal-
lois dans le même sens (voyez Johnson's Diclionnary),paraît
avoir la même racine que le to bear, auj. to bare anglais,
(porter). Voyez aussi la note i de la page 178, tome I^^
4 Corgie. En Champagne, on nomme encore courgie,
une gaule faite de plusieurs branches d'osier tressées.
Nicot, qui connaissait le mot courge ( bâton flexible à por-
ter les seaux à la rivière), « se doute qu'on a voulu dire
une courbe; » pour moi, je pense que ce mot vient de
io4 LI ROMANS DE
— '< Frères, » dit Bègues, «je dont forment l'issir
« Que des traïstres ne soiez entrcorins.
« Je nel vouroie por niillc mars d'or fin, »
Dist Menuiés : « Por néant l'avez dit;
« Car s'il l'avoient et juré et plévi,
« S'en isteroie maulgré en aient-il. »
Il dit un charme que il avoit aprins ' ,.
Trois fois siffla , dou chastel est partis,
En l'est s'en vint où li barnages git;
Vit les chevaus et torcher et covrir,
Haubers rolcr et hiaumes esclarir;
De toutes pars la viande venir.
Onques par homme ne li fu conti'edis.
Vespres estoit quant de l'ost départit;
Plus tost s'en va , quant il fu au chemin ,
Que ne fait lièvres quant li chiens le choisi.
courge, sorte de plante rampante, d'abord employée pour
tresser les mêmes baguettes.
I Un charme. Variante : Uncherme, — Un carme. Déjà,
dans l'antiquité, le mot carmen se prenait fréquemment
dans un sens magique. Apulée et, d'après lui, Corn. Agrippa
attribuaient même à certains vers le pouvoir de bouleverser
la nature entière. ( Yojez le dernier, De occult. Philos.,
cap. 69,70, 71, 72 et 73.)
GARIN LE LOHERAIN. i
Vint à Gironde, en un batel se mist,
Il la trépasse, la nuit à Blaives vint,
Au matinet est par Grantniont guenchis ' ;
Aine ne fina jusqu'à Isoudun vint »,
La nuit i jut, au matin s'en parti,
Vint à Orliens, ains que past li midis.
La nuit hauberge chicz la belle Héloïs ;
Elle le vit , si l'a à raison mis,
Puis lui demande : «. Com as-tu nom, amins ? »
Bien reconnut à la chiere et au vis
Qu'il apartint le conte Josselin.
— « En non Dieu, dame, Menucl Galopin. »
— « Diex ! >) dist la dame, « jà es-tu mes cousins.
« Por Dieu, biaus niés, dont venez- vous ici? »
— « En non Dieu , dame, don chastel de Bélin. »
— « Que fait mes frères et ma suers Biatris ? »
— «En non Dieu, dame, il sunt moult entrepris;
« Cil de Bordelle ont moult vers lui mesprins.
n L'aulrier le vourent detrenchier et murdrir
« Et sa moillier par outrage tolir;
t Grantmont, à cinq lieues au-delà de Limoges, dans
la direclion d'Issoudun et Orléans. (Voy. tom.l"^, p. i88,
note 6. )
> Issoudun, À cinq lieues de Bourges.
5..
;
io6 LI ROMANS DE
« Por un petit que il ne fiist ocis :
« Mais Diex de gloire ne le vout pas sofrir.
« Or est assis au chastel de Belin. »
La dame l'ot , tout li sang li frémist ,
Tenrement plore , ne s'en pot astenir ;
— « Hé ! Diex ! » dist-elle, « sauvez-moi mon amin! »
— « Dame, » dist-il, « où trouverai Pépin? »
— « Et , » dist la dame, « le matin sera ci ^
« Et la roïne au gent cors seignori. »
En la taverne est aies Galopins;
La nuit sejorne de ci à le matin.
Parmi la ville le fait querre Heloïs
Et devant lui le fait amont venir.
Puis dit la dame : " Dont venez-vos, amins ? »
— « De la taverne, dame, » dist Galopins.
— « Diex ! » dist la dame, « merveille puis oïr !
« Je ai céans trois cens tonniaus de vin,
« Dont eussiez tout à vostre plaisir. »
Dist Menues : « Par le cors saint Denis!
« La compangnie aime moult lez le vin. »
La dame l'ot, bonnement en a ri.
A ces parolles ez-vous venu Pépin;
A Sainte-Croix el mostier descendi ' ,
» A Sainte-Croix. C'est le nom de la cathédrale d'Or-
GARIN LE LOHERAIN.
La messe chante li capelains Henris ';
Dame-Dieu prie que li fasse merci.
Puis remontèrent, el palais sunt guenchi 2;
Et Heloïs ne se mit en obli ,
Parmi le poing a saisi Galopin :
— « Amins! » dist-elle, « venez-en à Pépin,
« Et si verrez la franche empererls. »
— « Dame, » dist-il , « tout à vostre plaisir ! »
Jusqu'au palais ne prinrent auques fin,
Iluec trouva l'emperéor Pépin :
— « Cil vous saut, sire, qui en la crois fu mis,
« Et la roïne qui si a cler le vis!
n Drois emperères, Bègues m'envoie ci;
« Secourez-le , por Dieu qui ne menti.
léans, depuis la fin du iv*" siècle, époque de sa première
érection sur les ruines de Saint- Etienne. Saint Euverte
l'avait construite et saint Agnan embellie. Les Normands
la brûlèrent en 865, et sous le règne du roi Robert, en 999.
elle fut de nouveau réduite en cendres. Un nouveau bâti-
ment plus somptueux fut alors construit à l'aide d'un trésor
que saint Euverte avait jadis caché dans les anciens fon-
dements et que découvrit l'évèque Arnoul. Il subsista
jusqu'à la fin du xm*' siècle.
' Li capelains Henris, l'aumônier du roi.
î El palais. Ce palais était le Clidtelet dont le portail,
bàli dans le x" siècle, fut abattu en 1732. — Remontèrent,
sous-enleudu : sur leurs palefrois.
io8 LI ROMANS DE
« Si homme l'ont durement assulli
« Sans défiance, que riens ne lor forfit;
« Dedans les Landes à pou ne fut ocis;
« Navrés i fu , mais or est bien garis.
« Et si li vourent vostre nièce tollir,
« C'est Biatris, ains plus belle ne vi.
« Or l'ont assis au chaste! de Belin,
« Si ont la terre trestout en charbon mis,
'c II i pert bien que il est sans amis.
« Vez-ci les lettres que t'envoie par mi. »
Li rois les baille son chapelain Henri;
Nés fu de Mez , s'a les lettres saisi.
Moult fu dolans quant la merveille vit,
Le roi le conte et la roïne ausi.
Li empereres en fut moult esbahis ,
Et la roïne moult fièrement li dist :
— « Sire, « fait-elle, « ne le devez sofrir;
« C'est grans outrages qu'il font, ce m'est avis.
'< Par mainte fois t'ont durement laidi,
« Ne fust de Mez dus Bègues et Garins
« De douce France vous eussent fors mis.
« Rois, quar chevauche et mande tes amins,
« Ains que li dus soit retenus et prins.
« Se tu le pers, France en sera plus vis. »
A ces parolles, vint Bernars de Naisil ,
GA.RIN LE LOHERAIN. log
En sa compaigne chevaliers quatre vint;
Encontre dresse l'enipcrères Pépins:
— « Sire Bernars, bien puissiez-vous venir!
« Moult grant merveille povez ici oïr.
« Vostre lignage m'a forment entreprins;
« Hainies li cuens qui a Begon assis
« L'autrier es landes voult le baron raurdrir
« Et ma niepce li vourent-il tollir ,
« Dont jou à Blaivcs le mai'iage fis. '>
Et dist Bernars : « Biaus sire, qui le dist?
« De Bordelois veng-je, dès samedi;
« Avec Guillaume de Blancafort la oit*
« Laissai Begon, de verte le vos dis,
« Feste en faisaient durement nostre ami ,
« Né de ta nièce oncques parler n'oï;
« Se fait l'eussent ne fuisse pas ici.
« Ne devez croire un vilain esbahi ,
« Bien le sachiez, qui le dist a menti. »
Ce dist Pépins : « Les lettres vindrent ci ,
« Par le message que voyez devant mi. »
Bernars l'oï , s'a Galopin saisi ,
Jà l'éust mort devant le l'oi Pépin ,
Quant la roïne de ses mains li tolli :
i Blancafort. Aujourd'hui Blanquefort , bourg de trois
cents feux environ , à une lieue de la Garonne, du côté de
Bordeaux. C'était un des principaux fiefs de la famille
Froniont.
110 LI ROMANS DE
— « Sire Bernars, trop par estes hardis,
« Mal dallés ait qui ensi vous aprint!
n Quant devant moi bâtez si mes amins.
« Ensi féistes à la cort , à Paris,
a Par vostre orgueil fut Isorés ocis ;
« De l'abaïe mauvais moines issis * ,
« Tu ne dois mie or à bien revertir. »
— « Tais , folle garce, » dist Bernars de Naisil ,
« Fols fu li rois quant de vous s'entrerait.
« Mal dallés ait qui mariage en fist!
« Ne l'en puet bien né honors avenir. »
Dit la roïne : « Vos i avez menti !
« Lerres, parjures, brisières de chemins,
« Ne déussiez en haute cort venir,
« Ne l'empereres ne vous déust soffrir. »
Eus en sa chambre toute plorant en vint 2
Avoec li maine Menuel Galopin.
Or vous dirai de la belle Héloïs ;
Parmi la ville a fait crier son cri ,
Que n'i remaigne qui armes pust sofrir,
' De l'abaïe, etc. C'était là peut-être un proverbe; mais
je crois plutôt que la reine fait allusion à quelque circou-
s(ance de la vie de Bernard, anlérieure à l'action de notre
poëme. Nous avons déjà vu une de ces allusions dans le
premier volume, paye 233.
2 Eus. Je crois que c'est ici la traduction du latin usque.
GARIN LE LOHERAIN. m
Ne uns né aulres, li tyrans né li petis.
Nis les bouchicrs i fait-elle venir ',
Qui portent haclies aus aciers poitevins.
Trestuit en vont vers le palais Pépin :
Bernars ne sait à quel gcnt il s'est prins,
S'il n'a aide, il lui convient morir.
A tant ez-vous le Loherenc Garin ,
En sa compaigne de chevaliers set vint;
Ains que li dus ses espérons traisist
Li vint encontre l'emperères Pépins.
Souef l'accole et en riant li dist :
« Sire Garins, bien pussiez-vous venir! «
Et dist li dus : « La vostre grant merci! »
Puis s'en tourna vers Bernart de Naisil ;
Bernars le voit, onques mot ne li dist.
Ains se maintint com li batus mastins '.
Et la nouvelle vint à l'empéreris ,
Sa chanbéricre maintenant li a dit :
— « En non-Dieu , dame, au palais est Garins. v
Toute dolante hors de la chambre issit;
" Nis, même.
Jins, etc. Variante du msc. de Navarre
Aios se contient comme li chiens mastins.
iiî LI ROMANS DE
Desafublée, cliaucie d'escapins ',
Par ses espaulcs li raioient si crin ^,
Un chappelet ot sor son chief assis 3;
Elle ot ploré, s'ot marmiteus le vis'*;
» Desafublée, la lète découverte. Comme dans le tome 1*"' ,
page 297. — Cliaucie d'escapins. Variante :
A eschapins en vint.
Cbuchie en escapins.
Estoit en un sainis.
Et cbaucie en chapins.
Le chapin, escapin ou eschapin, aujourd'hui escarpin,
était, au temps de notre poëme, une espèce de chaussure
de chambre, ou pantoufle :
Lors s'agenoille devant le roi Pépin ,
Si li embrasse la chausse et Veschapin.
(Auberis li borgoins.)
2 Par ses espaulcs, etc. La plupart des leçons donnent :
Sor ses épaules li gîsoient si crin.
Mais celle que j'ai suivie me paraît bien autrement pittores-
que, et par conséquent plus fidèle.
3 Un chappelet. Sorte de couronne faite avec des grains
ou des fleurs, d'où nous avons gardé ce mot , comme syno-
nyme de l'espagnol rosario. Il existe un ancien opuscule
poétique manuscrit, sous le titre du Chapelet des sept
fleurs.
4 S'ot marmiteus le vis. Variantes :
Si ot trouble le vis.
S'ot inascuré son vis.
Nicot explique fort bien le mot marmiteus : « qui fait pi-
GARIN LE LOHERAIN. ii!*
Encontre va li Loherens Garins,
Mais la roïnc onques mot ne li disf.
Li dus l'csgarde devant, enini le vis,
Les cleres larmes li voit des ieiis issir :
— « Dame , » dist-il , « por Dieu ne soit menti ,
« Qui vous a fait courécier et marrir?
n Soz ciel n'a homme fors seul le roi Pépin,
« S'il vous avoit seulement desmenti,
« Que jà nul jour fust jamais mon amin. »
— X Sire, » dist-elle, « dans Bernars de Naisil
« M'a laidengie , devant le roi Pépin ^ ;
« Li viex traîtres, parjures, foi-mentis. »
Oit le li dus, une table a saisi.
Vint à Bernart, s'en iîert enmi le vis.
Quatre des dens li a brisié parmi ;
Prinst le aus temples , si l'a à ses pies mis.
Et li borjois se sunt el palais mis,
Jà l'océissent, mais li rois lor toli.
Dist Heloïs : « Mar estordera vis ^. »
teuse mine. » Mais il a fort d'ajouter : « Usez plutôt des
formules àepéneiix. » Car marmiteiis valait bien mieux.
' Onques. Ici et dans tous les autres passages, plusieurs
leçons écrivent atiqucs. N'aurait-il pas plutôt le sens de
l'adjectif aucun que de l'adverbe jamais, lequel serait ici
un remplissage?
2 Laidengie, offensée , outragée. De laedere.
3 Estordera, sortira. De extra oriri, et non à! extorquerez
comme le pense Roquefort.
114 LI ROMANS DE
Dist li rois : « Dame , por Dieu ne me bonnir '. »
En la cappelle li quens Bernars se mist %
De l'autre part l'en fist li rois issir.
Là fors aus chans en la champaignc vint " ;
Langenerie passa à l'anuitir ^ ,
Toute nuit a chevauchic au serin ,
Que il ne fust adescs ne ma! mis.
Ainsi va d'homme qui mauves plaist bastit.
Dedans la Biausse n'osa-il pas dormir,
Tant fort douta le Lohérenc Gariu.
Vint à Estampes quant il fu esclari ,
Ne finera li dolans esbahis
Jusques à Lens le chastel seignori ^.
Hui mes dirons dou Lohérenc Garin.
Moult fu dolans quant la novele oï
ï Ne me honnir. Tournure elliptique latine. Ne veuillez
pas me honnir.
2 En la cappelle. AUenante au palais d'Orléans et qui ,
sans doute, avait droit d'asile.
3 Champaigne. Synonyme de campagne.
4 Langenerie. Variante : Languenerie, aujourd'hui Lan-
genière, hameau à peu de distance d'Orléans , dans la di-
rection de l'Ile-de-France.
5 Lens. Demeure ordinaire de Fromont; c'est pour
cela peut-être que le poète l'appelle le chastel seignori.
(Voy. la note du tome I^"^, page 182.)
GARIN LE LOHERAm. ii5
Que assis ert dans Bcgucs de Bclin.
Par toute terre fait semoudre Pépins :
De saint Vincent qui de sor la mer sist ',
Et dus qu'à mont saint Michiel , ce m'est vis ,
Jusqu'à Garmaisse qui est de sor le Rhin,
Wi remainst bonis qui en l'ost ne venist.
Dedans la court l'empéreor Pépin ,
N'i ot garson né Chamberlain gentil,
Queu de cuisine né eschanson de vin
Qui ne port lettres et saélés escris ^.
Garins manda et seniont ses amins ;
Je qu'en diroie ? tout li mondes i vint,
Et li charrois qui moult grant place tint,
Marchéandise et de pain et de vin
Or et argent , et le vair et le gris.
Li changéor i vienent de Paris ^.
Li charrois passe Loire endroit miedi;
1 De saint Vincent. Nous avons déjà vu ce lieu cité dans
la première chanson, page 84 , et nous n'avons pu en indi-
quer la position. Quanta Garmaisse, c'est Germesheim
sur le Rhin, comme je l'ai dit plus haut.
2 Saélés. Des écrits scellés.
3 Li changéor. Les changeurs étaient très-nécessaires au
milieu de tous ces marchands venus de différentes provin-
ces et qui tous voulaient être payés en monnaie courante
chez eux.
ii6 LI ROMANS DE
Li os s'arroute et se mit en Berri,
Jusqu'à Croissant ne priment onques fin ',
Iluec hauberge li os devant midi,
Laissent Caors de vers destre un petit ';
Tôt droit vers Blaives est nostre gent verti.
Trois jors sejornent à Blaives, la fort eit,
Les nés porchassent et les challans coisis \
Premiers passa li Lohérens Garins,
Girars dou Liège et l'Allemans Ouris;
Et la nouvelle en l'ost Haimon en vint;
On li escrie : « Quens, que faites-vous ci?
« Franceis chevauchent, Normant et Angevin,
« Se il te treuvent, malement es baillis. «
Quant cil l'oï, tout en fu esbahis;
Dedans son tref fait ses amins venir,
II lor conta que Franceis vienent ci.
— « Il n'i a plus, » li quens Guillaumes dist4,
« Alons-nos-en , li conseil en est prins,
1 Croissant. "Variantes : Crosane, la Crosane. C'est Cro-
saut, ou Crousant, paroisse du diocèse de Limoges, située
sur la Creuse , à huit lieues de Gueret et sur les frontières
du Berry et de la Marche.
2 Caors. Variante ; Chaours, c'est Cahors,
3 Les challans corsis. De course. Les bateaux nommés
souvent corserii, dans les chartes. Voyez Du Gange,
4 // ni a plus, il faut cesser nos attaques.
GARIN LE LOHERAIN. 117
« Dedans Bordelle nostre cité de pris;
« S'il ains de nous i poiivoient venir *,
« Mien escient, li chastiaus seroit pris. »
Il font trousser palefrois et roncins
Sor le charroi ont lor armures mis ",
A Bordiaux vinrent quant il dut anvxitir;
L'arriére garde li quens Guillaumes fîst
En sa compagne deus cens et quatre vint.
Et l'aloette chante quant li jors vint :
La gaite corne del chastel de Bélin ,
En l'ost regarde, mais auques riens ne vit,
Vint en la chanbre où li dus Bègues gist,
Entre ses bras la belle Biatrix;
L'oreiller crolle et cil est estormis ^.
I S'il ains de nous, etc. , si les gens du roi étaient avant
nous à Bordeaux.
ï Sor le charroi, etc. Variante :
Sor les charrestes ont les pavaillons mis.
(Msc. 7533.2-2.)
Quant aux armures, il ne faut pas oublier que nos guer-
riers les revêlaient seulement à l'iuslaut de combattre.
Cette toilette exigeait un certain temps, et voilà pourquoi
les surprises et les embuscades étaient si communes et si
difficiles à prévenir.
3 Estormis. Variantes : Effréis, — Espéris.
ii8 LI ROMANS DE
Bègues li dist : « Que vues-tu, biaus amins?
« Sais-tu novelles , as-tu noient aprins? »
Et cil respont : « Si maït Diex, oïl :
'< Haimes s'en fuit, s'a le siège guerpi. »
Ce dit li dus : « Novelles ont oï '
« De lor espies qu'ont au passage mis.
'< Sonnez un cors por mes gens esbaudir. »
Lors véissiez le chastel estormir,
Et les borjois aus deffenses venir;
Tant chevaliers armer et fervestir,
Car il cuidoient qu'on déust assallir.
Bègues s'atorne, hastivement le fist;
Lasce unes chances , nuns plus belles ne vit ;
Sor les talons li ont espérons mis ,
Vest un haubert, lasce un elme bruni ;
Et Biatrix li ceint le branc forbi,
Ce fu Floberge, la belle au pont d'or fin.
'( Sire, « fait-elle, « Diex qu'en la crois fu mis,
« Vous défende liui de mort et de péril! »
Et dit li dus : « Dame , bien avez dit ! »
Il la regarde, moût grant pitié l'en prinst";
1 Novelles ont, etc., les espions qu'ils avaient mis sur la
route leur ont donné l'alarme.
2 11 la regarde. Ce vers et les quatre suivants ne se trou-
vent que dans le msc. de Colbert, n° 9664.
GARIN LE LOHERAIN. 119
Relevée ert de nouvel de Gerin.
— « Dame, " dist-il, •< entendez ra à mi :
« Pour Dieu vous proi que pensiez de mon fil. »
Elle respont : » Biaus sire, à vos plaisir! »
On li amaine un destrier arabi,
De plaine terre est aus arçons sallis ';
L'escu au col , si a un espié prins
Dont li fers fu d'un vert acier bruni.
Ez-vous Doon et le vilain Hervi,
Bien sunt deus cent sor les destriers de pris;
Bègues li dus les a à raison mis.
Vit les borjois, fièrement leur a dit :
— « Gardez la ville, signor, je vous en pri', »
Dit aus serjans : « Vous remanrez ici. »
Tant cheuaucha li frans dus de haut pris
Que vit Bordelle qui sor Gironde sist;
• De plaine terre. Le poëte ne manque pas de remar-
quer cette circonstance ; en effet , quand le guerrier
était couvert de ses chances, de son haubert et de ses
armes offensives, c'était pour lui un grand tour de force
de s'élancer d'un terrain uni sur son cheval. Ordinairement
il passait lourdement du haut d'une borne ou d'un perron
sur sa monture et s'il était renversé durant le combat, il
ne pouvait espérer de remonter qu'avec le secours de ses
compagnons.
» Shnor. Variante : Baron,
I20 LI ROMANS DE
Devant lui garde en un vaucel petit',
Près de la ville à l'entrée des jardins,
Et voit Guillaume qui l'arrier-garde fist.
Doon apelle : « Quel gent sunt ores ci? »
Et cil respont : « Guillaumes li marquis,
« A l'escu d'or, et au lioncel bis ".
« Jà fut uns jors qu'il estoit vostre amins. »
Et dit li dus : « Ore est mes anemius.
« Dedans les Landes l'autre jor m'assalit
« Sans défiance, et au cors me férit;
« Diex me doint force que li puisse mérir ^l
« A tous vous prie, prenez garde de li,
« Qui le poura penre né retenir
« Ocie-le, ne me l'amaine vis. »
— « Sire, » dist Dos , « se povait avenir,
« En grant respos esteroit ois païs,
« Jamais li autre n'oseroient grondin »
— « Baron , » dis Bègues , « car les alons férir. »
Rigaut apelle qui son escu li tient;
Le destrier broche des espérons d'or fin.
1 r'a«ce/, vallon (Vallicellum.)
2 Et au lioncel bis. Variante : Au lioncel petit. L'écu
de Guillaume de Blancafort est le même que portait Isoré
de Boulogne. (Voyez tome I"^', page 253 , et la note.)
3 Mérir, payer, donner récompense.
GARIN LE LOHERAIN. 121
Uus chevaliers qu'est des autres parti
Feri dus Bogues tant corne il pot venir;
L'escu li fait desoz le bras flatir,
Onques la maille dou blanc haubert treslis
Ne li valut un bliaut de saniis;
Mort l'abati del destrier arrabi.
A ces parolles, ez-vous poignant Thierri,
Doon le preus et le vilain Hervis
De rustes cous commencent à ferir.
Charpentiers senblcnt qui en gau soient mis '.
Desconfi fuissent Bordelois, ce m'est vis,
Quant vint Bouchars et li quens Harduins;
Ore en penst Diex qui en la crois fu mis!
Que li dui cens assenblent à trois mil.
Jà i fust Bègues destranchiés et ocis,
Quant Garins vint et li dus Auberis,
A quatre mil chevaliers de grant pris.
Devant en vient l'enseigne saint Denis,
Rouge vermeille, nus plus bêle ne vit ".
' Gau, bois; d'où le vieux mot gaudine, et saus doute
gaule et gauler. L'an-jlais wood est de la même famille.
2 Rouge vermeille. Tous les manuscrits donnent cette
leçon, ou bien rouge et vermeille; à rexception du
n" 7535 3- 3.J lequel porte blanche et vermeille. Du Cange,
citant le même passage au mot Auriflamma , a précisé-
II. 6
122 LI ROMANS DE
Haïmes regarde , s'a les penons choisis,
Dist à Guillaume : « Alons-nos-en , amis ,
ment suivi la mauvaise leçon, et l'un de mes amis,
M. Rey, dans un grand ouvrage qu'il prépare sur nos en-
seignes et couleurs nationales, avait eu déjà l'occasion d'en
exprimer sa surpiise. Combien d'écrivains et d'artistes ont
pourtant représenté l'oriflamme tantôt rouge et blanche,
tantôt bleue parsemée de fleurs de lis , oubliant ainsi que la
bannière de saint Denis et la bannière royale furent tou-
jours distinctes , et que sur cette dernière seulement pou-
vaient être représentées les couleurs et les armoiries de
la couronne de France!
Au reste, il ne faut pas chercher dans la forme ou dans
les couleurs de la bannière de saint Denis, la raison du
mot oriflamme. Dans nos plus anciens poënies, on la dé-
signe rarement sous ce nom, que d'ailleurs on accorde aux
étendards des Sarrasins, des Wandres et même, d'une
façon générale , à tous les étendards.
Le P. Anselme, Félibiea, du Gange et tous les antiquaires
pensent que nos rois ne firent porter la bannière de saint
Denis à la tète des armées que depuis la réunion du Vexin
à la couronne de France, sous Louis-le-Gros. J'ai de la
peine à me ranger de cette opinion. Je sais bien que les
anciens comtes du Vexin étaient feudataires de l'abbaye,
qu'ils avaient le privilège de porter l'orLQamme et de venir
la prendre sur le tombeau de saint Denis; mais cela ne
doit pas nous empêcher de croire que, bien long-temps
avant le douzième siècle, cette bannière ne fut déployée
GARIN LE LOHERAIN. i23
p. Icist déables n'icrt jà par nous ocis.
n Je voi Roiaus et Loherains venir,
dans les armées royales. Car saint Denis avait toujours été
le patron de la France : c'était sous sa garde , depuis Da-
gobert, que nos rois avaient mis leur sépulture, et l'on ne
nous persuadera pas que ce surnom de Roi de Saint-Denis,
si commun dans nos plus vieilles chansons de Geste, ait
été affecté par les monarques français , en raison de la
réunion du Vexinà leur couronne. Et puis, si Louis-le-
Gros a, le premier, eu l'idée de venir prendre l'oriflamme
à Saint-Denis, il faut en conclure qu'immédiatement avant
lui la France avait une autre bannière sacrée , ou qu'elle
n'en avait aucune. Ces deux conclusions sont également
invraisemblables; et, dans tous les cas, nos historiens au-
raient parlé d'uue révolution aussi grave, à une époque
de ferveur religieuse.
L'erreur des antiquaires vient d'une charte mal inter-
prétée. Dans cette pièce, datée de ii24> Louis-le-Gros ,
après avoir rappelé son intention d'imiter la dévotion de
ses ancêtres pour saint Denis, ajoute : « Cum ad aures nos-
« tras perveniret Alamannorum regem ad iugrediendum et
« opprimendum regnum nostrum excrcitum praeparare,
« communicato cum palatinis nostris consilio, ad ipsam
« sanctissimorum Martyrum basilicam, more antecessorum
« nostrorum , fcstinavimus... Prœsenti itaque venerabili
« Suggerio,... vexillum de allario beatorum Marlyrum, ad
« quod comilalus Vilcassiui quem nos ab ipsis in feodum
« habemus spectare dignoscilur, morem antiquum anteces-
6.
12/, LI ROMINS DE
« Veez-vous-ci l'enseigne saint Denis?
« S'es attendons, tuit sonies mors et ])ris '. »
Li coart sunt de cest mot esbaïs;
Dedens les murs, por guarir, se sunt mis. •
Devant la porte ot riche poignéis,
Et li serjant se sunt es barres mis;
Volent sajetes comme pleve d'avril ".
« sorum nostrorttm servantes et imitantes, sign'iferijure sicut
« comités Vilcassini soliti erant, suscepimus. » A mon avis,
le sens de ce fameux passage est que Louis se rendit
au tombeau de saint Denis, suivant l'ancien usage, pour
invoquer la protection du patron de la France et y pren-
dre l'oriflamme. Et comme, de temps immémorial, c'était
aux comtes de Vexin qu'appartenait le privilège de déta-
cher cette bannière du tombeau même , lui le roi , main-
tenant comte de Yexin, l'avait détachée, comme le fai-
saient auparavant ses prédécesseurs, les comtes du Vexin.
On peut voir également, dans le P. Anselme, Louis VU
et Philippe- Auguste prendre de leur propre main l'ori-
flamme sur le même tombeau, et même la tenir durant
le combat; Guillaume le Breton dit dans sa Philippide :
Ast regi salis est tenues crispare par auras
Vexilluin siinplex, cendato siinplice textum.
Quod cum flamma habeat vulgarité!' aurea nomen....
I S'es, si nous les, etc.
» Pleve, pluie.
GARIN LE LOIIERAIN. la!
Diex ! com le fait dus Bègues de Belin !
La riche cote qu'ot vestue au matin
Toute est sanglente et la selle à or Gn,
Garins le voit, si l'a à raison mis :
— '( Par Dieu, biaus frères, trop par estes hardis,
« Trop folement vous voi sovent venir;
« A grant folie le vous puet-on tenir,
« Quant à deus cent assenblastes à mil;
« Se je ne fusse, mors fussiez-vous ou prins.
'< Tel vasselage prisai-je moût petit '. ».
— « Je n'en puis mais , « li dus Bègues a dit ' ,
« Car por un pou que il ne m'ont ocis
« Dedans les Landes, où je fus assallis,
" Et ma moillier me vourent-il tollir;
« Après m'assirent ou chastel de Belin ,
« Ma terre ont arse et destruit mon pais.
« Envers moi sunt parjure, foi-mentis. »
— « Ne vous chaut, frères, or vos convient soufrir,
« Car de vengier avons-nous bon loisir :
" N'en tomerons si les arons toz prins. »
Bègues respont : « La vostre grant merci!
» A vous me claime et à tous mes amis. »
• Fasselage, action chevaleresque.
^ Je n'en puis mais, nous avons conservé ce gallicisme
Je n en puis plus ,
126 LI ROMANS DE
Et Bordelois ne sunt mie endormis :
Par là dedens font les portes garnir
Et bien terrer, que nus n'en puist issir ' ;
Mais devers mer nés puet-on assallir ^.
Li os se loge tôt ensi com il vint :
Le tref le roi tendent en un jardin ' ,
Lez un pomier menuement flori ;
De l'autre part se reloge Garins ;
Devers Gironde, Mansel et Angevin;
Et Allemant et cil d'outre le Rin
Se sunt logés lez le ferré chemin ;
Et par de ça , lez le broil de sapin ,
Se loge Bègues et ses niés Auberis ;
Et en la voie qui vient dou Plaisséis
Là se logèrent Breton ce m'est avis,
I Terrer, terrasser.
ï Nés puet-on, etc., on ne les peut attaquer du côté
de la mer.
3 Le tref le roi, etc. Variantes :
Le tref le roi tendent en un larris
Lez un pomier novelement flori.
(St.-Germ. 2044.)
Le tref le roi tendent en un jardin
En uu sablon joste un pomier flori.
(Mss. 76o&et7628.^)
GARIN LE LOHERAIN. 117
De l'une part ont bien la ville assis '.
Bègues manda par trestot le païs,
Qui tant ne quant de lui veulent tenir
Vienent à lui et n'i metent respit.
Tolosain vienent à force et à estri ,
Cil de Limoges et tuit li Caoursin.
Descendus est l'emperères Pépins ';
En une garde robe li rois vint ,
Vest un bliaut qui bêlement li sist ^,
Et afubla un mantel sebelin;
En son tref entre dont li pan sunt sus mis;
Et li vens vente qui par dedcns s'est mist.
Esches demande, si est au jeu assis.
— « A tant, ez-vous le seneschal en vint :
'< Ceu est dus Bègues dou chastel de Belin ! >>
I De l'une part, du côté de l'occident, ht pays entre
deux mers est à l'orient de Bordeaux.
î Descendus, de cheval. Le logement du roi étant dé-
terminé, le roi s'y rend, descend de cheval, quitte son
vêtement de guerre et passe dans sa garde-robe.
3 Vest un bliaut, etc. Yariante :
Viest ane cote ki durement li sist.
Le bliaut ou bliaud était proprement une tunique longue ;
et nos blaudes ou blouses villageoises conservent encore
aujourd'hui le souvenir du nom et de la forme primitive.
128 LI ROMANS DE
Ensemble o lui maint baron de haut pris.
Et si i ot assez de ses amis.
Le roi salue, si tost corn il le vit.
Li rois li dist : ■< Bègues, com vous est-il? »
— « Sire, moult bien, la dame Dieu merci!
« A vous me claime de Haimon le marchis
« Et de Guillaume et de toz lor amis.
« La vostre nièce me vourent-il tolir,
« Honte me firent assez, je le vous di :
« Mi home estoient et de mon fief saisi. »
— « Mar le pensèrent, « ce dit li rois Pépins.
« Je preng sor moi la honte et le despit.
« Or i perra com le ferez , amins :
>< Traiez à terre les fors chastiaus perrins ',
« Et abattez et villes et maisnis.
« Prenez trestout, tant qu'il soient chaitis,
« Qu'eus en conviegne issir de cest pais ;
« Car de Bordelle venrai-je bien à fin,
« Ne tornerai , s'aurai la cité pris. »
Mais cil dedens ne sunt pas bien assis j
Par mer lor vient et li pains et li vins.
Quant Bègues ôt ce que li rois a dit,
Moult en fu liés, joians et esbaudis;
De l'ost se part à trois mil fervestis,
' Les fors chastiaus perrins, les châteaux en pierre qui
étaient daus le Bordelais.
GARIN LE LOHERAIN. 129
Entre en la terre ses morteus ennemis,
Tout art et proie et destruit et laidit;
N'i remaint vaclie ne bues qu'il ne préist;
Prins a Monnublc et abatu Montclin '.
■ Huimès dirons de Bernart de Naisil ;
Il s'en est fui d'Orliens la noble cit,
Ains ne fina de ci qu'à Lens en vint.
lluec trova Fromons le poesti,
Lui et son frère Guillaume de Monclin :
Fromons le voit , à son frère le dist :
« Sire, » fait-il, « li quens Bernars vient ci. »
Quant cil l'oï, encontre en est saillis.
Il descend! del destrier arrabi ,
Tos les degrés sus au palais en vint ,
Afublés fu , s'ot le chaperon mis '.
' Monnuble. Variantes : Montnoble, Monviele. — Mont-
clin. Variantes : Moncld et Monci. Dans tous les cas , ce
Montclin n'est pas le château de Vorguillous Guillaume,
situé entre ^Nîaisil et Verdun. (Voyez lomel'", page 235.)
2 S'ot le chaperon mis. Dans une initiale du manuscrit
7842. ^•3-, on voit en effet Fromont et Bernard, celui-ci
couvert d'une cape rouge dont le capuchon est ramené
sur sa tète; celui-là vêtu d'un bliaut et n'ayant sur les che-
veux qu'une espèce de calotte.
Du Cange a cité ce passage, à l'article Cappa. Il en a tiré
6..
i3o LI ROMANS DE
— « Ostcz vos chape, » 11 quens Fromons a dît ,
'< Moult vos vois ore enbrunchiés et pensis '. »
— « Par Dieu, biaus niés, maleraent sui baillis.
« Si m'a batu li Loherens Garins,
« Ne fuist li rois, voir il m'éust ocis.
« Il et sa suer la putain Héloïs,
« Et la roïne à cui il est cousins
« Les lor vilains firent sor moi venir.
« Li emperères en un mosticr me mist ,
« A moult grant peine, certes me garentis. »
Osta sa chape, si lor moustra son vis.
Les tiens regarde Fromons li poestis,
Et dist Guillaumes : « Malvais afaire a ci;
« Li Loherens est trop engordelis ',
la preuve que la cappe était un vêlement de tête. « Certè
» capam os et vultum lexisse docet le roman de Garin, etc. »
Je crains que du Gange ne se soit mépris. On peut trou-
ver ici la disliuction de la cJtape et du chaperon; Bernard
avait gardé non seulement la chape contre l'usage de ceux
qui montaient les degrés des salles seigneuriales , mais il
avait en outre rejeté sur la tète le chaperon ou capuchon
de sa chape. Tel est du moins mon avis.
1 Embrunchiés , sombre, noir, triste; s. d. du latin:
obumbraUis.
2 Engordelis. Variantes :
Por la roine est trop engrondelis.
(Msc. 9654.)
GARIN LE LOHERAIN. i3i
n Qui si déracine et destruit nos amins;
« Mal dahés ait qui le vodra sofrir ! »
Ce dist Fromons : « Por noient nel fist-il ,
« N'a pas tant mal ou Loherenc Garin ;
« Dites, biaus oncles, comment il vous avint. »
Et dit Bernais : « Jà le porez oïr :
« Li Loherens si avoit feme prins ;
« Le mariage ot fait li rois Pépins.
« Droit s'en aloit de Blaives à Belin ;
« Dedens les Landes fu li dus assaillis:
« Haimes li dus, qui souef vos norrit,
« Et vostre niés , Thiebaus dou Plaisséis,
« Toliir li vourent la belle Biatrix;
a Navrés i fu , à pou ne fust ocis.
« Après l'assisrent ou chastel de Belin,
« Toute la terre ont essillié et prins :
« Secors manda l'enperéor Pépin;
« Nostre emperères en fut moult enbrunchis ,
« Et je fui moult iriés de mes amins
« Et les Guidai par paroles covrir.
Ed orgoillis.
(Msc. :542.3-3.)
Je n'ai vu que là engordeits, donl le sens est évidemment
celui à'enorcrueilti.
i3a LI ROMANS DE
« Et li garçons forment m'en entreprint r,
" Je l'abali devant le roi Pépin;
« Et la roïne malvais semblant me fist,
« Laidengea moi, et je li autresi. »
— « Tort en éustes, » li quens Fromons a dit,
« Bien vos en doit maus et honte avenir.
« Jà vostre langue ne vous laira ami ;
« Et li glouton ourent tort autresi 2
«. Quant lor signor osèrent assaillir;
« Par desraison eu ont lor foi menti;
« Si m'ait Dieu, il en seront honni :
« Et toz li mondes le doit jugier ensi. »
— « Or, entendez, « li quens Bernars a dit :
« Li Loherens droit à la cort en vint;
« Si se clama à lui l'empéreris,
« Et il me vint dou poing èz dens férir ,
« Si m'a blecié, com vous povez véir. »
' Li garçons. Celui qui avait fait le message de Bègues
auprès de l'empereur.
2 Li glouton, c'est-à-dire, Guillaume le marquis et
Thiebaut du Plaisséis, — Ce discours de Fromont est
plein de loyauté. Le poète ue cesse pas de le repré-
senter sous un jour favorable, jusqu'au moment où ses
malheurs le réduisent au désespoir et lui font renoier
Jesu-Crist.
GARIN LE LOHERAIN. i'i3
Ce dist Froraons : « Si m'ait Dieu, bien fist. »
Et dit Guillaumes, l'orguillous de Monclin :
« Sire Fromons, ne faites mie ensi;
« Qui son nés coupe il déserte son vis.
n Se vous soffrez vostre frère soit prins,
«Vous i perdrez et s'en serez plus vis. »
Et dit Bernars : " Vérités avez dit.
« J'oï seraondre et li rois et Garins ,
« Il sunt déjà à Bordelle la cit. »
Et dit Fromons : « Je vous ai bien oï;
« N'en chauroit gaires Haimon, ce m'est avis',
« Né vous méisraes , s'en folie ère mis ;
« Jà à mon col n'en sera escus prins;
« Je les lairai de guerre convenir,
«■ S'aront tout ce qu'ont porchascié et quit.
« De tele chose ne les doi-je covrir.
« Mal vous remenbre de la cort à Paris;
« Garins li dus estoit moult nostre amins,
« Et vous l'alastes en la salle envaïr;
« Là fu par vous quens Isorés ocis. »
Et dit Bernars : « Laissiez ester, chaitis ',
» N' en cliauroit gaires , etc., c'est-à-dire, Haimon et
vous-même se soucieraient peu des préparatifs du roi,
si j'étais de moitié dans leur agression. Folie s'est pris
souvent dans un sens analogue : du Gange le traduit alors
par convicium.
? Laissiez ester, arrêtez.
i34 LI ROMANS DE
« Tu ne vaus pas l'estrain sor quoi tu gis '. »
— « Faites le bien, » li quens Guillaumes dit,
« Alons-nos-en à Bordiaus, sans respit,
« Prenez la ville et la faites garnir,
« Puis querez pais envers le roi Pépin ;
« Ensi doit-on bien aidier ses amins. »
Et dit Fromons : « Certes, bien avez dit;
'( Mais je irai de gens bien enforcis. »
Lettres fait faire et saiélés escris :
De toutes pars a fait sa gent venir.
Li quens Guillaumes en va droit à Monclin ',
Chevaliers quiert , tant qu'il en ot set vint.
A Monstereul qui desor la mer sist ',
S'en est venus Fromons li poestis;
Nés porchascia , tant qu'il en ot set vint".
Iluec assenblent li grant et li petit;
Et li Flamens moult richement i vint,
' L'estrain, la paille, le siège garni de paille; à moins
que Bernard ne veuille parler d'une natte placée sous les
pieds de Fromont. (De stramen.)
2 Monclin, entre Naisil et Verdun. Bègues l'avait abattu;
mais depuis la dernière guerre, Guillaume l'avait sans doute
relevé. (Voyez tome I""', page 235.)
3 Monstereul, Moutreuil-sur-mer, qui appartenait à Fro-
mont, depuis son mariage avec la comtesse Hélisend.
4 Nés porchascia, il réunit des vaisseaux.
GARIN LE LOHERAJN. i35
Bien sunt troi mil de chevaliers gentis,
Et de serjans amené bien dui mil.
Ez vissiers metent les bons chevaux de pris '
Et ans sentines les bons tonniaus de vin,
La char sallée dont il sunt bien garni :
Dedens entrèrent li grant et li petit;
Huit jours nagièrent, jel vous dis sans mentir %
Et au naviesme paresploitèrent si
' Es vissiers , elc. Variantes;
Es baisiers metent les boins cbevanx de pris.
(Msc. 9654.)
Et es hoissieres meteut les cbevals arabis
Et es santernes les bons toniaus de vin.
(St. Germ. 2041.)
Ens ez nés metent les auferrans de pris.
J'ai préféré vissiers, parce qu'on trouve plusieurs fois ce
mot dans Ville-Hardoin , avec le sens de barque à trans-
porter les chevaux. — Quant aux sentines, ce n'est pas
une sorte de barques, comme le dit Roquefort, mais tout
simplement la partie inférieure des nefs, le fond de cale.
De ce mot, on a fait sans doute celui de sentinelle, qui
fait le guet dans la sentine.
ï Nagièrent, naviguèrent (natarunt). Fromont ne son-
gea pas à gagner par terre le Bordelais ; il eût été arrêté
en route par le Maine, l'Anjou, l'Orléanais et l'Ile-de-
France, que tenaient les ennemis de sa famille.
i36 LI ROMANS DE
Que de Bordelle ont la grant tor choisi ';
Les aigles voient et les pomiaux luisir ':
El port se sunt et enbattu et mis ^.
Des nés sachèrent les auferrans de pris ,
Les belles armes et le vair et le gris.
En la ville entre Fromons li poestis.
En la cité furent li ostel prins;
N'i out bordel qui tant parfust petis '* ,
Mien escient, chevaliers n'i géist.
Encontre va Bouchars et Harduins ;
Voit Fi'omondin, entre ses bras le prist ,
Si, li baisa et la bouche et le vis.
« Beaus niés, » dist-il, « moult a fait que gentis,
« Fromons mes frères, quant vint en cest pais. »
— « En non Dieu , sire , » çou a dit Fromondins ,
« Tort en avez, si com mes pères dist. »
Li quens Fromons el palais descendi,
Tout courouciés emrai la sale vint.
1 La grant tor. Variante : Les moustiers. Cette grande
tour appartenait sans doute au superbe palais de Tutele,
démoli vers 1700.
2 Les aigles. Sans doute ceux qui surmontaient les tentes
des assiégeants. Variante ; Et l'aigle d'or.
3 Enbattu, arrêtés.
4 Bordel, grange.
GARIN LE LOHERAIN. i37
Encontre va Haimes li signoris,
— « Sire, » fait-il, « bien puissiez-vous venir! »
— « Fis à putain ! » li viens Fromons a dit,
« De dame-Dieu soiez-vous malcis !
« Mauvais traîtres, déléaus, foi-mentis,
« Corn fustes tel, né en penser vos vint
n Vostre seignor osastes envaïr!
« A. vos nature devez bien revenir,
« Car vous issites des hoirs aus Poitevins
« Onques n'amèrent né parens né voisins ;
« N'a lor signor ne vourent obéir,
» S'il ne le porent engignier ou traïr.
« Ne cuidiez mie por vous voise à déclin ,
« Perde ma terre et ce que dois tenir;
'<■ Je vous rendrai l'emperéor Pépin ,
« Très bien vos pende, quar l'avez desservi,
« Parmi la goule comme mauvais mastins. »
Haimes l'entent , mot ne l'i respondi.
Fromons commande qu'on li féist un lit;
Travilliés fut de la mer dont il vint.
Son queu apelle, son mangier li a dit.
Plus de sept vint se couchièrent ausi ,
Par le palais se sunt tuit endormi.
Mais dans Bernars n'ot cure de dormir ' :
' Dans, damp. {Dominas.)
i38 LI ROMANS DE
Dou lit se liève, les degrés descend!;
Vint à l'ostel Haimon et Hardiiin :
— « Franc chevalier! que faites-vous ici?
<i Contre le roi faisons un nouvel cri;
« S'arons Fromons en la folie mis,
« Jamais nus lions ne l'en porra partir. «
Et cil coururent les blans haubers vestir,
Hastivement font leur chevaus covrir,
For s'en issirent deux cent et quatre vint.
Jusqu'aus hauberges ne prirent onques fin.
Li cris enforce contreval l'ost Pépin,
Il se coururent de lor armes garnir.
Li dus Garins sor un grant cheval sist
Qui vint d'Espagne, si l'i estoit tramis;
Bien reconnut Bernart quant il le vit.
Il li escrie com jà pourez oir :
— « Ha ! traîtres, parjures, foi-mentis ,
« Fis à putain, vous n'i pourez garir ! »
Bernars l'entend, mais pas ne respondi.
Qui dont véist Bernart le jour guenchir,
Destre et senestre trestorner et férir ,
De boiii vassal li poïst sovenir.
Mais ne li vaut vaillant un Angevin,
Que malgré sien, li en convient foïr.
Parmi la porte les enchauce Garins ;
GARTN LE LOHERAIN. iSg
El bore de fors fii grans li poignéis ' ,
Ens el marché ot maint borjois ocis.
Se cil de l'est vousissent bien venir,
Bien le sachiez, Bordelie eussent prins.
Li borjois montent es soliers, ee m'est \is'y
Giètent grans pierres et les pieiis féreïs;
Fromons se lieve, qui entendi le cri,
Par la fenestre a retourné son vis,
Vit les royaux par la porte venir,
Parmi les rues vit les borjois foir,
Testes saigner, boiaus de cors issir :
Et voit son oncle dant Bernart de Naisil
Qui se défent au branc d'acier forbi.
— « Diex, » dist Fromons, « bien vois, je suis trais.
« Or tost aus armes ! franc chevalier gentil ,
« S'ensi nos prendent , dont sommes-nous honnis. «
Aus ostés courent por lor armes saisir :
' El bore de fors. Je ne puis mieux faire ici que de citer
du Gange: « Burgus forensis , id est, burgus qui/ômest,
« seu extra urbem. Hinc nostrum Faiixbourg derivatum
>< existimo. Vrmo forsboiirg e\.forbourg; deinde fauxbourg
« dictum est.» (Gloss., au mot Burgus.) — On voit en-
core par ce vers, qu'avant forsbourg on avait dit bowc
de fors.
* Soliers, terre-pleins et galeries supérieures des mu-
railles.
i4o LI ROMAINS DE
Là véissiez les blans haubers vestir,
De chevaliers les grans rues emplir.
Bien apariit quant Guillaumes i vint,
Fromons et Fouques et li prous Jocelins,
Et Galerans et ses frères Gandins ,
Pieres d'Artois , li Flamens Bauduins.
Lohérens ont et Frans arrière mis :
Grans fut la presse quant vint au départir.
Li dus Garins tant le jor i soffri,
Ains chevaliers si richement nel fist.
Diex! qu'or n'i fust dus Bègues de Belin!
Fromons perdi en icelui venir ,
Biais les Roiaus a-il fait départir.
Et les buisines sonnent au tref Pépin :
Grans fu li brais et grant furent li cri;
Et li navrés vont criant Dieu merci.
Garin abatent, le chevalier gentil.
Il fu à pié coureçous et marris.
Li quens Bernars , ses mortes anemis ,
Moult le défoule et déboute et laidit ;
Jà l'éust mors, quant l'Allemans i vint,
Hues de Troies , Girars qui Liège tint;
Garin remontent, mais ne s'i pot tenir;
Entre lor bras quatre conte l'ont prins ,
Dedens son tref l'ont maintenant assis;
Il ne fust drois qui li donnast Paris.
GARIN LE LOHERAIN. 141
Qui dont véist l'empcreor Pépin
Sor le destrier le grant cstor tenir,
Deux en abat et le tiers a ocis.
Mais li Flamens, Guillaiimes de Monclin ,
Sor les serjans font les nos reflatir *;
Traient Arcliier, plus en i ot de mil :
— " Diex ! u dist li rois, « aide, saint Denis !
<( Or n'i est mie dus Bègues de Bélin !
« Où est aies mi drus , li dus Garins ? »
— « En non-Dieu , sire , » ce li dist Savaris ,
« Enmi les chans le vis moult entreprins ,
« Entre ses bras le tint uns siens amins ,
« Tant fu batus jà n'en estordra vis. »
Et dist li rois : « Maie novelle a ci!
« Sainte Marie qui le cors Dieu teras !
'< Deffendez moi, que ne soie honnis ;
'< Bers saint Denis ! Proiez-en Jésu-crit,
« Car de vous dois la couronne tenir ! »
Moult fu doUans l'emperères Pépins,
Quant à véu Bordel ois esbaudir.
Prisons mener et bons chevaus tenir ";
« Sor les serjans; c est-à-dire, repoussent les Royaux sur
les sergents. Il faut se rappeler qu'autrefois les cavaliers,
dans leur première course , dépassaient souvent le corps
d'armée ennemi ; le danger était au retour.
2 Prisons, prisonniers.
i42 LI ROMAINS DE
Le jor gaignèrent assez li Poitevin.
Bernars apelle Fromont, si li a dit :
— « Peignons au roi, car il est desconfis,
« Et se li rois i povoit estre prins,
« Pais avérions , tout à nostre plaisir. »
— « Tais-toi, biaus oncles, » Fromons li respondi,
« Nos sires est l'empcrères Pépins,
« Je suis ses hons et féauté li fis.
« Tornons arrières, trop l'avons entreprins. «
Et dist Bernars : « Non ferai, biaus amins ,
« Tant que je l'aie détranchié et ocis. »
Ce dit Fromons : «Vous me voilez honnir,
« Et de ma terre fors-metre et desaisir;
« Mais par la foi que je dois saint Martin,
« Il n'i a ores chevaliers si hardis ,
« Se je le vois trestorner né guenchir,
« Que ne le voise de m'espée férir '. »
Derrier se met, les siens en fait venir,
Parmi la porte ens Bordelle sunt mis.
Français repairent coureçous et marris,
Perdus i ont assez de lor amis.
Diex! com se plaint li Lohérens Garins!
A son tref font li bon mire venir,
Emplâtres firent por le vassal garir,
ï Que ne le voise, que je ue l'aille....
GARIN LE LOHERAIN. 143
Tout ot enflé et bras el teste et pis ;
N'est pas merveille, car de grans cous a prins.
Véoir li va l'empeières Pépins :
— « Comment vous est, » dist li rois, « biaus amins? »
— « Mauvaisement, » ce dist li dus Garins ,
« Cist maus me tient , par tôt le cors s'est mis. «
En l'ost font duel ; mais Bernars de Naisil
En fait grant joie , Fouques et Jocelins.
Fromons commande qu'on les tables méist',
Et l'on si fait , léans en un jardin ;
Onze vint tables i poissiez choisir'.
Devant les autres est venus Fromondins,
Et out o lui de damoisiaus bien vint;
N'i out celui ne li appartenist.
Bernars le voit, à l'encontre li vint,
Il li baisa et la bouche et 1» vis,
Il en apelle le Flamenc Bauduin :
— « Or esgardcz, quel nevou avons ci!
« Et car prions Fromont le poesti
« Que il féist chevalier de son fil. »
— « Et je l'otroi, « li Flamens respondi.
A Fromont vienent, si l'ont à raison mis :
• Les tables. Variante : Les nappes.
> Onze Vingt. Variantes : Quinze Vingt, — Onze cens.
— Quinze cens. — Dui mitle.
i44 LI ROMANS DE
— « Or esgardez , biaus niés, « Bernars a dit ,
« Com cil est biaus et de bras et de pis!
« Car en faisons chevalier, le matin ;
« Il piiet moult bien grosses lances croissir ',
« Et guerroier ses mortes ancmins;
« Se tu vivois jusqu'au jor del juïs",
« En meilleur point n'iert chevaliers tes fis'. »
Et dist Fromons : « Merveilles avez dit;
« Il est trop joues, ne le pouroit sofrir. »
— '( Si fera voir, » dit Bernars de Naisil ,
« Vous estes vieus et chenus et floris,
« Reposez-vous et faites vos délis;
« Et cil voudra la guerre maintenir '*. »
Fromons l'oït , à pou n'enrage vis :
— « Sire Bernars, vous m'avez aati ^,
1 Grosses lances croissir. Tariante : Ses garnimens tenir.
2 Deljuïs, du jugement dernier.
3 En meilleur point , etc., c'est-à-dire, ton fds ne serait
pas meilleur chevalier qu'il ne le sera aujourd'hui.
4 Bernard avait sans doute l'inteution, en soulevant la
question de Yadoubement de son petit-neveu, de piquer
Fromont d'émulation et de l'engager davantage à conti-
nuer la guerre. 11 faut remarquer que Fromont avait lui-
même autrefois parlé , dans le même sens , à son père
Hardré. (Voyez tome I*"^, page 82.)
5 Aati. Variante : Laidi. Les deux mots ne sont pas syno-
nymes, Aatir repond assez bien à heurter, attaquer, que-
reller.
GARIN LE LOHERAIN. 1^5
n Que me clamez viellart et rasotti ' ;
« Encor puis bien sor mon cheval saillir
0 A grant besoin^, et mon droit maintenir*.
« Au grant cstor demain vous en envi ^ ;
n Et cil qui pis ou de moi ou de ti
« Le fera, oncles, savez que je vos di?
« Li espérons li soit coupés parmi
« Près du talon , au branc d'acier forbi '*. »
Et dit Bernars : « Biaus niés, por Dieu, merci!
1 Rasotti, au lieu de rasoité et pour la rime. Nicot
l'explique encore; devenu soi.
2 A grant bcsoing, à la grande utilité, au grand profit
des miens.
3 Au grant estor demain vous en envi, je vous cite à
prouver vos dits à la grande lutte de demain. Variantes :
A grant estor, — Au grant tornoi.
4 Li espérons, etc. Voici l'un de ces passages précieux
dont du Cange a tiré bon parti dans ses admiiables
travaux. Mais l'usage de déposer les éperons n'existait-il
pas également et pour les chevaliers que l'âge avait
privés de leurs forces, et pour ceux que la lâcheté de leur
conduite rendait indignes du nom de chevaliers.*' (Voyez
sur ce point 1 Histoire de messire Erars de Valéry, dans le
Romancero français, pages 121 et 122.) Quoi qu'il eu soit,
la première pièce de l'adoubement d'un chevalier était
Véperon , et quand il perdait ce titre, l'éperon était la
première pièce qu'il devait quitter. Aujouid'hui les épau-
leltes ont remplacé Véperon.
II. 7
i46 LI ROMANS DE
« Jel dis por bien , si m'en ont vostre amin
« Trestout proie, por verte le vous dis. »
— «Volez-le-vous? » Fromons li respondi,
« Je le ferai, puisqu'il vous siet ensi. »
A son hostel est venus Fromondins :
Les cuves font d'iave trestout emplir' ;
Entrés i est li damoisiaus de pris %
Et des vallès chascuns la soie prist ^.
Là véissiez les chamberlans venir
Qui portent robes et bons dras de samis.
Les escuiers aus murs et aus roncins *,
Aus palefrois et aus chevaus de pris.
Fromons envoie Baucent à Fromondin ^,
1 Les cuves font. Variantes : Une grant cuve, — Cin-
quante cuves. "Aucuns,» disoit encore Antoine de la Salle,
sous le règne de Cbarles VII, •< se font chevaliers qui sont
« baignés en cuves el puis revestus tout de neuf. » Compa-
rez la description de l'adoubement de Fromondin avec
ceux de Bègues, tome l" , page 64; d'Auberi-le-Bour-
goiug, page 85; de Guillaume de Monclin, page aSg; et
surtout avec celui de Rigaut que nous verrons bientôt.
2 De pris, précieux , illustre.
3 Des Vallès , des damoiseaux qui accompagnaient Fro-
mondin.
4 Aus murs, aux ou avec les mulets.
5 Baucent, cheval d'un certain poil. Voyez lelymo-
GARIN LE LOHERAIN. i47
Son bon destrier, que il paramait si :
Bone est la selle qui de Tolouse vint'.
De plaine terre saillit sus Fromondins %
Fist un eslai, arriéres s'en revint 3;
Hurte de coste dant Bernart de Naisil,
Por un petit que il ne l'abati.
— « Sire viellars , > tout en riant li dit,
« De ma mesnie serez , je le vous pri. «
Et dist Bernars : « Sire, voslre merci!
logie proposée de ce mot, tome F"^, page 66. Cependant,
dans le Roman du Renard , le nom du sanglier est Bau-
cent :
Estoit et Bancens li sanglers,
Li pourciaus i fu Wanemers.
(Renard le Novel.)
Et ue doit-on pas en conclure que le cheval Baucent avait
le poil roux du sanglier?
1 Le Cordouan de Piovence était autrefois célèbre,
comme on le voit par la pièce du Concile dApostoles (édi-
tion de M. Crapelet, page n5). On sait qu'autrefois on
donnait volontiers au Languedoc le nom de Provence.
2 De plaine terre, c'est-à-dire, sans le secours des
étriers, et bien que revêtu de ses armes : ce qui élait un
véritable tour de force fort commun dans nos Chansons
de Geste, mais sans doute fort rare dans les temps histo-
riques. Voyez, dans Sainte-Palaye, la citation de Percefo-
rest : « Puis vint à son cheval, et saillit sus de plaine
« terre, que des estriers ne se daigna aider. »
3 Fisl un eslai. Nous dirions aujourd'hui : caracola.
7-
i48 LI ROMANS DE
«I Par tel convent que ferez mon plaisir.
« Or vous convient des espérons férir,
« Et honorer les chevaliers gentis ' ;
« Donner aus pauvres et le vair et le gris.
r « Car une chose vous aconte et vous dis :
1 « Nuns avers princes ne puet terre tenir ^, »
^' « Ains est doraages et dolors quant il vit.
Dist Fromondins : « Je ferai vo plaisir. »
El vergier entre oii li mangiers fut mis:
A une table est assis Fromondins ,
Dejouste lui, Guillaumes de Mouclin.
Huimais devons à Begon revenir.
Forfaire vient de sor ses anemins^:
Diex ! com grant proie a fait li dus venir,
Vaches et bues et moutons et bcrbis!
L'arriére garde flst li dus Auberis,
En l'avant garde Hues del Cambrisis;
Dos li venerres d'autre part se r'est mis,
Devers senestre li bons vilains Hervis.
• Et honorer, etc. Ce vers ne se trouve que dans les mss.
de Navarre et 7608. Seul il peut expliquer le suivant .
Donner aus pauvres...-
2 Nuns avers princes. Voyez tome I'^'', page 2^9.
3 Forfaire vient, elc., il vieut de porter dommage, nuire
à ses ennemis. [Du Cange, à Forisfacere.)
GARIN LE LOHERAO. 149
En son vergier li quens Fromons se sist;
Il vit les routes de chevaliers venir' ;
Il en apelle Bouchart et Harduin :
— '<■ Qués gens sunt ore que je vois là venir? »
Et dist Bouchars : « C'est Bègues de Bélin ,
n Qui lez nos terres vient ardoir et bruir. »
— a II a grant droit, certes, « Fromons a dit,
'< S'il en povoit au deseure venir *,
« Il vous devroit escorchier trestoz vis^
'< Fis à putain ! de quoi vous movoit-il ,
'< Quant vos signeur osastes envaïr
t En traison, et sa feme tollir? »
— « Laissiez ester, » dist Bernars de iVaisil,
« Une autre chose faites, je vous en pri :
« Mandez au roi le tornoi, le matin ^;
n S'esprouverons vostre fil Fromondin
« Comment saura trestourner et guenchir. «
• — « Je l'olroi bien , » Fromons li respondi.
Il en apelle dant Josserant le gris :
— « Biaus dous amins, alez-en à Pépin ;
r Les routes, les troupes , les compagnies.
» Au deseure venir, en venir à ses fins , triompher.
Voyez, dans le Romancero français , la chanson de Flore
et Blanche/leur, page 65.
3 Le tornoi. Dans le sens absolu de lutte, combat.
i5o LI ROMANS DE
« Dites le roi, gardez n'i ail menti,
« Que chevaliers est mes fils Fromondins ,
rt Et nous aroiis le toriioi , le matin ;
n Je veus savoir com le fera mes fis. »
Dit li mesages : «■ Très bien le sera dit. »
Ez-vous Begon à son trcf descendi.
Il fil assez qui nouvelles 11 dit
Comment ses frères fu batus et laidis.
— « Si va de guerre! » li dus Bègues a dit '.
Au tref le duc est venus li niarchis,
Trueve Garin qui en son lit se gist;
Il fu plus noirs que n'est charbons estains^
Par les espaules et par bras et par pis.
Bègues le voit, si l'a à raison mis :
■■ — «Levez-sus, frères, trop i avez dormi j
« Ne faites mie joians vos anemis. »
— « Je nel puis, frères, » ce dit li dus Garins,
« Car tant me duel ne me puis sostenir'. »
Vous ist ou non li Loherens Garins ,
Chaucier le fait maintenant et vestir;
Puis sunt monté sor les chevaus de pris,
A quinze contes vont à la cour Pépin.
I Si xa de guerre, telle est la guerre.
» Car tant me duel ne, je souffre tant que , etc.
GARIN LE LOHERAIN.
Li rois ot joie quant il le vit venir,
De ranc en ranc sunt entour lui assis.
Atant ez-vous le mesager en vint '■
Que de Bordelle li ot Fromons tramis;
Le roi salue , com jà povez oïr :
— « Cil dame-Dieu qui onques ne menti ,
'< Il saut et gart l'emperéor Pépin ,
« Sa compeignie et ceus que je voi ci.
« Li quens Fromons m'a envoie à ti
« Et si te mande, de par lui le te dis :
n Chevaliers est li siens fis Fromondins
« Et de tornoi te semont le matin. »
Et dit Pépins : « Merveilles puis oïr !
n Je cuidois bien Fromons pais me quéist ,
« Et il me mande le tornoi , le matin !
« Amis, biaus frères, à ton signor me di
« De tornoier n'ai encor conseil prins ',
« Que ma gent suut moult malement laidi;
I En 'vint. Nous conservons ce vieux gallicisme dans les
phrases : s'en venir, le messager s'en inni, etc. ; mais l'ad-
dition du pronom se me semble plutôt dans le génie de la
langue italienne, à laquelle nous l'aurions emprunté vers
le xvi'' siècle.
* N'ai encor conseil prins, je ne suis pas encore délibéré
d'accepter le combat.
i52 LI ROMANS DE
«■ Par ces hauberges en gisent bien set vint \
" Devant deus mois ne seront mais gari. »
Et dit li mes : « Merveilles puis oïr!
« Que quens palais roi de France aati
« De tornoier, et il l'en faut ensi *;
« Tuit cil qui l'oent en doient dire li. »
— « Amis vassaus, « li dus Bègues a dit,
« Laissiez ester l'emperéor Pépin ,
« Tant que sa gent soient moult bien gari.
« Esmaié sunt de ce que lor avint ,
« West pas merveille, n'en estoient apris.
« Dites Fromont de Lens le poestis,
« Qu'encontre nous s'est-il là dedans mis ^;
« Au tornoier ne puet-il pas faillir.
« Se demain vient, trouvera au férir. «
Derrier lui garde, si voit Rigaut venir.
Un damoisel fd au vilain Hervi;
Gros out les bras et les membres fornis''^
1 Hauberges. Ce mot se prend pour loge ou logis, en gé-
néral; et dans nos poëmes , loge est synonyme de tente.
2 Que quens palais, etc., de ce qu'un comte du palais
offre le combat à un roi de France, et celui-ci le refuse.
— Fromont, depuis la mort d'Hardré, avait le titre de
comte du palais. (Voyez tome I*"^, page i53.)
3 Qu'encontre nous, etc., qu'il s'est enfermé dans Bor-
deaux pour nous tenir tète.
4 Les bras. Variante : Les os.
GARIN LE LOHERAIN. i53
Entre deus iaus plaine paume acomplij
Larges épaules et si ont gros le pisj
Hireciés fu , s'ot charbonné le vis ' ,
Ne fu lavés de six mois acomplis ,
Né n'i ot aive se du ciel ne chai * ;
Cotele ot courte, jusqu'aus genous li vint,
Hueses tirées dont li talons en ist.
Bagues le voit, si l'a à raison mis :
— « Venez avant, » fait-il , « sire cousins;
« Chevaliers est li vallès Fromondins,
<c Aisnés es-tu de lui, ce m'est avis;
« Vous resérez chevaliers , se je vis ,
't Ains demain soir, par le cors saint Denis.
« Et si vous doins le cheval Fromondln,
« Sur coi sera au tornoi, le matin. »
Rigaus respond : « Sire, vostre merci! ■'
Li rois l'oït, si a bouté Garin :
— « Avez oï du forsené que dit ? »
Et dist Garins : « Merveilles puis oïr,
« Que ce donnez dont vous n'estes saisis ;
« Mal connoissiez Fromont le poestis,
« Lui et Bernars le signor de Naisil ,
« Qui contre vous se sunt là dedans mis. »
• Hireciés, hérissé. — Cliarbonné. Variante: Mascuvé.
2 Né n'i ot aive, et il ne coula d'autre eau sur son visage
que celle de la pluie.
7.
i54 LI ROMANS DE
Respont li dus : « Je vous ai bien oï,
« Vous et le roi qui France a à tenir;
« Forment vous ont et batus et laidis,
« Vous les doutez, je le sai bien de fi:
« Moi , je nés prise vaillant un parisi.
« Se devers aus vous en voiliez tenir.
« Et l'eussiez et juré et plevi,
« Si averois le cheval Fromondin.
« Mesagiers, frères, encorcs le te dis :
« Dites Fromont de Lens, le poestis,
« Que j'ai donné le cheval Fromondin,
« Maugré Bernart le signor de Naisil,
« Haim de Bordelle, et le conte Harduinj
« Maugré en aient trestult li Poitevin ,
« Si le donral mon nevou Rigaudin. »
Et dit li mes : « Je vous ai bien oï ;
« Si m'ait Diex, n'en sera mot menti. »
Li mesagiers arrières s'en revint.
Parmi la porte ens Bordelle se mist,
Jusqu'au vergier ne print-il onques fin
Trueve Fromont soz un pomier flori ;
Cil chevalier furent par le jardin,
Çà dis, çà trente, là quarante^ là vint:
Si com il virent le mesagier venir,
Entor Fromont maintenant se sunt mis
Por les nouvelles escouter et oïr.
GARIN LE LOHERA.m. i55
Fromons le voit, si l'a à raison mis :
— « Di va ! » fait-il , « que me mande Pépins' ?
« Averons-nous le tornoi , le matin? «
Et cil li dist : « Si ra'aïst Diex, oïl.
« De par le roi i eussiez failli,
n Ne fust dus Bègues que desor lui le prist.
'< Iluecques vis un damoisel venir,
« Ce fu Rigaus, fis au villain Hervi;
« Ains de mes ieus tel chevalier ne vis.
« Bègues li dus l'apella son cousin,
« Nel cela pas mais, oiant tuit, li dist
« Qu'il lui donrait le cheval Froraondin. »
— « Fis à putain ! » li quens Bernars a dit,
n Fol mesagier, Diex te puist maléir,
« Qui tes nouvelles nous a ores si dif!»
Et dit li mes : « Encor a-il plus dit.
« Bègues vous mande que malgré vostre vis
« Et le parage, quanque de vous a ci ^,
« Si aura-il le cheval Fromondin. »
' Di va. J'ai, dans le premier volume (page agS), tenté
d'analyser celle inlerjection ; mais j'aurais dû remarquer que
Grégoire de Tours emploie déjà wa, dans le même sens,
" Cum (Chlothacarius) graviler vexabatur à febre, aiebat :
« A>a.' quid putalis qualis est ille rex cœleslis, quisiclam
« magnos reges interficit? » (Lib. iv, cap. xxi.)
^ Tes, telles.
^ Quanque, autant que.
i56 LI ROMANS DE
— « Jà ne l'ara, » li quens Bernars a dit,
« Le sien cheval li convenra guerpir. »
— « Or bellement ! » li quens Fromons a dit ' ,
« Mal connoissez dant Bcgon de Bélin;
« Il l'aura tost , puisqu'il l'a entreprins.
« Alez veiller, Froinondins, sire fils %
« En l'onor Dieu qui en la crois fu mis,
« Qu'il vous défende de honte et de péril. »
Et li Vallès s'en va à Saint-Seurin ^j
La nuit veilla , grant luminaire fist.
Li rois de France enmi les champs en vint,
En sa compagne mil chevaliers de pris.
1 Or bellement! dans le sens de tout beau! On le dit
encore en Champagne; — ^ comme à Paris : Joliment!
2 Veiller. Les antiquaires nous parlent tous de la veille
des armes comme d'une cérémonie qui devait toujours
précéder Vadouhement. En effet, l'usage en remonte au
moins au xiii® siècle. Mais, dans notre poëme, on voit
qu'originairement les damoiseaux étaient tenus de veiller,
non pas avant d'être armés chevaliers , mais seulement
comme tous les autres guerriers , la nuit qui devait pré-
céder un combat. C'est ainsi que Bègues avait veillé avant
de combattre Isoré le gris.
' 3 Saint-Seurin , aujourd'hui faubourg de Bordeaux,
autrefois cimetière fameux et église révérée, dont il est
fréquemment parlé dans la suite du poëme.
GARIN LE LOHERAIN. iS?
Et dit li rois : « Por Dieu entendez ci :
« Ains puis que Bègues de moi se départi,
« Ne pus en l'ost resposer né dormir.
n De l'eschargaite, por Dieu , qu'en sera-il ' ? »
— « Je la ferai, » dist Bègues de Belin ,
« Par tel couvent com vous porez oïr;
« Que s'on i pert vaillant un Angevin
« Je en rendrai un auferant de pris. »
Il en apelle Huon de Cambrésis
Et de Lembort Gallerant et Gaudin ,
Et si apelle le Borguignon Aubri :
— « Prenez vos armes , franc chevalier gentil ,
« Si veillerez trestuit, ensemble mi.»
Et il li dient: « Tout à vostre plaisir ! »
De l'ost issirent de chevaliers dui mil;
A quatre portes ont lor agais bastis.
Et à chascune ot cinq cens fervestis.
Bien gart Fromont et sa gent à l'issir*.
Li jors s'en va et la nuis asséri.
« L'eschargaite, la garde. Il est ici substantif et non pas
adjectif comme dans le tome F', page 20, où jai eu tort
de préférer la leçon eschauguettes. En effet, ce mot est
formé de scara, interprété dans les monuments du tiii^
siècle par titrma, actes; et de wachte, garde.
* Bien gart, il prend bien garde comment Fromont
sortira.
i58 LI ROMANS DE
Les gaitcs cornent desor le mur anti ' ,
Fromons se siet sor le pont tornéis,
Sa gent devise si a ses gaites mis "";
Puis en apelle dant Bernart de Naisil :
— « Issez-vous-en, oncles, » Fromons a dit,
« Jusqu'aus hauberges les alez estormir;
« Qui en gieu entre, le gieu doit consentir,
« Et l'on doit bien grever sou anerai. »
Respont Bernars : « Sire , vostre merci ! «
En l'ostel vinrent et tost furent garni.
Issir vouloient quant la gaite lor dist :
« N'en issez mais, franc chevalier gentil,
« Quar Bègues gaite à deus mil fervestis. »
Et dit Fromons : « Je ne lo pas l'issir. »
Arrières vint dans Bernars de Naisil ^;
Dist Fromons : « Oncle, or vous povez dormir,
« Plus serez frais por aidier Froraondin. »
La nuis s'en va, et l'ajornée vint.
Et Fromondins, par main, la messe oï^ ,
Puis a mangié et béu un petit ;
Il se cuicha et fu tost endormi.
1 La gaite, sentinelle de la ville.
2 Si a ses gaitcs mis. Fromonl fait ici à peu près ce que
nous appelons relever les postes.
3 arrières, par derrière.
4 Par main, au malin.
GARIN LE LOHERAIN. 169
Et li dus Bègues de son gait est partis ' ;
Par les entrées des très en l'ost s'est mis.
Son escuier apelle, si li dist :
« Oste la selle mon auferrant de pris,
« Frote le dos, par Dieu , je le te pri ,
« Puis li remès la selle, biaus amins. »
Trestout armés se cuicha en un lit ,
Fors son espée nule rien n'en tolli.
Dit au Borgoin : « Or faites autre si ,
« Plus serez frais quant vous oirez le cri. »
Li jors fu biaus, li solaus esclarcis ,
Li quens Fromons se gisoit en son lit;-
La fenestrelle un seul petit ouvrit,
Et la clartés le fiert enmi le vis.
Tôt maintenant s'est chauciés et vestis;
Trestout armés fors de la chambre issi
Cheval demande, et on li fait venir.
Parmi la ville les a toz estormis.
A l'ostel vint son enfant Fromondin ',
Treuve l'enfant qui dormoit en son lit,
Bernart apelle : « Çà véez de mon fil ,
» De son gait est partis, c'est-à-dire, la nuit étaut pas-
sée, Bègue quitta son poste de gaite extérieure, et rentra
dans l'intérieur du camp.
2 Son enfant, c'est-à-dire, de son enfant.
i6o LI ROMANS DE
« Qui se déust et accroistre et norrir ';
« Or ri convient son blanc aubert vestir ! »
A vois escri : « Levez sus, Froniondins !
'< Ne devez pas, biaus sires, tant dormir.
« Li grans tournois jà déust départir. »
L'enfés saut sus, quant la parolle oï :
Li escuier vinrent por lui servir,
En pou de terme est chauciés et vestis.
Li quens Guillaumes, li sires de Monclin,
Li ceint l'espée à la renge d'or fin,
Voiant trestoz, et bellement li dist :
— « Je te chastois, biaus dous niés Froraondins i,
« Ne croire mie né garçon né frarin ' ;
« Haus bons seras se tu longement vis'',
« Or soiez fors et conquérans tos dis',
« Fel et estons contre vos anemins ®,
« A maint prodonime donnez et vair et gris;
« Par cest afaire monterez en haut pris. »
ï Et accroistre et norrir, prendre du corps et des forces.
2 Je te chastois, je te recommande, je te donne en leçon.
3 Né garçon né frarin, ni débauchés ni misérables.
Du moins je pense que tel est le sens de frarin. La reli-
gion ne reconnaissait que des frères; mais les hommes
de peu étaient des frarins.
4 Haus lions, grand seigneur.
5 Tos dis, toujours.
^ Fel et estons, fin et rusé.
GARIN LE LOHERAIN. i6i
— ' Tout est en Dieu , sire , » dist Fromondins.
On li amaine un bon cheval de pris,
Li Vallès monte, que volontiers le fist;
Escu ot d'or, à un lion anti '.
Les portes fait li quens Fromons ovrir,
Tous les serjans fait primerains issir.
Lisses fait faire où se porront tenir
S'on les efforce, por lor cors garentir.
Premiers s'en ist li vallès Fromondins,
Et après lui, Guillaumes de Monclin.
Après, Bernars et Fauconnès ses fis.
Et de Verdun li riches Lancelins,
Forques et Hues et de Grantpré Henris,
Herbers de Roie, Huèdes de Saint-Quentin,
Robers de Boves, Anjorrans de Couci,
Pieres d'Artois, li Flamens Bauduins,
Droés d'Amiens et ses fis Amauris.
Après s'en ist li quens des Beauvoisins ,
De Montdidier Gerars et Jocelins,
Guis de Surgière il et Simons ses fis.
Après s'en ist Forques qui tient Aunis ,
' ytnti, élevé, droit. Ce passage jusUfie assez bien le sens
que j'ai donné au même mot dans le Romancero français.
J'ai pu me tromper en prenant le latin altus pour sa ra-
cine, mais il n'est guère possible d'admettre ici celle d'a«-
t'tquus, proposée par M. Raynouard. ( Voy. Journal des
Savants, février i834.)
iG2 LI ROMANS DE
De la Rochelle Aliaumes li floris,
De Mauléon Joifrois et Savaris;
Apres içous signors que je vous di,
S'en ist Guillaumes li quens aus Poitevins,
Et de Boorges Thiebaus et Amauris,
Et de Limoges Jociaiimes et Gondrins.
Adont s'en ist Fromons li poestis.
En l'est enforce et la noise et li cris.
Là véissiez les boisines tentii-,
Les moniaus et corner et bondir ',
Et les banieres encontre mont flatir.
Là sunt arme plus de quarante mil,
Por Fromondin le chevalier gentil.
Nostre emperères fait l'estendart venir 2 ,
1 Les moniaus. Saos doute les moiniaus de la ville.
On donnait ce nom aux cloches d'un petit diamètre,
qu'on employait pour former une espèce de carillon. Ce
mot semble avoir l'origine du latin monitum, bas-lat. mo-
nitale. Variantes : ménuiaus, mojeniaus, menolaus et mo-
uines.
2 L'estendart. Dans nos anciens auteurs , il faut toujours
entendre par ce mot le point central de l'armée, indiqué par
un pal ou mât quelquefois fiché en terre, le plus souvent
dressé sur un chariot. Voilà pourquoi, chez les Italiens, il
n'avait pas d'autre nom que celui de caroccio. Au sommet
du mât se développait la forme ondoyante d'un dragon dont
GARIN LE LOHERAIN. i63
Si le fait bien de chevaliers emplir
Et de serjans, por le fais soutenir.
Premiers s'en ist des monts d'Aussai Tierris,
Gerars dou Liège et l'Allemans Ouris ,
Renaus de Toul , de Bar li dus Henris,
De Saint Michiel quens Hues li floris;
Après s'en ist Hues qui Troics tient,
Et d'Aspremont Thiebaus li poestis.
Après chevauche li Loherains Garins
A grant compaigne de chevaliers gentis;
Cil de Tornucre et Garniers de Paris ',
Et de Nevers li prous quens Amauris;
Cil de Chalons , de Genevois Thieris '.
]a gueule était toujours tournée dans la direction qu'on
voulait donner à la marche des combattants.
D'après tous les textes que jai vus, et surtout d'après le
vers du tome F"^, page 38, je pencherais à croire que Ves-
tendard était ordinairement entouré de vastes lices ou bar-
rières. C'était là que se tenait ce que j'appellerais volontiers
la réserve; c'était là d'où partaient les chevaliers pour
fournir leur carrière et qu'ils revenaient quand ou les avait
forcés de reculer. Ces lices peuvent seules complètement
expliquer le vers suivant.
' De Tormiere. Variantes: D'Estorniere, — De Comere ,
Tormirre , — de Gomerc. Je crois qu'il s'agit ici de Ton-
nerre.
2 De Genevois. "Variantes ; De Marmion , — El d'Avalois.
— d'Aminois.
i64 LI ROMANS DE
S'en ist Achars icil qui Rivicrs tient,
Hues del Mans et Jofrois l'Angevins,
Hunaus de Nantes et Salemons ses fis,
De Pierelate Fouquères li petis;
Après Aliaume, Guichars qui tient Beaugi '.
De Normandie li dus Richars en ist
Et d'Orlenois li prous qiiens Hernaïs.
Ancor se dort li prous quens Auberis,
Bègues ses oncles, li Ardenois Thieris,
Gautier dou Mans, Hues de Cambresis;
La nuit veillèrent, por ce dorment-il si.
Et les batailles commencent à venir
Le petit pas, n'i out que du ferir.
Premiers dérange li vallès Fromondins
L'escu au col haucié et avant mis.
Un chevalier va maintenant férir.
Que les estriers li fait amdui guerpir^;
Puis rabat l'autre, si que bien on le vit.
Entre dui rens nos abati Thierri.
Trestuit escrient : « Or, après Fromondin*! »
Amont dérengent après lui si ami.
Devers seneslre li Flamens Bauduins ,
Pour le garder qu'à son frain ne venist
1 Aliaume d'Avignon.
2 Dérange , précisément , sort des rangs.
3 Que, au point que.
4 Trestuit, tous ceux de son parti.
GARIN LE LOIIERAIN. i65
Nus chevaliers qui le péust saisir;
Et devers destre Guiliaumes de Monclin,
Hains de Bordele, Bouchars et Harduins ,
Et dans Bernais qui durement le fist;
Bien puet li enfes son espoindre fornir',
Que jà par homme n'i aura contredit,
Deci que vengne dus Bègues de Belin,
Aubris ses niés, Hues de Cambresis.
Mais il se dorment, si com moi est avis.
Et li tornois fut tôt ensemble mis ' :
Là Dissiez grosses lances croissir,
Et chevaliers contre terre flatir
Dont li cheval fuient par les larris.
En quatre lieus ou en cinq ou en sis,
Fu li tornois et grans et esbaudis 3.
Trestûus li fais en vint desor Garin:
Quatre chevaus li ont soz lui ocis.
Li dus retourne que plus nel pout sofrir;
Desconût fuissent, quant vinrent Angevin,
Breton , Normant, por le fais sostenir;
Mais la grant gent Fromont le poestis
' Li enfes, l'enfant. — Son espoindre, sa carrière,
î Li tornois f(t tôt ensemble, les deux baades se mêlè-
rent conoplétcment.
î Esbaudis, vif, excilé.
i66 LI ROMANS DE
Soz l'estcndart font les nostre vertir.
— « Diex! » dist li rois, « aide, saint Denis!
« Défendez-moi ne soie mors né prins.
« Où est dus Bègues qui à aus s'aati ' ? »
Uns chevaliers qui de langue servi :
— « Sire, » dist-il, « ce fut après le vin =>;
« Oublié l'a, en nonchalloir l'a mis;
« Vous ncl verrez hui en ester venir. «
Uns damoisiaus que Bègues ot norri
Moult durement parla et si li dist :
« Dans chevaliers vous i avez menti!
« Li dus se dort qui er soir l'agait fist". »
Le destrier broche des espérons d'or fin,
Ains ne fina, as hauberges en vint
1 Qui à aus s'aati, qui , la veille, les a défiés.
2 Ce fut après le 'vin , c'est-à-dire : « Bègues avait bu
quand il accepta hier le combat ; il n'aurait pas parlé ainsi
à jeun; ou, dans tous les cas, il l'a oublié. » Ce chevalier
qui daube auprès du roi le Loheraiu, fait allusion à
l'ancien proverbe : Serment d'ii-rogne, doul nous avons dé-
tourné le sens, comme de la plupart de nos proverbes;
heureux quand nous n'en avons pas corrompu les termes,
comme dans nos ridicules Mars en carême, — Os de
boudin, etc.
3 Qui er soir l'agait fist, qui fit sentinelle hier soir.
GARIN LE LOHERAIN. 167
Dedans le ti-ef où li dus Bègues gist :
— '< Levez sus , sire, trop i povcz dormir,
« Car le tornois se vuet ja départir.
« A la promesse , par Dieu , avez failli
« Que vous féistes Rigaut le fil Hervi. »
— « Çà, mon cheval, » li dus Bègues a dit,
'< Envolez querre mon nevou Rigaudin. »
Ains que li dus à son cheval venist
Li baron vieuent et li dus Auberis;
Moult doucement lor a proie et dit :
« Signor baron , je me suis aatis
« Contre Froment et envers ses amis ,
« De mort me héent, ce set-on bien de fi.
'( Ancor verrez bon chevalier en mi ;
« Prenez vous garde de moi je vous en pri. »
— « Moult vollentiers, » ce dist li dus Aubris,
Li dus s'en torne et sa gent autresi.
Bruient baniercs et penoncel fliori ';
Li escu hurlent aus hiaumes poitevins,
Levé la poudre et li jors oscuri ^j
' Bruient, bruissent. Les bannières, que les hauts ba-
rons avaient seuls le droit de tenir et autour desquelles
se groupaient les penuons ou pennonceaux des écuyers et
moindres chevaliers.
î Oscuri, devient obscur.
i68 LI ROMANS DE
Les chaillous fendent , s'en font le feu saillir.
Sor son cheval dus Bègues de Belin
S'en va plus tôt que quarriaus ne traisist,
Bernart encontre, si l'a à raison mis :
— « Où est aies vostre niés Fromondins?
« Son bon cheval ai donné Rigaudin. >'
— « Ne l'ara mie, » li quens Bernars a dit.
Bègues l'oï, à poi n'enrage vis :
Grant coup li donne de l'cspié Poitevin,
Tout estendu l'a jus du cheval mis.
Puis abati Guillaume de Monclin ,
Le tiers encontre , eelui a fait morir '.
Son rang sormonte, s'a son poindre forni *.
Lors traist Floberge , son branc d'acier forbi ,
Entre aus se lance, de bien faire aatis,
Coupe visaiges et bras et poins et pis.
Diex! à quel paine Guillaume de Monclin
Ont remonté , et Bernart de Naisil !
Très bien i pert puis que Bègues i vint,
I Celui , ce troisième.
î Son rang sormonte , c'est-à-dire, en frappant devant
lui, il se Irouve avoir dépassé les rangs opposés, comme
l'avait fait tout à l'heure Fromondin. La posilion du jou-
teur devenait, dans ce cas, fort dan;;ereuse: car il devait
de nouveau se faire jour au milieu des ennemis resserrés
derrière lui.
GARIN LE LOHERAIN. 169
'X Chastel! » esciie, por sa geiit esbaudir.
— -< Diex ! » dist li rois, « li dus Bègues est ci ! -
Dist l'uns à l'autre : « Voirement i est-il,
Il Or pert-il bien que 11 n'est endormis. »
Devant les lices commence li hustins '.
Diex! com le fait la mainie Pépin,
Li Avallois, Hues de Cambresis ,
Aubris ses nies, li chevaliers gentis!
Car n'est pas gieus de tel fait soutenir.
Bègues regarde, s'a véu Fromondin :
Dune bataille venoit contre Angevins;
Plus le convoite que ferae son mari;
A haute vois à escrier se prist :
— '< N'en alez mie, biaus sires Fromondins,
« Ton bon cheval ai donné Rigaudin,
« Et il l'aura maigre tous tes amis;
« Se tu fuiois, tu seroies honnis. »
Fromondins l'ot, à pou n'enrage vis.
De ce Gst-il que prous et que gentis:
Vers lui adresse le cheval sor coi sist
Et fiert Begon tant com il pot venir;
Bègues le liert com bons de riche pris.
Tout estendu jus dou cheval l'a mis.
Se il voulsist le chief en éust prins,
' Les lices, ou autour de l'éteudard de Fromonl.
II. 8
170 LI ROMANS DE
IN'i entent pas, mais au cheval de pris.
Devant lui garde , si a véu Hervi :
— « Tenez, villains, cou donnez Rigaudin. »
Et li villains a le destrier saisi,
Ains ne fina jusqu'as hauberges vint.
Dient Franceis, Normant et Angevin :
<i Bien a dus Bègues son couvent acompli. »
A la rescousse dou vallet Fromondin
Yienent poignant Fouques et Jocelins,
Et Fauconès qui richement le fîst.
Diex! à quel paine remontent Fromondin!
Li quens Fromons fet ses serjans venir ;
Volent sajetes corne pluie en avril.
Desoz Begon ont son cheval ocis,
Et son escu li atornèrent si
Tex trente cops i poissiez véir,
Par le menor volast une pertris.
Et son vert hiaume li atornèrent si,
Li cercles d'or sor ses espaules gist.
Uns escuiers le va noncier Garin :
— « Ha! riches dus, que faites-vous ici.?
(( Begon ton frère ont ja à terre mis,
« Entor lui sunt si mortel anemin. »
— 'c Signor baron , » ce dist li dus Garins,
« Or i parra qui chevaliers iert ci. »
GARIN LE LOHERAIN. 171
— « Sainte Marie! » ce dit li dus Aubris,
« Se le perdons , nous sommes tuit honnis. «
Qui dont véist dérouter et venir,
Des brans d'acier sor les hiaumes férir :
Sainte Marie! com quens Hues le fist,
Et Avalois et cil d'outre le Rhin !
Devant aus font la presse départir;
Begon remontent sor un cheval de pris.
Devant lui garde, voit un espié gésir,
Li dus se baisse, de son cheval le prist,
Jà s'adresçoit devers ses ancmis.
Garins le voit , par la règne l'a pris :
« Que vues-tu faire, enragiés, maufes vis?
« N'as point de heaume, il t'aront jà ocis. »
Bègues le voit, tout en est csbahis;
Met à son chief sa main , si le senti.
Et quant nel trueve, moult en fust entrepris.
Uns escuiers qui de l'estor revint
En son bras porte un heaume qu'ot conquis;
Bègues le vit, si li a dit : « Amis,
« Car me donnez cel heaume, je vos pri. «
Et cil respont : « Sire, à vostre plaisir. »
Sor la ventaille li ont le heaume assis ';
• Sor la ventaille. La ventaille de la première anniire
de têle, laquelle n'avait pas été brisée en raéme temps que
8.
172 LI ROMANS DE
Un escu frès qui de Toulouse vint
Li aportèrtnt, cil volentiers le prist.
Son escuier appela Rigaudin :
« Alez savoir, » dist li dus, « biaus amis,
« Se Fromons est en l'estor esbaudis '. «
Et cil respont : « Si m'aïst Diex, nenil :
« A ses serjans se tient, ce m'est avis '. »
— « Or, chevalier, » dist Bègues li marchis,
« A lui irons, cui que doie abelir. »
« Vostre banière baissiez là, biaus amis. »
A la forclose li dus Bègues en vint ^ ,
En sa compaigne chevaliers plus de mil. •
Son escuier appela, si li dit :
le cercle d'or du heaume. C'est un fai( assez remarquable
que cette manière de poser le casque. La ventaille en
était donc une pièce séparée; sans doute on l'attachait
d'abord par devant avec un simple cordon sur le haubert,
puis on la joignait soliJeineut au casque par des espèces
d'agrafes.
' En l'estor esbaudis, dans le vif du combat. Mot à
mot : élancé dans la lutte.
2 A ses serjans se tient, il ne devance pas ses gens de
pied , il reste sous Vestendard.
3 A la forclose. Je n'ai pas encore vu ce mot, dont le
sens paraît être précisément celui de clôture exté-
rieure.
GARIN LE LOHERAIN.
" Tenez, dreciez vostre bannière ici ' ! «
Fiomont le conte fu la novele oï '
Loherenc vienent por ses scrjans laidir;
Il a mandé le Flamenc Bauduin
Hastivement que il venist à lui.
Diex ! coin lo fait dans Bernars de Naisil !
Mais miens le fait li quens aus Poitevins.
Des Lohcrains nos i ont quatre ocis,
Parens Begon et ses germains cuisins ;
Bègues le voit, à pou n'enrage vis ,
S'or ne se vange , moult se prise petit;
Tant com il puet le bon cheval férir,
Férit Guillaume, le comte aus Poitevins,
L'escu del col li a fendu par mi ,
Le blanc haubert deront et dessarti ,
Tranche l'cschine, la coraille et le pis.
Il chaï mors; dont enforce li cris.
Et sor lui vinrent poignans li Poitevin.
Droit à Fromont li mesages en vint
Qui li conta les nouvelles et dit :
" Mors est Guillaumes, li sire aus Poitevins,
» Tenez, dreciez, etc. Bègues a soin de ne faire dé-
ployer sa bannière qu'à l'instant de joindre les ennemis.
S'il ne l'eût pas fait baisser auparavant, les autres auraient
eu le temps de fuir ou de se préparer à les recevoir.
2 Promont, par Fromont.
174 LI ROMA.NS DE
" Bègues li dus l'a de sa main ocis. »
— << Las! « dit Fromons, « or ai-je moins d'amis;
« Tos li domages en rt-venra sor nii. »
Il n'ont point d'oir, à Fromont eschaï
Toute la terre qu'en son demaine tint '.
Et Fromons point pour les siens garentir.
Après les queues des auferrans de pris
Fait les serjans tous en conroi venir.
Diex! com le fait li Flamens Bauduins!
Et Anjorans nos abat Savari ;
Li fils Droon, li cortois Amauris
De Pierelate Fouquere nos ocit.
Aubris le voit à pou n'enrage vis;
En son escu va frapper Amauri,
Mort le trébuche, ains puis ne revesqui.
Vers le Flanienc li dus Bègues guenchi,
En son escu va ferir Bauduin,
Quens fu , de Flandres dut la terre tenir,
L'escu li coupe et l'aubert li rompi,
Empoint le bien et li vassaus chai ;
Iluecques muert, et l'arme s'en parti.
' Qu'en son demaine tint , que Guillaume tenait en sa
puissance. Ainsi, par la mort de Guillaume, Fromont,
déjà comte d'Artois, de Boulonnois et de Ponthieu, devint
comte de Poitou.
GARIN LE LOUER AIN. 175
Li cuens Fromons les troi contes a pris,
S'es fait porter à Bordelle la cit.
Quant Flaiiienc voient que lor sire est ocis,
Del dfîmorer ne fu plus conseil pris;
Et dit Guillaumes l'orguilleus de Monclin :
— « Frères Fromons , nos sommes escharni;
« Çaretornons; nos sommes dcscoufi. »
Li rois de France moult richement le fist,
Et de sa main lor en a deus ocis.
— « Monjoie ! » escrie l'ensenjjne Saint Denis.
Parmi les barres et parmi les postis
Les mettent ens, sept vingt en ont ocis :
Derrier se met Guillaumes de Monclin ,
Souvent lor saut et souvent lor guenchi.
Bègues l'enchauce et ses niés Auberis.
En la chaucie fu grans li feréis ,
Li quens Guillaumes moult durement le fist,
Il s'aresta sor le pont tornéis
Et vit Begon , moult fièrement li dist :
— « Fis à putain , maleurous chaïlis !
« A grant dollor nos avez hui porquis ;
« Mort nos avez le Flamenc Bauduia,
« Et destranchié assez de nos amis ;
« S'en tôt le mont n'avoit homme que mi
« Si t'ociroie , par ma foi , ou tu mi. »
Et dit quens Bègues : '< Je vous ai bien 01 ;
176 LI ROMANS DE
« Se m'atenilez, je vous liens à hardi. »
Le destrier broche , de sor le pont se mist.
De ce fist-il que prous el que gentis,
Il fiert Guillaume tant coin il pout venir,
Si l'abati sor le pont tornéis,
Le bras sencstre li a brisié parmi.
Au retorner que li Loherens fist,
Del pie d'arrière à li chevaus falli;
Li chevaus chiet et li bers descend! ^
Li serjant vienent, si ont le duc saisi;
En la cité l'eussent il jà mis ,
Entre aus se lance li Barguignons Aubris ,
Assez en a destranchié et ocis,
Son oncle enmaine fors dou pont tornéis.
A tant ez-vous le Loherain Gariu,
Huon del Mans et Jofroi l'Angevin :
— « Hé, frans dus Bègues,» li emperères dist,
'< Se vous eussent et retenus et prins,
« De nostre guerre fuissiens moult amati. »
— '< N'en verrez autres , » li Loherens a dit ^
Par les chans gardent où fu li poignéis,
Maint bon vassal i trouvèrent ocis.
» Li chevaus chiet, le cheval de Bègues.
2 N'en verrez autres, vous ne verrez plus d'adversaires,
ils n'oseront plus sortir. — Li Lolterains, Bègues.
GARIN LE LOHERAIN. 177
— <( Certes," dit Bègues, « ci ont bon ferréis;
« Sor toutes choses itex gieux m'abelit. «
— « Diables estes , >> ce dit li rois Pépins.
XXXVI.
^-^grÇvï Loherenc sunt del champ reparié;
^ fàj^Perdu i ont, mais plus i ont gaignié.
Jifi,^jA. Les mors enterrent dont il furent irié,
Et les navrés ont aus mires baillé.
Li Bordelois ne furent mie lié ,
Perdu i ont des lors maint chevalier.
Trêves demandent de ci à l'esclarier,
La place font tote des mors vuidier,
Chascuns n'i vout le sien parent laissier.
En une bière font le Flamenc cuichier,
Si l'emportèrent à Saint Seurin mostier.
De sor Guillaume de Poitou , le guerrier,
Véissiez tous plorer et larmoier.
Droes regrete son fil au cor ligier '.
Li cuens Guillaumes de Monclin , au vis fier,
Ont désarmé tantôt si escuier;
' Son fil, Amauri, qu'Auberi le Bourgoin avait tué.
178 LI ROMA.NS DE
Les mires mandent, si font son bras lier.
Et Fromons plore ne si pout atargier.
Les troi barons font en terre cuichier '.
Puis s'en repairent sus, el maistre planchier.
Icelle nuit n'i ot-il chevalier
Qui demandast à boire n'a mangier,
Car chascuns fu de son ami iriés.
Mais Fromons fait les dois appareillier ^,
Les napes mettent serjant et escuier.
Cui il plaira des or ponra mengier.
Des or devons aus roiaus reparier
Qui en l'ost furent baut et joiant et lié.
N'i a celui n'i ait cheval gaingnié
Ou palefroi ou roncin ou destrier.
L'iave demandent, assis sunt au mengier.
« Les troi barons, Baudoin de Flandre, Guillaume de
Poitou et Amauri d'Amiens.
2 Les dois. Ce mol semble avoir ici non pas l'acception
de siège ou de dais, comme dans un grand nombre de
cas, mais celle de me/i(dapes). Variante du msc. 7628. 2":
Les mes.
GARIN LE LOHERAIN. 179
XXXVII.
z vous Rigaut, le fil au preu Hervi :
kA [K;^' Bègues le voit , si l'a à raison mis
'^^^^^ — « Sires Rigaus, « dit-il , « biaus clous amis,
« Je vous ai bien vos convens acomplis. »
— n Non l'avez, sires, fors del cheval de pris.
(T Vous me déistes , plus l'oïrent de mil
« Que je seroie chevaliers , sans respit. »
— « Vous le serez, » li Loherens a dit,
a Or vous alez baigner un seul petit,
« Et vous arez et le vair et le gris *. »
— «A maléure! » Rigaus li rcspondi,
n Por vostre vair qu'avez et vostre gris
' Et vous arez el le vair et le gris; c'est-à-dire , « on vous
donnera le costume que les chevaliers seuls ont le droit
de porter. » Pour armer un chevalier, il ne suffisait pas de
lui appliquer la colée , et de le revêtir de toutes ses armes;
l'usage ancien exigeait encore que le parrain lui donnât le
costume de cour, c'est-à-dire, et le vair et le gris. Sainte-
Palaye n'a pas suffisamment expliqué cette circonstance de
Xadoubemcnt. Ses Mémoires sur l'ancienne chevalerie pré-
sentent un travail précieux encore aujourd'hui ; mais il
serait plus complet si '.'auteur avait aussi bien connu nos
Chansons de Geste que Perceforest.
i8o LI ROMANS DE
« Or me convient baignier et refreschir ' !
'< Ne sui chéu en gué né en larris,
« Je n'ai que faire né de valr né de gris;
« Trop de buriaus a mes pères Hervis ". "
— « Et je l'otroie, » li Loherens a dit '.
Mantel ot riche et pelisson hermin
Qui li traîne demi pié acompli.
Rigaus le voit, pas ne li abeli ;
Devant lui garde un damoisel choisi,
Un coutel porte por chevaliers servir,
Il li demande; li vallès li tendi,
Et il en coupe bien un pié et demi;
Entre aus le giele , ne li chaut qui le prisf*.
1 Por vostre valr, etc. , c'est-à-dire, parce que vous vou-
lez me revêtir de vos riches fourrures, vous exigez que je
prenne un bain : mais je n'ai que faire de votre vair, et
pour me laver, je n'ai pas couru au milieu de terrains
humides ou poudreux.
Toute cette scène est d'une grande importance pour la
connaissance des mœurs chevaleresques les plus anciennes.
Comparez avec YOrdèrte de chevalerie (3* volume des
Fabliaux, édition de MconJ.
2 Buriaus. Wicot dénnissait encore, au .xvi" siècle, le bu-
reau, «un habillement de petit pris, dont les serfs et
le menu peuple souloient être acoutrcz. »
3 Et je l'otroie, je le veux. C'était le premier sens du
mot octroyer.
4 Entre aus, entre les valets.
GARIN LE LOHERAIN. i8i
— << Por quoi l'as fait, biaiis fis? » li pères dit,
« A novel homme est-il costume ensi
« Que li traîne et li vair et li gris. »
Et dit Rigaus : « Folle costume a ci :
« Or puis mieus coure et lever et sallir. »
Et dist li rois : « Par mon chief , voir as dit. »
Begiies demande Froberge au poing d'or fin,
Rigaut la ceint qui volentiers la prist;
Une paumée ens el col li assist ',
Por un petit que il ne l'abatist ^
Voit le Rigaus, à pou n'enrage vis;
Il met la main au bon bran acerin ,
Fors le sacha un grant pié et demi ,
Qu'il en voloit le bon vassal férir.
Hervis le voit, pas ne li abeli :
— « Que vues-tu faire, enraigés, maufès vis?
'< Il est costume, et on le fait ensi. »
Et dist Rigaus : « Maie costume a ci,
« Mal dahés ait, qui primerains la mist! >-
' Une paumée, un soufflet sur le derrière de la tête et
non pas, comme plus tard, un coup du plat de l'épée.
Sainte -Palaye, a*" partie de ses Mémoires, dit que quel-
quefois, au lieu d'un coup de plat d'épée, on donnait « de
la paulme de la main sur la joue. » Je crois que " la joue »
est de sa conjecture.
2 Ce vers ne se trouve que dans le Disc. 7533.
i8a LI ROMANS DE
Li Allemans s'en rit et Auberis.
Et dist li pères : « Entendez envers mi;
« Se tu n'es prous et chevaliers gentis,
« Jà Dieu ne plaise qui en la crois fut mis
« Que tu tant vives que il soit esclairis. »
— « S'il n'est preudons, » dist Bègues de Belin i,
« N'est mie miens li chastiaus de Belin,
« Né la Valdoine, né mons Esclavorins. "
Li rois de France apelle Rigaudin,
Dejouste lui à la table l'assist.
— « Faisons le bien, >^ ce dist li dus Garins,
« Mandons Fromont le tornois, le matin;
'< Contre Rigaut joustera Fromondins. >-
— « Je l'otroi bien , « li rois Pépins a dit.
Li rois apelle Foucart , le fil Thierri ,
— « Alez monter, or en droit sans respit ' ; «
Et dit li dus : « Or entendez à mi ^ :
' S'il n'est prodons. Deux mss. seulement, u"* 9654. ^a3
et •]Sa.^'^, donnent ceUe leçon; tous les autres por-
tent : S'il est preudons. Sans la négation, il faut sup-
poser que Bègues garde quelque rancune du mouvement
dont Rigaut n'avait pu se défendre en recevant une pau-
mée.
» Monter, monter à cheval.
3 Li dus, le duc Bagues.
GARIN LE LOHERAIN. i83
« Dites Fromont de Lens, le poestis,
« Chevaliers est Rigaus, li fils Hervi ;
« Je l'aati demain vers Fromondin.
« Rigaus sera sor Baucent le flori.
« Dites' Bernart, le sire de Naisil ,
« Et le linage qui tant se fait hardi,
« Se il l'abatent et gaingnent le roncin ,
« Quite lor clame Gascongne et le pais. »
Et dit li rois : « Folle aatie a ci. )-
Et cil s'entorne qui la parole oï;
Jusqu'à la porte ne prist il onques fin.
Tant l'a hurté que li portiers ouvrit.
Vint el palais où li quens Fromons sist,
Et en un lit li quens Guillauraes gist '.
Entor lui furent assemblé si ami;
Fromont salue si tost corne il le vit :
— 'c Sire, " fait-il , « li rois m'envoie ci,
« Li seuechaus et ses frères Garins ;
" Il vous demande le tornoi le malin.
« Chevaliers est Rigaus, li hs Hervi ,
« Si l'aati li dus vers Fromondin. >'
Et dit Bernars : « Folle aatie a ci,
«■ D'un pnutonnicr né destrange païs,
« Vers mon nevou qui iert cuéns Palasins 2. "
» Guillaumes, Guillaume de Moniclin , blessé dans le
combat précédeut.
» Qui iert cuens Palasins, comme l'avait été Hardré, et
i8/i LI ROMANS DE
— « Vous dites mal, » li quens Guillaumes dit,
<i De bone genl est estrais et norris.
« Dont n'est ses oncles d'Orlenois Heruaïs?
« Garins est oncles Audegon au cler vis'. «
— « Amis, biaus frères, « li quens Fromons a dit ,
« Mi homme sunt et blecié et laidi,
« Li plusor mort , certes, ce poise mi ;
« De tornoier ne suis mie garnis. «
— « Si ferons , pères, » Fromondins respondi,
'( Deux mille sommes, sain et sauf et gari,
« Bien les porrons endurer et sofrir. »
Trestuit respondent : «. Fromondins a bien dit. »
Li messagiers arrières s'en revint.
Conta le roi ce qu'il avoit oï.
Li Loherens au tref Rigaut en vint :
— « Alez veiller, gentis niés Rigaudins,
« Mais n'alez mie de gent aescheri ,
« En ceste terre sunt tuit vostre anemin ". »
comme l'était Fromont de Lens. Celle leçon n'est que dans
le msc. de Navarre. Tous les autres répètent :
Vers mon nevou ciii il ont aati.
' audegon, femme d'Hervis du Plaisséis et sœur d'Hé-
loïse d'Orléans.
ï La plupart des surprises et des vengeances se commet-
GARIN LE LOHERAIN. i85
A la chapelle del baron Saint Martin
Veilla Rigaus, de ci à le matin.
La messe cscoute Rigaus, tote l'oï,
A son hostel hastivcnient en vint;
Pas ne mengne, le blanc haubert vesti.
Quant fil arme's, sor son cheval salli,
Ains ne fina , jusqu'as hauberges vint ' ,
Et après lui s'aroutèrent set vint;
Les grans compaignes lors véissiez venir,
Bruir banieres, dont il i out sis mil.
Là Dissiez ces olifans tcntir,
Ces cors sonner, et puis et vaus bondir.
Cil de Bordelle commencent à issir;
Li serjant sunt aus lices establir,
Et li tornois commença moult matin.
Diex ! com le fait Rigaus li fis Hervi !
Sor tous les autres en ol , adès , le pris.
Li quens Guillaumes l'orguillous de Monclin,
talent alors dans les églises. Voyez les reproches que Garin
adresse à la race de Fromont, tome I*"^, page i3o :
Garlaiii vostre aive ne volez foilignier
Qui son parrain ocist dans un mostier.
Voyez aussi la (in du beau roman à'Aubcii le Bourgoin.
• Jus(fu'as liaubergcs. Variante : Dusqu'à Bordelle.
i86 LI ROMANS DE
Tous désarmés sor un cheval salli ',
Bernart apelle, Fauconet , Jocelin ,
Hain de Bordelle et le prou Harduin :
— « Franc chevalier, » li quens Guillaumes dist,
« De mon neveu vous pri, de Fromondin;
« Bègues li dus et ses frères Garins
« Sunt chevalier prou et loial et fin;
« Ne fineront s'aront prins Fromondin.
'■ Jel' sais de voir, que li cuers le me dit. »
XXXVIII.
Ï^^^^EVANT la porte fu moult grant la mêlée.
^yU^Adonc i ot maint coup donné d'épée,
j^Ç^!^-^Et maint vassal gisant goule baée.
Fromondins sist el vair de Valfondée ^
Qui plustost cort qu'espervier à volée,
I Désarmés. Sa blessure ne lui permettait pas de pren-
dre part au combat.
> El vair de Valfondée, c'est-à-dire, sur le vairon de Val-
fondée. Variantes :
El mur de vau fondée.
El val de val fondée.
El vair de val formée.
El vair de pincenée.
(Voyez sur pincenée, la noie du l'''' volume au mot
pinconart, page 40.)
GARIN LE LOHERAIN. 187
Et fierl Girart en la large dorée ,
De souz ia boucle li a fraite et trouée;
El cors li met du fer une tesée ',
Mort le trébuche devant lui en la prée.
XXXIX.
?'5;S5^5'R'^^'T fil ia noise et fîère la tenson :
^Fauconès point son bon destrier gascon;
Jv^fecEn son escu va ferir Nevelon,
Un chevalier, nés fu de Besançon :
Mort le trébuche, n'i ot confession;
Et Guis, ses niés, nos abati Sanson.
A tant ez-vous le palasin Begon ,
Lui et Rigaut, Aubri le Borguignon,
De ci ans lices les niainent de randon.
Li serjant sallent entor et environ , -
En sanc vermeil teingnent lor gonfenons,
A tant ez-vous et Seguin et Hugon ,
Et Pinabel , Joscelin et Forcon.
' Une tesée, la longueur d'une toise.
i88 LI ROMANS DE
XL.
i^^èî'^'hkï^VANT les barres sunt enforcié li cri :
^pJ^K^Lc jor se provent, ce sachiez, li hardi.
;^^C&!s2«Et Rigaus point le bon destrier de pris
Et liert Girauine le nevoii Alori ';
Anne qu'il et ne le pot garentir,
El cors li met le roit espié forbi;
Mort le trébuche, ensi.coni je vous di.
Plaisséis! crie et trait le branc forbi.
Là véissiez un grant abatéis
De gens navrés , de mors et de malmis.
Et Rigaus point , va ferir Fromondin
Parmi les reignes de l'auferrant de pris;
Rigaus fut fors, durement le féri,
Il prist les reignes et en ses bras les niist.
Qui dont véist crier à Fromondin ^
' 6;//attw?e. Variantes : Geralme. — yiUaume.
2 A Fromondin, du côté de Fromondin. — Qui donc
véist. J'ai déjà remarqué cet ancien gallicisme qu'il faut
entendre Chacun eût vu. — Ici les hauts barons entonnent
tour à tour leur cri de guerre pour faire accourir leurs
hommes auprès d'eux. En effet, c'était là le motif véri-
table du cri de guerre. J'ai dit ailleurs ( tome I""^, page 258 )
que l'usage était de le jeter après la chute de l'ennemi;
GARIN LE LOHERAirs. 189
Li uns Bnrdelle ! et li autres Couci!
Li autres Lens ! et li autres Chaunil
Droes Amiens qui durement le fist,
Et Fauconès Vausorel quant le vit,
Rogers Clermont! Bernars crie Naisil!
Le jor i ot mains chevaliers ocis,
Qui à dolor sunt del siècle parti.
Onques Rigaus por riens ne le guerpi ',
Ains le tint bien et nul mal ne li fist;
Baisse la teste, tôt enduro et sofri.
Cui chaut de ce? jà l'eussent ocis.
Quant à Begon uns messages en vint
Qui li escrie : « Que faites-vous ici?
« Perdu avez vostre charnel ami ,
« Rigaut, l'enfant que vous avez norri ;
« Ici devant se combat li gentis,
« Et sor lui sunt si mortel anemi. »
Li dus Toi, durement s'esmarri.
Entre aus se fiert li Loherens gentis,
Corne faucon entre oisillons petis ;
c'est que le vainqueur avait alors besoin de ses serjans
et écuyers, pour empêcher le vaincu de se relever, et
pour le faire prisonnier. Ici les compagnons de Fromondin
appellent leurs gens, afin d'entourer Rigaud et de l'em-
pêcher d'échapper.
' Ne le guerpi, ne quitta Fromondio.
igo LI ROMANS DE
Au branc d'acier les destranche et ocit.
Li bers Rigaus tint moult bien Fromondin,
N'en pot estordre, ains l'enmainne tôt vif,
Et puis i-eprent Faucon et Jocelin,
Et Gallerant et son frère Gaudin,
Huon le prou et son frère Sanguin ,
Et Fauconet, fil Bernart de Naisil.
Que vous diroie? dis en enmainne pris.
Jusqu'as hauberges ne prisrent onques fin;
Si les commande Garnier et Morandin '.
XLI.
Vv^gâ^ROiT as hauberges est Froraondins menés,
^^PK^Et tuit li autre, là les ont desarmés.
;^3^5^Ens en l'estor est Rigaus retornés;
Et Bègues point le destrier sejorné
Et fiert Gérart qui de Liège fu nés % ,<^
Mort l'abati à l'entrer del fossé.
Lors furent moult courécié et irié
Por Fromondin qui en estoit mené.
I Si les commande, Rigaud les confie à....
» Etjicrl Gérart, etc. Variantes ;
Et fiert Simon qui du Liège fu nés...
Et fieit Simon qui fu de Bleves liés.
Et fiert Gérait qui fu de Balesgués.
El Bcrnars [loiut le destrier séjourné
Si fiert Gerarl k'à terre l'a jeté.
GARIN LE LOHERAIN. 191
Bernars guenchi, qui moult les a grevés,
Se ne fust Bègues partant fust recovrés.
Li dus rencontre qui n'est espoentés ,
Grant cop li donne dou branc qui fu letrés,
Le sorcil coupe et le cercle doré.
Grant fu li cous , Bernars fu estonnés ,
Ne fust la coiffe du blanc haubert safré
Mien escient, jà l'éust afiné.
Lohérenc poignent, qui furent eschauffé
Comme li pors qu'est iriés et enflés;
Parmi les lisces les ont outre menés.
Va s'en Fromons tôt fu desbarretés ' ,
Bernars ses oncles fu durement navrés.
Parmi Bordelle en est li cris levés.
Et Fromons est sus el pallais montés
Plus tost quil pot est li bers desarmés;
Por Fromondin est durement iriés.
Si ami l'ont, le jor, moult regreté.
Li quens Guillaumes a les mos escotés
Que Fromondins ses niés en est menés :
— Diex! » dist li quens, « je le savoie assés,
« Mauvaisement fu de nos gens gardés.
« Et que fist dont dans Bernars l'adurés ? »
> Desbarretés , rejeté hors des barrières qu'il avait dis-
posées lui-même autour de Vestendard.
192 LI ROMANS DE
Ce dist Fromons : '< Durement est navrés.
« Jel vis chéoir de delez un fossé.
« Se je ne fusse, sachiés en fust menés. »
Ce dist Guiliaumes : « Il fust mal ostelés.
« Par de delà à chevaliers assés '. »
XLII.
âSr^As! » dist Fromons, « que pourrai devenir?
« Je sai de voir menés en est mes fis,
firTr^*"^:
liJKiè-^' « Mais je ne ais s'il est ou mors ou vis.
a Se je le pers, j'en esragerai vis,
« Né jamais jor ne quiers terre tenir.
« Mais, par l'apostre que quierent pellerin,
'( Je m'en irai demain au roi Pépin;
« Si me raetrai del tôt en sa merci,
« Toute Bordelle li renderai sans fin
« Par tel couvent que r'aurai Fromondin. «
Et dit Guiliaumes: «Vous nos volez honnir;
« Frans chevaliers, ne faites pas ensi.
• Par de delà à chevaliers assés. Je croirais assez que.
dans toutes les leçons il manque un vers après celui-ci.
Guillaume de Monclin veut dire : « Si Bernars avait été
pris, il aurait été mal reçu; de l'autre côté sont des che-
valiers en grand nombre qui lui auraient fait chèrement
payer ses déloyautés précédentes. »
GARIN LE LOHERAIN. igS
" Atetulez tant que je soie garis,
'< Que je pourai mes garnemens sofrir,
« Et que je puisse chevauchier fervestis;
« Se Diex donast que nuns d'aus i fust prins ',
« Dont pouriez-Yous parler au roi Pépin,
« Que n'en seriez blasmés né escharnis »
Huimais devons à nos Roiaus venir:
Au tref le roi sunt au mangier assis ;
Rigaus se sist de lez le duc Garin '.
Li uns à l'autre le consilla et dist :
— «Veez Rigaut, le fil au duc Hervi;
« Sainte Marie! com il hui bien le list!
« De nostre gent en a porté le pris '.
« S'ensi se tient com il a entreprins *,
« Mieudres de lui ains en cheval ne sist. »
— « Sires, Rigaus, « ce dist li rois Pépins,
« Car me rendez Faucon et Joscclin ,
« Et tos les autres et l'enfant Fromondin. »
— « Et je por coi, sires? » Rigaus a dit.
> Nuns d'aus. Quekiu'un des Lorrains, dont on pourrait
proposer l'échange avec Fromondin.
» De lez le duc Garin. A'ariante :
Lez le iluc .\ub<-ri.
^ En a porté. N'oiis dirions aujourd'hui : a emporté.
4 Entreprins , commence.
II. 9
194 LI ROMANS DE
« A vous que tient, s'en l'estor les ai pris' ? »
— << Jel vos dirai. » Ce dist h rois Pépins.
• Il est costume en test nostre païs,
« L'ernois est vostre et miens en est li pris '. »
— » Mal dahés ait, » dit Rigaus, « qui le fist 3!
« Je les menrai, certes, au Plaisséis,
'< Là, les cuis-je contre Fromont tenir''.
« Soz ciel n'a homme se mes voUoit tollir*
« Que ne l'ousasse de m'espée férir. »
Li rois loi , forment s'en esmari ;
Dist à Garin : « Ez-vous vostre cousin
'■ Qui me menasse ? par le cors saint Martin ,
« Outrage fait; ne li ai desservi. »
— « Sires, » dist Bègues, « il ne set que il dit. »
" Ains est moult fels , » l'empereres a dit.
' j4 vous que tient, que vous importe.''
2 L'ernois est vostre, etc., c'est à-dire, le harnoiÀ, les
dépouilles appartieonent à celui qui a fait la prise, et le
prisonnier appartient au roi. Variantes :
L'onor est vosire et miens en est li pris. —
L'avoir est vostre et miens en est li pris.
3 Qtii le fist, qui a jamais suivi cette coutume.
4 Contre Fromont. C'est-à-dire : je crois bien que Fro-
mont n aura pas à traiter de la rançon de son iils devant
un autre que moi.
5 Mes, me les.
GARIN LE LOHERAIN. igS
— .< Rigaus ! « dit Bègues, « cscoiUez, biaus amins:
« Nus ne se doit vers son signor tenir '. "
Et dit Rigaus : « Je ne tieng riens de lui. >'
— '< Vous en tenrez; si pensez del servir^,
« Sa vollenté faites et son plaisir. »
— Voilez le vous? » Rigaus li respondi.
— « Oïl, biaus niés, » ce dit li dus Garins.
Lors dist au roi : « Sires, je les vous quit. »
— « Je les vos rent, » ce dist li rois Pépins.
— « Or n'i a plus , » dist Bègues de Belin ^;
« Nous en irons de ci au Plaisséis,
« Si enmenrons Faucon et Jocelin,
< Et avoc eus le vallet Fromondin.
De l'ost se partent chevaliers quatre vint -•
Là véissiez le bon chastel garnir,
Encortiner de dras et de sainis;
Les encensiers par les rues tenir*,
« Vers son signor tenir, obsliner contre son seigneur.
» Vous en tenrez. Celte réplique prouve que, dans le
fond, Rigaut avait raisoa et que le roi ne pouvait rien
exiger que de ses vaisaux unmédiats. Les autres, comme
Rigaut , pouvaient fièrement lui répondre ; Je ne tiens
rien de vous!
3 Or n'i a plus , brisons-là , tout est dit.
4 Les encensiers, les encensoirs. L'action d'encenser n'est
proprement que celle de parfumer une place. Autrefois les
9-
196 LI R03IANS DE
Tresces et baus encontre lui venir ',
Et de Vallès behorder plus île mil.
A moût grant joie fu Rigaus recoillis,
Et de sa mère baisiés et conjoïs.
En la grant tor qui sor la roche sist
Ilueques metent le vallet Fromondin ,
Ensemble o lui Forcon et Jocelin.
En la tornelle, par devers le jardin,
Metent les autres; si le commande Hervis.
Et si commande que bien soient servis ^.
Il ont mengié et béu à loisir.
Ez-vous un mes qui s'en vint à Hervis ,
Qu'aval ez Brouces, né gaires loin d'iqui ^,
Quatre grant nef s'estoient el port mis;
Dedans Bordelle iront à l'anuitir.
encensoirs u'étaieut pas confinés dans les églises et l'on eu
faisait un fréquent usage dans les réunions seigneuriales.
I Tresces et baus, rondies et danses. La tresce répon-
dait assez bien au tripudium. antique : et qui voudrait
approfondir la matière y reconnaîtrait beaucoup d'ana-
logie avec noire Ta/se.
ï Que bien soient, que ses hôtes et lui soient bien servis,
et non pas les prisonniers.
3 Brouces ou broussailles, lieu.x remplis de bruyères.
Ici, es doit èlre un nom propre.
GA.RIN LE LOHERAI>\ 197
Tôt maintenant les fet monter Hervis ' ,
A val ez Brouces tôt maintenant en vint.
Li Borgoins et le blanc haubert vesti ,
Bègues li dus, Hues de Cambrésis;
Li marchéant, au mangicr sunt assis.
N'en soient mot , tant qu'il furent sorprins :
— « Ne vous movez , » li Loherens a dit,
Et cil lor dient : < Signor! por Dieu merci,
« Prenez l'avoir, si nos laissez garir ! »
— " Droit en avez, » dist Bègues li gentis ,
« Car n'avez mie ici mort desservi. »
Les barges vuident, le granl avoir ont prins ,
Et la viande et le pain et le vin ,
Les pallefrois et les destriers de pris.
Moult en mena li dus au Plaisséis,
Il s'en tramet et le roi et Garin ' ^
Et lor envoie par le Borgoin Aubri.
Bègues s'en va au chastel de Bélin
A sa moillier que, pièce a, ne la vit.
Grant joie en fait la belle Biatrix
Et prent l'espée par la renge d'or fin.
— " Sire, » dist -elle, « bien puissiez-vous venir ! »
' Les fet monter, il fait monter à cheval les gens de
guerre.
2 // ('en tramet, etc., et il en transmet (envoie) an roi.
igS LI ROMANS DE
Au mengler sunt tout maintenant assis;
Après mcngier se cuichièrent dormir.
Et dist Rigaus : -< Oncles levez matin,
« Hons qui guerroie ne doit mie dormir. »
La nuit sejornent , tant se lievent matin
Qu'à Blancafort furent à l'ensérir ' ;
Les haubers restent , s'ont lor gent establi.
Cil de la ville ne se sunt garde prins
Que de nul homme déussent estre assis;
En droit la tierce, font les portes ovrir ',
Oietent les proies qu'il orent laiens mis.
De nostre gent se sunt trente partis
Sor les destriers, si ont la proie pris.
Ens el chastel est enforciés li cris:
I;Ors s'en issirent de ci à quatre vint,
La proie cuident sauver et garentir;
Li agais sault, qui s'est el bruillet mis,
Si les remainnent, arriers les ont flatis,
Trestuit ensemble sunt en la ville mis;
Le marchié prennent, si i ont le fu mis.
En la tor entrent Jofrois et Gacelins ^,
I A l'ensérir, au soir tombant.
ï En droit la tierce, le leudeniain à neuf heures du matin.
3 Jofrcis et Gacelins, les gouverneurs de Blancafort
pour Guillaume.
GARIN LE LOHERAIN. 199
En leur compaigne chevaliers trente six ,
Contre mont lievent le grant pont tornéis,
Léans ot pou et de pain et de vin.
Et li dus Bègues a tôt le chastel prins ,
Mais que la tor, et celle a bieu assis ' ;
Il en appelle Jofroi et Gacelin :
— n Rendez la tor dont vos estes saisi;
'< Ou, par la crois où Jesus-Cris fu mis,
« Je vous ferai de maie mort morir. «
Dit Gacelins : « Donnez-moi un respit,
« Qu'à mon signor enverrons le matin,
« Le riche conte qu'en Bordeaus est assis;
« Se li quens vuet nous nous lairons morir:
<i Del tout en tout ferons à son plaisir.
« La tor est forte, de l'uevre as Sarrasins '',
« Et haute et droite, niout par est de grant pris,
•< Mont bien se siet sor une roche bis,
a Elle ne doute né piere né engin. ^
Et dist li dus : « Moi est bel , Gacelins,
« Conduit vous doins de ci au revenir. »
Un escuier ont porchascié et quis;
Jusqu'à Éordelle ne prist-il onques fin,
Vint à la porte, à escrier se print :
• Mais que , moins, — à l'exception de.
» As Sarrasins, c'esl-à dire aux païens, aux Romains.
ÉÊÊm
aoo LI ROMANS DE
« Ouvrez la porte, pi)r Dieu, hunis tlous amins,
« Messagiers sui Giiillaunif le marchis ! «
Et cil respont: « Pur noient l'avez dit,
« Défendu l'a Fromons li poestis ,
« Qu'on n'en lait un né aler né venir :
" Attendez-moi, j'irai parler à lin'.»
— « Or vas dont tost, » li vallès respondi.
Et li portiers sus en la salle vint.
Où voit Guillaume, maintenant li a dit :
— « Là de fors a un escuier gentil
« De Blancafort est-il, si com moi dit,
" Qui vos demande et vuet parler à ti. »
Et dit Guillaumes : « Ci le faites venir! »
Dist li portiers : «■ Tost à vostre plaisir! «
Le pont avalle et si l'a dedans mis.
Jusqu'au palais ne print il onques fin ;
Voit les barons, à raison les a mis :
« Liquex a non Guillaume li marchis?»
Et ois respont : « Bien le sarez, amins ^
« Vééz-moi ci; dites vostre plaisir. »
— « Sire, " dit-il, « Elança fors est assis :
« A vous m'envoient Jofrois et Gacelins ,
« Que li chasliaus est forment dégarnis;
« Fallislor est et li pains et li vins.
« Ne puevent-ils mais longuement tenir
« Contre Begon qui a la tor assis;
GARIN LE LOHERAIN.
-' Et si mandez, dites vostre plaisir. »
— «■ J'en parlerai, » li quens Guillaumes dit.
Devant Guillaume est venus de Monclin ',
Fromonl apelle et Bernart de Naisil :
— « Consilliez moi , franc chevalier gentis,
n Je pers ma terre et trestout mon pais:
» Bègues li dus a Blancafort assis,
« Ma gent me mande qu'il ont mestier de mi,
< Faillis lor est et li pains et li vins. "
— « Laissiez ester, » li quens Guillaumes dit,
« Tout avenra ce qu'en doit avenir.
'< Ancor vaut mieux que fassent lor plaisir
« Que ce qu'il fuissent léans à force pris. "
Arriers s'entorne, au messagier a dit :
— « Alez vos-en arrières, biaus amins;
« Dites ma gent que se rendent à li,
n Je ne vuel mie que il soient ocis. »
Et cil s'en torne qui la paroUe oï.
Aine ne fina , jusqu'à Blancafort vint,
Parmi la porte dedans la tor se niist :
— « Li quens vous mande que faites vo plaisir ;
'■ Il ne vuet mie que vos soiez ocis. »
Et li vassaus à la fenestre vint,
' Devant Guillaume, etc., c'est-à-dire: le marquis est
veini devant Guillaume de Moucliu; puis il appela, etc.
9-
202 LI ROMANS DE
Si a mandé dant Begon de Belin :
« Sire, » fait-il , « mes sires mande et dit
« Que ne la rende, tant com je soie vis. »
— «. Sire, » dist Bègues, « merveilles puis oir:
" Par celle foi que dois au roi Pépin,
« N'en tornerai tant que je Tarai prins.
« Se tant attens que passe li midis,
i< Je n'en penroie tout l'avoir que Diex fist,
« Que ne vos fasse de maie mort morir. »
Dit Gacelins : « Entendez un petit :
'< Par tel convent me renderai à ti
'< Que je m'en voise et sains et sans et vis,
« Et que j'en porte ce que j'aportai ci. »
Bègues respont : « Et je l'otroi ensi. >»
tor délivre et li vassaus s'en ist,
En autre terre s'en ala por garir.
Par le conseil au bon villain Hervi
A fait la tor pecoier et croissir '.
Le feu escrient si l'ont par trestot mis,
Que de Bordelle le pot-on bien véir.
— « Diex! » dist Guillaumes de Blancafort, « chaitis!
« Or voi-je bien que mes chastiaux est prins.
« Las! moi dolent, que pourai devenir! »
Fromons ploura quant il vit ses amins ;
Adont li membre de son fil Fromondin,
» A fait, Bagues a fait.
GA.RIN LE LOHERA.IN. 2o3
Si se démente et se claime chaitis.
Et dit Fromons : « Par le cors saint Martin ,
n Je m'en irai droitement à Pépin,
« Car je voi bien que nous sommes boni.
« Se je réusse, au mains-, le mien chier fils,
« Toute ma terre priseroie petit. »
— « Laissiez ester, » li quens Guillaumes dist ',
I De mon bras sui respassés et garis,
^ Des ores mais, me convient-il issir
" Et porter armes contre mes anemins. »
La nuit s'en va et li jors esclari;
Li quens Guillaumes se chaussa et vesti,
De toutes armes conraiés et garnis ;
On li amainne un bon destrier de pris,
Li quens i monte si a son escu prins.
II en apelle Dant Bernart de Naisil
Et de Verdun le riche Lancelin;
De la ville issent troi cent et quatre vint,
Tuit à celé, n'i out noise né cri ^.
Deux cens en laissent léans en un jardin,
Delez les lices ont un agait basti.
Jusqu'as hauberges ne prisrent onques (in,
' Guillaumes — de Monclio.
» A celé, en cachette, en embuscade. Les Italiens ex-
priment encore ce dernier mot par celata.
2o4 LI ROMANS DE
Deus pavillons nos ont par terre mis
Et de serjans nos en ont (piatre ocis.
Lieve la noise, si enforce H cris,
As armes courent Franceis et Angevins;
Des loges isl li Borgoins Anberis,
Tôt à desroi li Allemans Onris,
Girars du Liège et Joffrois l'Angevin ,
Hues del Mans et Gautier de Paris :
Cil s'en issirent, si ont lor escns prins.
Voit-les Guillaumes, soz son escu s'en rit,
Bcrnart apelle : « Or hellement! " fait-il.
Va s'en arrière et Bernars de Naisll ,
Cil les enchancent qui furent de haut pris;
Li agais saut et Guillaumes guenchi ,
Illuec commence li riches poignéis.
Diex! com le fait li Borgoins Auberis
Et li baron qui furent avoc li !
Charpentier senblent qui en gaut soient mis.
Cui chaut de ce? trestuit sis furent prins.
Ains que venissent Franceis né Angevin,
Les ont Guillaumes dedens la cité mis.
Del retorner ne fut pas conseil prins*
Au Lohérenc fu la nouvelle dit
I Del retourner, etc.; c'est à-dire : Kcrnars ou Guil-
laume ne pensèrent pas à tenter de nouveaux exploits,
après une si belle capture. — Variante : De tournoyer.
GARIN LE LOHERAIN.
Que si ncvou i furent tit-stiiit prins.
Ez-voiis le duel contreval l'ost Pépin.
Fronious fait joie por l'araor d'Auberi ,
Car il seit bien que r'avera son fil.
Moult vaut uns hons , maintes fois l'a-on dit.
Bègues repaire, qui a Blancafort prins;
Grant joie en font cil de l'ost, quant revint.
Ains que li dus ses espérons traisist,
Né son haubert de son dos devestist
Vint la nouvelle que prins fut Auberis.
Li dus loi, à pou n'enrage vis;
Par mautalant à son cheval saillit ,
Jusqu'à Bordellc ne prist-il onques fin;
vSoz le palais s'aresta et guenchi.
Li quens Fromons, Guillaumes de Monclin,
Et dans Bernars li sires de Naisil ,
Sunt apoié au mur d'araine bis' :
Li Lohérens quant a Fromont choisi :
— "■ Sire vassaus, or entendez à mi ,
" De belle garde me rendez Aiiberi '
' D'araine bis. Cette expression se retrouve souvent
dans les Clinnsoiis de Geste; elle a ce|)eiidaiit échappé à
l'allention de du Can^e et de Roquefort. Je crois que par
murs d'araine ii faut entendre les murs de cimenl, comme
sont en général les murs de construction romaine. —
Variaiile : De mabrv.
2 De belle garde. Ce mot est obscur; il semble (|u'oii
ao6 LI ROMANS DE
« El mes nevoiis qu'avez en prison mis. "
— « Non ferai voir » li quens Fromons a dit ,
« Se ne me rens Faucon et Jocelin ,
« Et tous les autres et mon iil Fromondin. »
n Et je l'otroi, » dit Bègues de Bélin.
Jà en fust faite et acordance et fins,
Comme Bernars li lerres de Naisil
Derrier les autres en une chambre vint,
Prist arbaleste, s'a un quarrel ens mis
Et trait au duc que le cuide ferir.
Mais Diex ne vout, qui bien le garcnti.
Il faut à lui, emmi le pré féri :
Jà recouvras!, quant Fromons li toUi".
Bègues s'en torne quant le quarrel choisi ,
A.ins ne fina, jusqu'as hauberges vint:
— « Or, tost as armes ! » dit Bègues de Belin ,
« Or i parra qui sera mes amins!
« Que, par saint Jacques, jà seront assaillis. »
Là véis.siez trestout l'ost estormir,
Et les communes rangier por assaillir,
doive l'expliquer : •< Rendez-moi à l'amiable et en bonne
composition.» Voy les continuateurs de du Cange, au mot
Guarda qu'ils expliquent: « Tributtim.... modo sponta-
neum modo coactum.... »
' Jà recouvras!, Bernais allait aussitôt recommencer.
GARIN LE LOHERAIN.
L'atrait porter por les fossés enpUr ' ;
Drescier eschelles por ans murs assallir,
Et les grans larges sor les lices tenir,
Et cil dedans sor les creniaus venir.
Li dus Garins à la grant porte vint
Et tint la hache à l'acier Poitevin.
La véissiez et maillier et férir %
Couper verrous et chevilles croissir.
Li bers Rigaus à l'eschiele se tint,
Jà montast sus, quant on le resorti ^,
De desor lui en chaient plus de vint.
Li dus le voit, à poi n'enrage vis,
Par mautallant à l'autre eschiele vint.
As eschaillons li Lohérens se prist
As creniaus monte qui qu'en doie abelir,
Moult en crevante et abat et ocit.
Eus en la porte entra li dus Garins,
Ensenble o lui li bons vilains Hervis.
Qne vous diroie? que la cité ont prins;
Enmi les rues fut grans li poignéis.
' L'atrait, c'est-à-dire les matériaux arrachés à de pré-
cédents édifices, comme pierres, solives, pieus, mortier, etc.
Ce sens est assez bien indiqué par le mot lui-même.
* Et maillier, et frapper du marteau ou de la maille
contre les portes el les ferrements.
î On le resorti, on le renversa.
2o8 Ll ROMANS DE
Diex! com le fait dans Beriiars de Naisil ,
Desore tous, Guillaiimos de Monclin !
Jà se refuissent trestuit el chastel mis*,
Bien i parut quant li dus Bègues vint,
Ensi les mainne coni li lous fet berbis.
Jà fuist li balles et tos li chastiaus prins,
Quant en la ville Hervis le feu a mis ' ;
Ardent les salles et li palais voutis,
Tout i est ars , et li pains et li vins ,
Li pallefroi , li nuir, et li roncin.
Li feus eschaufe et fut errant esprins ^
Et des borjois i ont mors quatre vint,
Estre les dames et les enfans petis *.
Moult i perdi nostre gent à l'issir.
A la fenestre li quens Bernars en vint,
Entre ses bras tenoit son elme enclin;
11 en apelle Fromont le poesti :
— « Plus somes fors que n'estiens hui matin *. »
» Trestuit, tous les Bordelais.
2 Hervis le feu a mis. Hervis fit alors une imprudence;
les Français demeurés seuls dans la ville après avoir re-
poussé dans le château la plupart des Bordelais, se virent
forcés de quitter la partie, par la crainte de l'incendie.
3 Errant, rapidement, à grand erre.
4 Estre, outre , dVj7/'a.
5 Plus somes fors, etc., parce que les François ont été
forcés de reculer avec jjraudes pertes.
GARIN LE LOHERATN. 209
— n Non sommes, voir, » li (|uens Fromons a dit,
'< Perdu avons et le pain et le vin.
« Oï l'ai dire et vérité est-il,
>■■ Qui n'a don vivre mal puet chastel tenir.
« Or n'i a plus, » ii viex Fromons a dit,
« Que de pais querre envers le roi Pépin. >•
Bouchart apelle o le grenon flori :
« Alez au roi , por Dieu, et dites li
« Je me mestrai del tôt en sa merci,
« Par tel couvent que j'aie Fromondin
'< Et il Aubri le Borguignon gentil. »
Bouchars s'entorne, sur un cheval salli;
De ci à lost ne prist-il onqucs fin ;
Dient Franceis, Normans et Angevins ' :
— « Diex nous doint pais, qui de l'aiguë fist vin ! »
Li quens Bouchars au tref le roi en vint,
Ikiec trova maint conte et maint marchis,
Le roi salue et ses gens autresi.
— -s Drois empereres, » di-st Bouchars li floris,
'< Li quens Fromons m'a envoie à ti ,
' Dient Franceis, e\c. Ce passage rappelle celui de l'Iliade,
quand Hector vient proposer un moyen de conciliation aux
Orecs :
11; iviH' , oî S' i/àfïjijav A/oioi it Toùié» te.,
(I.ib. i, vers, i 1 1. )
210 LI ROxMANS DE
« Et si se met ciel tôt en ta merci ,
« Par tel couvent que li rendez son fil. »
— « J'en parlerai , » ce dist le rois Pépins.
— '( Et vous por quoi? » dist Bègues de Belin >,
« Nel refusez, se il le fait ensi.
« De son bon prince doit-on avoir merci',
« Mais que l'onor en soit au descur mis '. »
Et tuit respondent: « Bègues bien avez dit. »
Et dist li rois : « Dont le faites venir! »
Bouchars s'entorne, arrières s'en revint,
Il lor conta tout ce qu'il ot oï.
— « Qui vous conduit? » li quens Guillaumes dit^. »
— « Je vous conduis, » dit li Bourgoins Aubris,
« N'i arez garde, né que li cors de mi. »
' El vous jjor quoi? « qu'esl-il besoin d'en parler? » —
Variante :
Et vos de coi ?
2 De son bon prince , elc. , c'est-à-dire, on doit obtenir
d'un bon prince merci.
^ L'onor. Par ce mot, il ne faut entendie que la jouis-
sance des droits légitimes. Il y a loin de là au sens que le
même mot a dans la lettre de François 1'"% prisonnier à
Pavie : « De toutes choses ne m'est rien demouré que l'hon-
« neur et la vie. >> Comparez ce passage pour l'étude des
mœurs féodales avec celui du tome I""^, page 284.
4 Qui vous conduit? >< quelle sera votre sauvegarde.' »
dit Guillaume à Fromont.
GARIN LE LOHERAIN. 211
Et dist Fromons : « Je ne quiers plus, amins '. >^
Li quens Fromons au tref le roi en vint :
Trestout parés, à genoillons se misl,
Enscnble o lui si homme et si amin;
Le roi salue si tost com il le vist.
Et dist li rois : « Diex bénéie ti !
<< Mais tribolé m'ont forment ti amin. »
Et dist Fromons : •< Certes ce poise mi. »
Que vous diroie? la pais ont establi,
Il s'entrebaisent et furent bon amin.
D'ambedui pars délivrèrent les pris ".
Li os s'en va et chascuns s'en parti.
Li rois de France s'en va droit à Paris,
Li dus de Mez va véoir Biatris ^,
Bègues remaint de ça en son païs.
Entre Garin, Guillaume de Monclin ,
Et de Verdun le riche Lancelin,
Tuit vont ensenble, et furent bon ami.
Li Loherens vint de nuit à Monclin,
Li quens Guillaumes moult bon ostel li fist,
' Je ne quiers plus, je ne veux rien de jilus.
' Les pris , les prisonniers,
i Biatris , sa belle-sœur.
iET
212 LI ROMANS DE GARIN.
La nuit délivre la dame d'un bel fd ' ,
là Lohereus à batesme le tint,
Et par chiertc li raist à nom Garin.
En filolage li laissa et guerpi '
Un des marchiés de Mez, ce m'est avis',
Qui vaut cent livres de deniers parisis.
La pais dura sept ans et un demi
Entre aus n'en ot né noise né hustin.
» Délivre. Variaute : Acuiche. Il s'agit ici de la femme
de Guillaume de Monclin.
2 Filolage, don que fait le parrain à son filleul le jour
du baptême. Du Gange, au mol Filiolatus, en lire un exem-
ple analogue delà Chronicon Ademari Cabanensis, an. 826.
— « Evoldus cum uxore suà baptisatus est, fiiitque Impe-
« ratoris filiolus : in Frisiâ dédit ei Imperalor in Jiliolatu
<< unum comitatum qui Driusti vocatur. >•
3 Un des marchiés, c'est-à-dire : les droits de vente qu'on
percevait sur l'un des marchés de Metz.
(Êrplirit la beuriesme Cl^onson îies
Corraine rt reparlrro la troi-
«icme île Itt mort iScgon
te JÛiliit , qui
el bois fu
OftS.
LA
TROISIEME CHANSON
Nous ne donnerons pas ici la troisième Chanson
tout entière. Nous nous bornerons aux couplets qui
racontent la mort de Bégon de Belin et les re-
grets que cette mort inspire a ses parents, à ses
amis et à ses ennemis. Le reste de la Chanson com-
prend le récit de la guerre allumée de nouveau entre
les Lorrains et les Bordelais; la disparution de Fro-
mont le vieux , son retour en France à la tête des
Sarrasins, sa mort dans la campagne de Bordeaux ;
enfin la mort de Garin , et la proscription de Girbert,
Hernaut et Garin , son fils et les fils de Bégon.
Pour ne rien omettre de ce grand récit, il fau-
drait de nouveaux volumes. Mais la tâche serait
longue et la plupart des lecteurs exigent, comme
la condition expresse de leur bienveillance , une
extrême variété dans les monuments littéraires qu'on
(t^ache pour eux à l'injuste oubli des siècles pré-
cédents. Malgré moi, je dirai donc adieu, dans ce
volume , à la grande épopée lorraine. Mon travail ,
tel qu'il est , offre quelque chose de complet et s'il
finit par obtenir au plus haut degré (c'est-à-dire
autant que le mérite l'un des plus anciens poèmes.
sinon In plus ancienne épopée des langues romanes)
l'intérêt des amis de la littérature française , il me
suffit aujourd'hui de protester que les morceaux
non publiés ne renferment pas des beautés moins
épiques et moins singulières, et qu'ils ne sont pas
moins précieux pour l'étude de nos antiquités.
tlx jor fu Bègues au chastel de Belin,
( De jousfe lui la belle Biatris.
fr Li dus li baise et la bouche et li vis,
!*' ,^ , . 1 •
ht la duchoise moult doucement en rist.
s Parmi la salle vit ses deus Gs venir,
^M^S^ Ce dist la lettre; li ains nés est Gerins,
(f^^~A'' Et li mains nés ot à non Hernaudin:
^^^^. L'un ot douze ans et l'autres en ot dix.
jj^^ii^^^ Ensenble o aus sis damoisiaus de pris
Vont l'un vers l'autre et corre et tressaillir,
.Tuer et rire et mener lor délis.
Li dus les voit, à sospirer en prist.
Voit-lc la dame, si l'a à raison mis :
10
-il 8 LI ROMANS DE
— « Hé, riches dus! por cjuoi pensez-vos si?
« Or et argent avez en vos escrins' ,
« Faucons sor perches assez, et vair et gris,
« Et murs et mules, palefrois et roncins;
« Et bien avez foulé vos anemins.
« De six jornées n'avez si fort voisin ,
« Se le mandez , ne vous vengne servir. »
Dist li dus : « Dame, vérités avez dit;
'c Mais d'une chose i avez moult mespris.
" N'est pas richoise né de vair né de gris,
Né de deniers, de murs né de roncins,
Mais est richoise de parens et d'amins :
« Li cuers d'un homme vaut tout l'or d'un pais ^.
« Dont ne vous menbre que je fui assallis
Dedens les Landes , quant à feme vous pris ?
« Bien le sachiez, se je n'eusse amins,
« Que je i fuisse vergondés et honnis.
1 Escrins, coffres, armoires, où l'on enfermait les objets
précieux. Le sens de noire substantif secrétaire a beaucoup
d'analogie avec celui-ci :
Je lesse aux ordres mendiens
Mon graiil escrin où il n'a riens.
Excepté le bois et le fer-
Car ils jelent les gens d'enfer ,
Et font aler en purgatoire
Dès leur vivant, qui les veut croire.
(Poésies d'Eusiache Desrliamps.)
2 Voilà l'un des plus beaux vers que l'on ait jamais fait
en aucune langue.
GARIN LE LOHERAIN. 219
«.En ceste marche m'a haubergié Pépins '
« Où je n'ai nul de mes prochains amins,
« Fors que Rigaut et le sien père Hervi.
« Je n'ai qu'un frère, le Loherenc Garin ,
« Bien a set ans passé que ne le vis.
« S'en sui dolans couréciés et marris.
« Or m'en irai à mon frère Garin
« Et si verrai l'afant Girbert, son fil ,'
« Si m'ait Diex, que je ouques ne vis.
« Du bois de Puelle ma-on novelles dif
" Et de yicoigne, des alues Saint-Bertin' ;
1 Haubergié , casé, établi, préposé.
2 Du bois de Puelle. Yarianles : Puene, — Puenne, — ■_
Peulc, — Pale, — et Pêne. — Il s'agit ici, comme a bien
voulu me le certifier M. le Olay, bibliothécaire de Cambray,
de la forêt cpii s'étendait de Condé à Marchiennes et de
ValencieniK's à Saiiit-Amand. Elle occupait une partie du
canton nommé Pabuleitsis pagus et Pabula, et cité dans
une charte de Thierry l*"", en faveur de l'abbaye de Saiut-
Vaast d"Arras. La victoire de i3o4, remportée sur les Fla-
mands par Philippe-leBel , recommande d'ailleurs assez
le village de Mons-en- Puelle.
3 Et de Vicoigiie , etc. Vicogne est aujourd'hui un
hameau indépendant de la commune de Raisnies, arron-
dissement de Valenciennes. Il est situé sur le bord d'une
foret peu considérable aujourd'hui, mais qui se joint à
celles de Sainl-Amand, Raisnies, Haisnon etWallers. L'ab-
baye de Vicogne fut fondée au commencement du xii*
10.
220 LI ROMANS DE
« En celle terre a un sangle norri,
« Sel chasserai, se Dieu plaist et je vis;
« S'en porterai le chief au duc Garin,
« Por la merveille esgarder et vcir,
« Que de tel porc nuus lions parler n'oï. »
— « Sire, » dist-elle, » que est-ce (jue tu dis?
« C'est en la terre au conte Bauiluin,
« Tu sais, de voir, de ta main l'oceis.
« L'on ma conté que H cuens a un fil.
« C'est en la marche Fromont le poesti,
« Tu li as mort et frères et amins.
n Laissiez ester ceste chasse à tenir,
« Li cuers me dit, ne vous en quiers mentir,
« Se tu i vas, jà n'en levenras vis. »
— «Diex! » dist-il, « dame, merveilles avez dit;
« Jà mar croiroie sorcière né devin ;
« Par aventure vient li biens el pais.
<( Je ne lairoie, por tôt l'or que Diex fist
« Que je n'i voise, que talens m'en est prins '. »
siècle; notre poêle n'en parlant pas, on peut conjecturer
qu'elle n'existait pas encore de son temps.
Quant aux alt4es Salnt-Bertin, ils doivent être ce que
l'on a depuis nommé bois de Saint -Jmand. M. le Glay,
dont la complaisance et l'érudition sont également inépui-
sables, n'a retrouvé dans ces contiées-là aucun souvenir
des alleus de Saint Berlin. Ce doit être une faute des copistes.
• Talens, euvie, désir.
CARTN LE LOHERAIN.
— « Sire, » dist-elle, « Diex soie avoc ti,
« Li glorioiis, qui de Vierge naqni! »
Li dus esgarde voit Rigaiit son cosin :
— « Cosin , » dist-il , « vous venrez avoc mi,
« Et vostre père gardera cest pais. »
La nuit jut Bègues dejoste Biatrix,
Assez i ot joué , gabé et ri ,
Jusqu'au demain que li jor esclari.
Si chanberlan vont à lui por servir.
Bègues se lieve quant ot assez dormi;
Tout maintenant est chauciés et vestisj
Vest un bliau , un pelisson hermin ,
Chauces tirées et espérons d'or fin ' ;
D'or et d'argent fet chargier dix roncins,
Où que il vengne que il soit bien servis.
Chevaliers maine avoc lui trente sis,
Et veuéors sages et bien apris,
Meutes de chiens enmena jusqu'à dix.
Quinze vallés por les relais tenir.
A Dieu commande la belle Biatrix
Ses deus afans Hernaudel et Gérin.
Diex! quel dolor! onques puis ne les vit.
Passa Gironde; au port Saint-Florentin ^
■ Chances tirées. Variante : Hneses lirons. ( Msc. S. Germ.
2041.)
' Variantes : Valentin , — Clarentin.
222 LI ROMANS DE
A un hermilo qui Grantmont estaubli ,
Là fu confus et ses péchiés gehi.
Puis s'en torna quant la messe ot oï.
Par ses jornées droit à Orliens vint,
Vit son nevou, le bon duc Hernaïs ,
Et sa seror la très belle Helni.
Trois jors sejorne avec l'empéreris ;
Li rois de France moult bel semblant li fist:
D'iluec s'en torne , si a le congié prins.
En deus jors vint à la cit de Paris
Et au tiers jors est venus à Sainlis ,
Il s'en torna tantost com li jors vint;
Parmi Condé enVermandois se mist '.
Il passa Oise droitcment à Chari ".
Vermandois laisse et tout le Canbresis ,
Aine ne fina si vint à Vallentin^,
C'est un chastiaus desor Escaut assis ,
Moût par est loin du chastel de Belin.
La nuit hauberge cliiez Berengier le giis,
N'ot si riche home borjois en cest pais.
' Coudé. Variantes : Cosdun , — Codiin , — Coudait ,
— Courdim.
2 Oise. Variantes : Somme, — Seine.
3 Fallentin, Valenciennes.
GARIN LE LOHERAIN. 223
Li bers commande que très bien soit servis ,
Et cil acheté et malars et perdris
Grues et jantes et aigniaus de berbis '.
Après mengicr apareillent les lis,
Son oste apelle Bereiigicr et il vint;
Delez Rigaut en la cuiclie se sist.
Moult bêlement li a conté et dit :
— « Sire, à cel vis, à ces coslés traitis,
« Me resanblez le Loherenc Garin
« Qui snet venir assez en cest pais ;
« Il est mes ostes quant il passe par ci ,
« Et Diex li rende le grant bien qu'il me fist,
« Car par lui sui durement enrichis. »
— « Sire, » dist Bègues, « ne vous en quiers mentir,
« Mes frères est li Loherens Garins.
« D'un père fumes andui engénoï
« Et d'une mère et porté et norri.
« Haubiergiés suis en un lontain pais
« Outre Gironde, ez aleus Saint-Bertin ,
« Que me donna l'emperères Pépin.
« Dès le grant siège qu'à Bordelle fu mis ,
« Ne vis mon frère, mais or le vois véir '. »
• Variantes :
Grues et génies et oies et poucins.
(Msc. St. Germ. 204 r.)
ï Le vois, le vais.
224 LI ROMANS DE
Ce dist li ostos : « Tu tuas Bauduin ,
« En cestc terre avez moult aneiiiins.
« Hues est tes niés li quens de Caubresis,
« Gautiers si est, de qui devons tenir ' ;
« S'il te savoient, il venroient à ti. »
— « Je le cuis bien, » dit Bègues de Bélin.
« Del bois de Puelle m'a-on conté et dit
« Qu'en ceste terre à un sangle norri;
'< Jel chasserai, car li cuers le me dit,
'> Et porterai la teste au duc Garin
« Mon très chier frère, que je piéça ne vis. »
Et dist li ostes : « Je sai bien où il gist;
" Je vous nienrai demain tresqu'à son lit. »
Bègues l'oï, moult grant joie en fist.
Il défubla son mantel sebelin ^,
L'oste baisa et puis si li a dit :
— « Tenez, biaus ostes, vous venrez avoc mi. »
Et cil le prent, si l'en a fait enclin,
Dit à sa feme : < Franc baron avons ci ,
'■ Qui sert prodomme, grans guerredons i gist. «
La nuit jut Bègues; de ci à le matin,
Li chauberlans vint au lit por servir.
« Gantiers, frère de Hues et comte de Haynaut. Hues
et Gauthier étaient nés de la quatrième fdle du duc Hervis
de Metz.
ï Défubla, il détacha; du \i\\ii) Jlbida.
GARIN LE LOHERAIN 22 5
Cote à chascier li Lohércns vesti ,
Hueses chausciées et espérons d'or fin ;
Puis est montés el chascéor de pris
Que li donna l'emperères Pépins
Quant à Orliens de lui se départi.
Le cor au col , l'espié au poing a pris ,
Meute de chiens enmena jusqu'à dix.
Et Rigaus monte, chevaliers trente sis
Escaut passèrent et on bois se sunt mis.
En laVicoigne vont le porc assallir,
Rien les conduit dans Berengiers li gris
Jusques ou bois là où li pors se gist;
Des chiens commence li abois et li cris.
II.
5^^^j^R va li dus en la foret chascier;
çft(yj^Li chien avant se prinrent à noisier,
.^<£^^^/i Quant il commencent ces raimes à brisier',
Truevent les routes dou pors qui a fumé ^.
Li dus demande Rrochart son liemier,
■ Ces raimes, les branches.
2 Dou pors qui a fumé. Variante: Si corne ot vermillé
ou vermeilUr. — En vénerie , vermiller se dit du sanglier,
quand il fouille et renverse la terre pour en tirer des
vers.
226 LI ROMANS DE
Pardevant lui li amaine uns breniers',
Li dus le prcut et si l'a desloié.
Il li menoie les costes et le cief '
Et les oreilles por mieus cncouragier;
Met l'en la route et il prenl à tracier,
Jusques au lit vint li vrais liciniers.
Entre deux chesnes chéus et esrachiés,
Si com li ruis d'une fontaine vient ^,
Là se gisoit por son cors refroidier.
Quant il entent le grant aboi des chiens,
Encontre mont li sangles est dréciés.
Il estela, en après s'est vuidiés '*.
Ne fuit pas, ains print à tornoier.
Là gieta mort le gentil liemier,
Nel voulsist Bègues por mille mars d'or mier.
Bègues i vint paumoiant son espié.
Mais li pors fuit, que pas ne l'atendié ^.
Là descendirent plus de dis chevaliers
Por mesurer les ongles de ses pies.
De l'un à l'autre demi doi et plain pié.
1 Breniers , conducteur ou varlet de chiens.
2 // H menoie, il lui caresse.
3 Si com, etc., auprès duquel s'écoule le filet d'une
source.
4 // estela. Ce mot me semble obscur; il doit répondre
à : // détalla, il se déplaça.
5 Ne l'atendié, pour attendi, cl à cause de la rime.
GARIN LE LOHERAIN.
Dist l'uns à l'autre : « Véez quel aversier '!
« Jamais par autre n'ert cis sangles changiés ;
'< Fors a les dens de la goule plaiii pié. »
Il remontent ens aus auferans destriers,
Les cors as bouches por le porc achascier.
III.
T^^»^ R voit li pors là ne porra garir,
pgigJ^Car les chiens a moult verais assentis;
J^^^^AEn Gaudimont se cuida garentir *,
C'est li couvers où li pors fu noris ;
Là but de l'iave et se coucha en mi;
Mais la grant presse des chiens le départi.
Ce fist li pors qu'onques autres ne fîst
En null terre que nos avons oï:
Laissa le bois et au plain si se mist,
Quinze grans liues fait son cors porsuivir.
' Aversier, démon. Adversariiis.
» En Gaudimont. Variautes : Gissemont. — Guidemont.
— Grais de mons. — Guidemer. — Gadremont.
Après ce vers, le manuscrit de Navarre ajoute le sui-
vant :
Delez Laadat , en nn abatéis
12S LI ROMANS DE
Onques arrières un sanbelet ne (ist '.
Là sont remès et clievaus et roncin;
Li venùor s'cntrepcrdiront si,
Que nus ne sot que Bègues i devint;
De soz Rigaut ses bons chevaus chaï :
Endroit la tierce, à ploviner se prist '.
Quant ont perdu si Begon de Bélin,
Il en repairent tôt droit àValentin.
Moût sunt entre eux correciés et marris,
Il n'ont pas tort se il tordent lor crins.
Li dus scoit sor son cheval de pris,
Chasse le porc et niout sovent le vit.
Entre ses bras dui verais chiens a pris,
Une grant pièce el pan de son hermin.
Tant que il furent moult bien enlalenti ,
Resvigorés et moult bien refrechis.
Il les mit jus, lez un abatéis ^
1 Ufi sanbelet, un lé;;er semblant (Je retour. Variantes:
Un liaurillon. — Un liavellon. — Havillon. Le manuscrit
de Navarre ajoute après ce vers les deux suivants :
Piipel Irespiisse un moiill large pais.
Qu'est liébeifjiés de bois et de maisnis.
2 Ploviner, tomber de la pluie fine. — La tierce, la neu-
vième heiiie du jour.
3 abatéis, taillis, bois fraîchement taillé.
GARIN LE LOHERAIN. 229
Si près du porc que chascuns bien le vit;
Hapant le mainent et picant à estri ',
Li autre chien accoururent au cri.
IV.
^^^R voit li pois ne le poura durer,
)^Ist de Vicoigne, en la Puele est entrés'.
Desous un fau est li pors arestés ,
Là but de l'iave et si s'est resposés:
Et li bon chien sunt entour li aies.
Li pors les voit, s'a les sorcis levés,
Les iex roelle, si rebiffe du nés,
Fet une hure, si s'est vers eus tomes;
Trestous les a ocis et afollés.
Bègues le voit à pou n'est forcenés;
Mont durement escria le sanglé :
— « Hé, fis de truie, com tu m'as hui pené! /
« Et de mes hommes m'as-tu bien deseuré! (jAjL^^yi^'^^ l^'
« Las! je ne sai quel part il sunt torné. »
Li dus l'escrie, li pors l'a escouté,
Les iex roelle, si a froncié du nés.
Plus tost li vient que quarriaus enpannés.
' Picant à estri, harcelant à l'envi. De là le nom de pi-
queur donné à ceux qui harcellent et aiguillonnent les
chiens.
» Ist, il sort.
23o LI ROMANS DE
Bègues l'attent, que l'a petit douté,
kEn droit le ciier li a l'espié branlé,
Outre le dos li a le fer passé.
Hors de la plaie ist don sanc à plenté ,
Et li troi chien en lapèrent assés,
jTant que il sunt de lor soif respassés.
De lez le porc se ctiichent lez à lez.
Lors vint la nuit et fu grans l'oscurté.
Li dus ne vit né chastiau né cité ,
Né bore né ville né nulle fermeté,
Né chevalier ne connut el régné,
Né il n'i ot né compaignon né pair
Fors son destrier Baucent qui l'ot porté.
Il le regrette corn jà oïr porez :
« Baucent, » dist-il, «je vos doi moût amer;
« De maint besoing avez mon cors gardé;
« Se je eusse né avaine né blé
« Le vous donaisse volontiers et de gré '.
'( Se je repaire , bien iert gueredoné. »
' On trouve fréquemment dans nos cliansons de Geste,
aussi bien que dans Homère, des discours de ce genre
adressés par les guerriers à leurs coursiers. Dans la bataille
d' Aleschans, branche de Guillaume au court nez, Guil-
laume, poursuivi depuis long-temps par les Sarrasins et
voyant son cheval Baucent harassé, s'e.xprime ainsi :
« Chevax, » dist-il, « mont es ores lassés.
« Sé vos fussiés quatre jors séjornés ,
GARIN LE LOHERAIN. 23 1
Desoiis un abre est li dus arestés,
Ce fut un tremble où de fuelle ot plentc.
Il esclaira, si a Dieu reclamé;
Puis prent le cors, si l'a deus fois sonné
Moult durement, por les siens reclamer.
Ahi frans dus! de quoi t'es apensés!
Ce ne vaut riens ; cens que as appelés
Ne les verras en trestout ton aé !
Et li quens est desous l'abre ramé;
Prent son fusil, s'a le fu alumé'
Grant et plenier, merveilleus embrasé.
Li forestier qui le bois dut garder
Oï le conte les siens chiens réclamer,
Le cor d'ivoire moult doucement sonner.
K Me refaisse as Sarrasins mellés.
M Mas je Toi bien aidier ne me povez ,
« si maîl Dei, jà lenciés n'en serez,
« Cartotejor, inout bien servi m'avez.
Il Ue vos servise vos renl mercis et grés.
« Sé me poviez en Orenge mener,
« Pi'averiez selle devant trois mois passés;
a Ne mengeriez d'orge ne fusl colés,
u ]ïie béussiez y s'a vais-'^el non dort'^.
« Le jor fassiez quatre fois conréiés. »
Baacent l'oit , s'a heni tant assez ;
La teste crosle, si a des pies gralés,
Reprent sa voie, si est ravigorés.
(Msc. du Roi. 8202.)
Fusil, espèce de briquet. Dç.là le mol pierre à fusil.
232 LI ROMANS DE
Isnelement est celle part aies,
Begon regarde de loin , n'ose aprochier.
Oï l'ai dire et ce est vérités
Que par glouton est mains maus arivés.
,^'^Ss^^'UANT cil le vit si bien aparillie
^^fjJS|De bel aroi et de courant destrier,
'«^^3^'=:4r'^'Hueses chauciés et espérons d'or mier*.
Et à son col un cors d'ivoire chier
A neuf viroles de fin or bien loiés;
La guiche en fu d'un vert paile prisiés^.
Entre ses mains tint li dus son espié
Dont l'alemelle avoit bien demi pié,
La plus gente arme qui onques fust soz ciel;
Et, devant lui, son auferrant destrier
Grate et hennit et a houé del pié 3.
Voit le li glous si bien apparillié ,
Tout droit à Lens l'ala Fromont noncier.
I D'or mier, d'or pur.
* La guiche, la bande qui servait à attacher sur la poi-
trine le cor d'ivoire. L'illustre maison de La Guiche, en
Bourgogne , porte sur son écu de sinople une guiche en
sautoir.
3 Houé, gratté, remué. Nicot traduit encore /iOHcr, par
le latin pastinare.
GARIN LE LOHERAIX. 233
Li qnens Frotnons est assis an raangicr,
Et avoc lui si baron chevalier.
Li maus lichieres ne l'osa aprochier,
Le senechal en appela premier ;
Ens en l'oreille le prist à consillier :
— '< Sire, en cest bois allai m'esbanoier,
« Iluec trovai un véncor moût fier,
« Le plus bel homme, le miex apparellié
" Et le plus grant que onqucs véissiez.
« Un sanglé a retenu à trois chiens,
« Et l'a ocis d'un roit tranchant espié ;
" Et s'a, biaus sires, un sor baucent destrier,
« Large a le pis et la croupe derrier.
'< A son col pent un cor d'ivoire chier.
'< S'il vous plaist, sire, et m'en donnez congié,
« Messires ait le sanglé et les chiens,
« Le cors d'ivoire qui tant fait à prisier;
« Et vous aurez le bon courant destrier. »
Quant cil l'oï, s'en fu joians et liés,
Son bras a mis au cors du forestier :
— « Biaux dous amis, Diex garisse ton chief !
« Car en pensez de mon prou porchassier;
« Se je i gaingne, vous n'i pcrderez riens. »
Et cil respont : « De gré et vollentiers.
« Mais, s'il vous plaist, compaignons me cherchiez;
« Car par moi seul n'i porterai mes pies. «
Cil en apelle sis de ses losengiers :
234 LI ROMA.NS DE
— « Alez-en tost avoc cest forestier ;
« Se trouvez homme qui ait forfait de rien,
« Si l'ociez, ce vous commaiit-je bien,
«. En toutes cours bon garant vous en tiens. »
Et cil li client : « De gré et volentiers. »
Thiebaus li lerres les oï consillier,
Frères Estormi de Boorges le fier;
Celle part vint corans et eslaisiés :
— « Signor, » dit-il, « bien connois le brenier
« Que vous allez por prenre et espier,
<' J'irai o vous, ne vous doit anoier. »
Et cil respondent : « Tu nous aras mestier. »
Là sunt aie où le duc ot laissié :
Desoz un tremble li Loherain se siet,
Desor le porc lenoit l'un de ses pies
Et d'autre part regisoient li chien '.
Quant cil le voient si en sunt merveillié ;
Ce dist Thiebaus : « Par les ieus de mon chief,
« Ce est uns lerres qui moult est costumiers
« De pors enbler et de forest cerchier;
« S'il nous eschappe mal sommes engigniés. »
Il li escrient et devant et derrier :
I Regisoient, gisaient tout du long, et comme dit encore
le peuple : Étaient rétendus.
GARIN I-E LOHERAIN. 235
— « Es-tu venerres, qui de sor le tronc siés ?
« De poi'c ocire qui te donna confié?
« La fores l est à quinze parsonniers ' ;
« N'i chasse nus se il n'a d'ans congié;
'< La signorie en est Fromont le viel.
« Esta tous cois, nous t'iions mes loicr ",
« Tout droit à Lens te renienrons arrier. »
— «Signor, « dist Bègues, «merci, por Dieu del ciel!
« Portez m'honor, car je sui chevaliers.
« Se j'ai forfait envers Fromont le viel ,
<t Droit l'en ferai de gré et volentiers ;
« Garins li dus me venra ostagier,
« Li rois mes sires qui France a à baillier,
« Et mi afant, et Auberis mes niés. »
Puis dist après : « Or ai dit que laniers '. \
« Diex me confonde parmi la crois dou chief , \
« Se me rends prins par tex set pautonniers; |
'< Ains que je muire me venderai moult chier. »
' Parsonniers, co-possesseurs. « Qui aliquid in commuue
« possident , » disent les continuateurs de du Cange , au
mot Personarii. De lu le féminin parsonnièré, resté chez le
peuple dans une acception analogue, et que nous mépri-
sons, faute de connaître ses vieux titres de noblesse.
2 Esta, restes. C'est l'impératif latin sta.
3 Que laniers, comme un homme sans cœur.
236 LI ROMA.NS DE
VI.
'^^^'t^^ioyoR baron, » dist Beiriies li iiiarchis,
^^^\}[ii" Hui matinct, quant cest porc assaillis,
kf^i-lf^^ïki" Avoc moi furent chevaliers trente six,
■< Venéors maistres , sages et bien aprins;
« N'i a celui ne tengne fief de mi,
« Ou bore ou ville, donjon ou plaisséis.
« S'a fait cis pors c'onqties autres ne fist;
« Grans quinze Hues (ist son cors porsievir,
« Onques arriéres nn sembelet ne fist. »
Dist l'uns à l'autre : « Merveilles puis oïr :
« Qui vit aine pors si longement fuir? »
Et dist Thiebaus : « Ce dit por soi garir.
« Alez avant, forestiers, biaus amins,
« Coilliez les couples por les chiens détenir '. »
1 Coilliez les couples, accouplez les chiens.
GARIN LE LOHERAIN. aîy
VIL
fvîî>^ ^ssA avant li forestiers moult tost,
{ fzhje Et vint au duc, si li a pris le cor'.
'î^è-^S^B^yiit-s le voit, à pou de duel n'est mors,
Hauce le poing , si le ferit el col ,
Devant ses pies à terre l'abat mort.
Puis li a dit : « Moult féistes que fol ;
« A col de conte ne penrez jamais cor. »
VIII.
.^'^^^uant ainsi voit le forestier morir,
■^^J^^Ce dist Thiebaus, li glous del Plaisséis:
1/^^^' — «■ S'il nous eschape nos serons escarni.
« Li quens Fromons ne nous voudra véir,
« Jamais à Lens n'oserons revertir. »
Quant cil l'oïrent, grains en sunt et maris;
Adont li rendent un estor esbaudi ^.
' Le cor, le cor de chasse.
» Li rendent un estor esbaudi, renouvellent avec Bègues
une lutte acharnée.
238 LI ROMANS DE
IX.
/I&^^i^ui dont véist le conte droiturier
tS,^ar.Desous le tremble paumoier son espié,
'^^è«54r^Sa venison et son cors chalongier ',
Et vers les sis et férir et lancier,
Du gentil homme li préist grant pitié.
Mort lor geta trois de lor chevaliers,
Li autres trois sunt en fuie touchiés 2;
Jamais par ans ne fust recommencié,
Quant , par le bois, ez un serjant à pie,
De la seror etoit au forestier;
Arc d'aubour porte et sajetes d'acier;
Quant cil le voient si prennent à huchier :
— « Viens tost par ci, Diex garisse ton chief !
« Mors es tes oncles, li riches forestiers,
« Par devant nos l'abati uns breniers.
« Va tost, biaus sires, si penses del vengier. »
Quant cil l'oï, n'i ot que courecier;
Il prist son arc, celle part courans vient,
Met en la corde un grant quarrel d'acier
Le conte avise et maintenant le fiert.
De la sajèle li mist el cors plain pié,
' Chalongier, disputer.
» Touchiés. Le sens est clair, mais le mot est obscur. Le
seul manuscrit 9654 porte cachié, pour chasciés
GARIN LE LOHERAIN. aBg
La niaistre veine del cuer li a trenchié ,
Li quens s'abaisse et sa vertu li cliiet ' ;
Fors de ses poins li chai son espié.
Li dus fu sages, ne se vont esraaier 2,
Dieu reclama le glorious del ciel :
— « Glorious pères, qui tos tans fus et ies ^ ,
1 Sa vertu, sa force.
i Esmaiei; effrayer, perdre le sens.
3 A la suite de ce vers, le manuscrit de Navarre , si
différent de tous les autres, donne les suivants :
u Qai eu la crois te laissas, traviller
Et de la lance par le costé plaier,
Por nos mefais , non por autre loier;
Et el sépulcre et poser et conchier.
Les trois Maries si t'alèrent prier,
L'ange lor dit surrexi vos estiés ;
Si com c'est voirs , rois glorious del ciel,
Pardonés-moi , sire Diex, mes pechiés.
Ces vers sont beaux sans doute, mais outre qu'ils rap-
pellent plusieurs oraisons des chansons de Geste moins
anciennes, la brièveté des paroles de Bègues, telles que les
donnent tous les autres manuscrits, me semble plus expres-
sive. Au reste, chercbez, dans toutes les épopées du paga-
nisme , dans la Gierttsalemmc et dans les niaises imitations
de l'Enéide , quelque chose de comparable au récit
des derniers instants de Bègues. C'est ici qu'on est forcé
de rendre hommage à la supériorité de la religion chré-
tienne , et je plaindrais le lecteur qui ne serait pas attendri
jusqu'aux larmes de cette dernière pensée demi-terrestre,
demi-céleste : « Où vais-je? et que deviendront ma femme.
24o LI ROMANS DE
« Aiez de m'a me et mercis et pitié.
« Ha! Biaiitrix, gentis franche moillier,
K Ne me verrez à nul jor desoz ciel.
« Garins, biaus frères, qui Loheraine tiens
« Jamais tes cors n'iert servis par le mien.
n Mi doi afant , li fil de ma moillier,
« Se je véquisse vous fuissiez chevalier,
« Or vos soit pères li glorious del ciel! »
Trois foilles d'erbe a prins entre ses pies ,
Si les conjure de la vertu del ciel,
Por corpus Deu les reçut volentiers '.
L'arme s'en vu del gentil chevalier.
Or en ait Diex et manaide et pitié!
Li troi glouton li sunt soure fichié %
Chascuns le fiert de son tranchant espié ,
Dusques au fust li font el cor baignier,
Or culdent ben avoir ocis brenier.
Non l'ont, par foi, mais un bon chevalier
Le plus léal et le plus droiturier
Qui onques fust soz la chape del ciel ,
mon frère et mes fils ? Seigneur, pensez à eux et ayez
pitié de moi! » — Qui tos tans fus et ies. Ce dernier mot
est ainsi écrit pour l'exactitude de la rime.
' Por corpus Deu, poîir corpus Dei, pour la sainte
Eucharistie.
* Soure, sur.
GARIN LE LOHERAIN. 241
Bègues ot non , li Lohérains prisiés.
Font une bière por les lor ens cuichier' ,
Le sangle font sor un roncin chargier ,
Le cor enportent et le trenchaut espié
Et enmenerent le bon corant destrier;
Mais les trois chiens ne porent il ballier*.
Seul ont Begon en la foret laissié ;
Et jouste lui revindrent si troi chien,
Huleut et braient coin fuissent enragié.
De ci à Lens en vont li pautonnier:
Ens el palais portent les destrenchiés ,
Et d'autre part furent li forestiers ;
En une estable menèrent le destrier,
Fronce et hennit et si grate des pies,
Que nus de char ne li ouse aprochier.
Et le sanglé deschargent au foier.
Véoir le vont serjant et escuier,
Les belles dames et li clerc du mostier;
Li dent li saillent de la goule plain pié.
Sus el palais est li cris enforciés.
De ceus que Bègues ot mors et destranchiés ;
I Font une bière. Ils font une bière pour y déposer ceux
que Bègues avait tués.
ï Baltier, conduire, maintenir.
II. II
2/i2 LI ROMANS DE
Li qucns Fromons qui en la chanbre siet
La noise oï, s'en fiist moult airiés;
Il sailli sus, en eschapins chauciés:
— '< Fis à putains! » ce dist Fromons li vies,
« Quelle noise est que démenez si griés ?
« Dont vint cis pors, où est prins cis espiés
« C'est olifant en la main me bailliez. »
Il le regarde environ et en chief,
De deus viroles de fin or est liés;
La guiche en fu d'un vert paile px'isié'.
Ce dist Fromons : « Cis garnemens est chiers,
« Tel n'en porta né garçons né breniers.
« Où fu ce prins? gardez nel me niez;
« Par ceste barbe se vous le me celiez ,
« En autre tans les resaurois-je bien, »
Et cil respondent : « Nos le vous dirons bien.
« Nos estions vostre forest serchier ',
« Si i trouvâmes un orguillou brenier
« Qu'ot un sanglé retenu à trois chiens.
« En cest palais le vous ameniens^,
<( Quant à ses poins ocist vo forestier;
» La guiche, la bande qui servait à suspendre le cor.
ï Nos estions, nous étions à faire notre visite dans vos
bois.
3 Ameniens, au lieu de amenions , pour la rime qui
exigeait les dernières voyelles ; ie.
GARIN LE LOHERAIN. 243
B Apres ocist trois de vos chevaliers.
« Nous l'avons mort, nostres est li péchiés. »
— « Qu'en avez fait? » ce dist Fromons li vies,
— «- Sire, en cest bois l'avonsmes nous laissié '. »
Et dist Fromons : « Or est-ce graus pechiés.
« Alez, signor, jà est-il crestiens;
« Jà l'averoient demanois loup mangié *.
« Alez i tost, cil aportez arrier :
« Il iert à nuit à chandoiles gaitics
« Et, le matin, l'enfuirons el raostier:
« Frans bons de l'autre doient avoir pitié. »
Et cil respondent : « De gré et volentiers! »
Envis le font, mais ne l'ousent laissier.
En la foret, sunt reparié arrier :
Sor une bière lèvent le chevalier,
Et après lui s'aroutèrent si chien.
De ci à Lens n'ont cure d'atargier;
Sor une table où Fromons suet mengier '
A haute feste, quant léans sa cort tient,
Là ont couchié le baron droiturier.
Tout entor lui s'aroutèrent si chien ,
« L'avonsmes, pour avons. Plusieurs leçons du[Garin em-
ploient toujours cette forme, qui se rapproche plus, en
effet , de Vhnbemtts latin.
» Demanois, promptement.
î Suet, a coutume.
II.
2^4 LI ROMANS DE
Hulent et braient et mainent grant tenipier ',
Toutes ses plaies li corurent lichier;
Diex ne fist home qui n'en préist pitié.
Véoir le vont baron et chevalier,
Sor sa poitrine avoit la main croisié,
Dist l'uns à l'autre : « Com est grans et pléniers! »
<' Com belle bouche et com cis nés li siet!
« Or l'ont ocis glouton et pautonnier,
f «; Jamais frans hons ne le voulust touchier :
I < Gentis hons fu, moult Tamoient si chien. »
V Cesle parole oi Fromons li vies.
Fromons li quens droit vers le cors en vient,
Il le regarde et devant et derrier;
Vif l'ot véu, mort le reconnut bien,
Par une plaie qui sor le vis li siet
Que il méismes li ot fait d'un espié,
Sor Saint-Quentin de desous le gravier ',
Li bers le voit, n'i out que courécier,
Pasmés chaï entre ses chevaliers.
Au relever sunt li cri enforcié :
— « Fis à putain ! » dit Fromons au vis fier,
« Vous moi disiez ocis aviez brenier,
« Un venéor, un glouton pautonnier;
« Non l'avez, voir, mais un bon chevalier,
I Tempier, tempête, bruit.
» Yoy. tome P"", page 265.
GARIN LE LOHERAIN. 245
n Le plus cortois et le miens ensignié
« Qui portast armes, né montast en destrier.
« Fis à putain, corn m'avez engignié! »
;is à putain, « li quens Froraons a dit;
' «■ Vous moi disiez brenier avez ocis,
« Non l'avez , voir, Diex vos maudie vis !
« Ains avez mort un chevalier gentil,
«■ Begon a non dou chastel de Bélin.
« La nièce avait l'empéreor Pépin ,
« Si est ses niés li Bourguignons Aubris ,
« Gautiers d'Hanau, Hues de Cambrisis.
« En si grant guerre m'avez hui ce jor mis,
« N'en isterai tant com je soie vis.
« Las ! or verrai mes grans chastiaux croissir,
« Et ma contrée esillier et laidir,
« Et moi méismes en convenra morir ;
« Et si ne l'ai né porchascié né quis.
« Or sai-je bien comment porrai garir;
« Je vous penrai qui lui avez ocis ,
« Ens en ma chartre ferai vos cors gésir,
« Thiebaut premier, mon nevou qui le fist :
« Puis manderai à Mez au duc Garin
" Que ceus ai pris qui le comte ont ocis.
« Sa volenté en fasse li marchis.
24^ LI ROMANS DE
" Ou ardre ou pendre ou escorchier tos vis,
" Ou à tousjors giter fors dou païs.
" Quoi qu'il en fasse , moi l'esteura sofrir.
" Jurerai li ou trente fois ou dis
« Que je nel sus né ne le consentis,
« Né là ne fui où li dus fu ocis.
« Or et argent li donrai à plaisir,
« Que ne pourroient porter quatre roncins;
« Meules de chiens et faucons quatre vins;
« Dis mille messes ferai chanter por li
'< A sains abbés , à prestres bénéis ,
<■ Que Diex de l'arme ait pitié et merci.
« Se ce li fais, il ne me doit haïr. »
Son chapelain apelle, si li dit j
Si li fait mettre en brief et en escris
Lor acordance et lor fais et lor dis :
Puis fait le cors del chevalier ouvrir,
Et le dedans en paile recoillir.
Et puis le fist richement sevelir '
Devant l'autel , au mostier saint Berlin î.
' Le, les entrailles , le dedans.
^ Au mostier Saint-Bertin. Variantes :
... .El moslier Saint Vesquin. —
. . . .Ens el maistre parvis. —
. . . .El mostier Saint-Seurin. —
 Saint- Uigal, devant le crucefis.
GARIN LE LOHERAIN. 247
Le cors lavèrent et d'iave et de vin.
Li quens méismes ses blanches mains i niist;
D'un fil de soie le restraint et cousi ',
Puis l'envolupe en un drap de saniis.
En cuir de cerf font le baron covrir,
Font une bière, le vassal i ont mis ,
Et environ trente cierges espris.
Il firent crois et encensiers venir,
Li quens Froraons à son chevet s'assit *.
A ces parolles estes-vos Fromondin
Lui et Guillaume, son oncle de Monclin.
Ens en la salle est entrés Fromondins ;
Quant vit le cors à mervillier se prist,
Il demanda : < Qui est-ce qui ci gist?»
— « Fis, » dit li pères, « c'est Bègues de Belin ,
« Si l'a ocis Thiebaus dou Plaisséis ,
« For un sanglé qu'en la forêt ot pris. »
' Le restraint, le resserra, le referma.
' Cette description n'inspirera-t-elle pas un jour quel-
qu'un de nos peintres? la douleur du vieux Froment et
les devoirs funèbres qu'il croit devoir rendre à son plus
redoutable ennemi ; le soin qu'il prend de laver et re-
coudre le corps et de veiller au chevet de la bière, tout
cela ne pourrait-il pas sembler aussi pittoresque et ausssi
touchant que la mort d'Adonis, par exemple ? Je puis me
Jfomper.
2/, 8 LI ROMANS DE
— « Qu'en avez fait, sire? » dit Fromonclins,
" Que ne l'avez escorchié trestout vif?
« Or dira-on que vous l'avez murdri,
« S'en arons honte et nos millor ami.
« Prenez Thiebaut et l'envoiez Garin. «
Et dit Fromons : « En ma chartre est jà mis ,
« Avec la bière certes sera tramis. >>
— '< Non ferez, frère, » li quens Guillaumes dit,
« Il est tes niés et de ta seror fis,
« S'en parlerons premiers à nos amins. »
— « Et je l'otroi, » li quens Fromons a dit.
De lez la bière sunt 11 baron assis.
Qui dont véist le vallet Fromondin,
Il le rcgrète com la mère son fil :
— « Tant mari fustes, frans chevaliers gentis ',
' Tant mar i fustes. J'ai déjà plusieurs fois exprimé
mes incertitudes sur le sens de cette phrase remarquable;
mais je n'ai pas encore dit que marr, maerr et meiri, dans
l'ancienne langue Scandinave, signifie constamment illus-
trîs, insignis, comme dans ce passage d'une saga :
Mvn gopa qvaii
Gunnarr e'tga
Maerr med monnom.
An probam uxorem Gunnar in conj'ugio
Hal>ebit insignis inter homines?
(Qiiida Sigurdar fatnisbana.)
Voyez le glossaire joint à l'excellente édition des Sagas, de
GA.RIN LE LOHERAIN. 249
« Li miudres princes qui ains béust de vin !
« Se vous fuissiez armés et fervestis,
« N'en doutissiez, acertes, trente sis;
« Mais li glouton vous orent si sorprins,
« Il Vous ont mort ; certes , ce poise mi ,
« Car li damages en revenra sor mi. »
Il ont mandé le bon abé Liétris;
De saint Amant en Puelle fu noris
Et si fu niés au Loherenc Garin ;
En sa compaigne chevaliers trente sis
Et quinze moines sacrés et bénéis.
Vint en la salle où li barnages sist,
Où voit Fromont, si l'a à raison mis :
— « Sire, » dist-il, « vous m'avez mandé ci;
« Ques bons est-ce qu'en celle bière gist ?
« Est-il malades ou navrés ou ocis ? >*
Et dist Froraons : « Ne vous en quiers mentir;
'< Cest li quens Bègues dou chastel de Bélin.
« Garçon l'ont mort dedens cel bois antif,
« Por un sanglé que mar fuist-il norris! »
18 1 8, aux mots maeri et marr. Or ne serait-ce pas le sens
de notre mar i, qu'alors il faudrait écrire mari ? Je donne
cette curieuse question à résoudre aux savants. Je dois
seulement ajouter que plusieurs manuscrits, au lieu de
tant mar i, écrivent dans tous les passages où revient la
même phrase, corn marifustes!
II..
2 5o LI ROMANS DE
L'abes l'oï, à pou n'enrage vis :
n Qu'est-ce, tléables, Froraons, que tu as dit?
« Mes oncles eit dus Bègues de Bélin :
« Par les sains-Dieu, vous l'avez fait murdrir.
« Or me verrez de moniage issir ' ,
« Le blanc haubert endosser et vestir;
« Et manderai de mes riches amins,
« Aubri mon frère, et l'allemant Ouri ",
« Gautier d'Hanau , Huon de Cambresis ,
« Mes cosins sunt ; ne sunt pas Ions de ci ;
« N'i garirez, fis à putain, » dist-il ,
" De maie mort vous feronmes morir. »
Fromons l'oï, moult grant paor l'en prist,
La chars li ti'emble et li sans li noirci :
— « Ha ! sires Abes , por l'araor Dieu merci !
« Por saint Sepucre ne faites mie ensi !
n Vous estes abes et je quens del païs^;
« Qui vous forfait jà venez-vous à mi,
« Et je vous fais de vos rentes joïr ;
« N'est-il un seul qui riens vos ost tollir.
« Portez-en, sire, le baron qui ci gist
« De ci à Mez au Lohérenc Garin ,
» Moniage, ordre monacal.
2 Aubri, mon frère. Lietris était donc fi!s de la deuxième
lille d'Hervis de Metz. (Voyez tome I""", page 5o.)
3 Del pats. Variante ; Palaisiiis.
GARIN LE LOHERAIN. î5i
n Et si li dites que je ai iceiis priiis
« Qui ont le conte destranchic et ocis.
« Si li rendrai del tôt à son plaisir. »
Et dit li abcs : « Or avez-vous bien dit.
« S'cusi le faites, dont porez vos garir. »
Sor une bicre font le baron gésir,
Si le levèrent sor un mur sarrasin ',
Quatre serjans i ot por le tenir.
Huirtiais dirons des chevaliers gentis
De la mainie dant Begon de Bélin
Qui la nuit vinrent tôt droit à Valentin ,
Chiez lor bon oste dant Berengier le gris.
Si grant duel orent que ne porent dormir.
Moult regretèrent Begon le pallasin,
Car il ne sourent quel part il fu guenchis ;
Plourent et crient et gietent lor sopirs.
L'ostes les voit, raoult grant pitié l'en print :
— « Frans chevaliers, » li ostes lor a dit,
« Moult est prodons dus Bègues de Belin,
« Larges, cortois , sages et bien apris;
« Il me donna cest pélisson hermin
n Et de raon col cest mantel sebelin,,
« Je ne lairoie por tôt l'or que Diex fist
'■ Que je nel quiere à nuit o le matin. »
— « Ça montons tost, » li dus Rigaus a dit,
Et il si firent, onques n'i ot respit.
• Un mur. Variante : Dciis mu/s.
2 Sa LI ROMANS DE
A mie nuit issent de Vallenlin ,
Ains ne finèrent dusqucs en Champbelin '
Un moniage où Diex estoit servis;
Devant en va dans Berengiers li gris,
Et vit un moine de sa chapelle issir,
Or l'en apelle, cortoisement li dist :
« Un chevalier eussiez véu ci? »
Li moines l'ot, à porpenser se prist :
— « Sire, » dist-il, « ne vous en quiers mentir,
« Er soir au vespre en passa uns, par ci,
« Gentilhoms fu, que son salut me fist.
'< Et si cliasçoit un sanglé à estrif ,
« Mais tuit si chien estoieut alentis. »
Quant cil l'oirent, s'en furent esbahis.
Et li frans moines en la voie les mist;
Les cors as bouches commencent à tentir.
» Champbelin. Variantes : n" 9654. 3- a.^- Cambelin. —
n° 7633 , Si vinrent en Ligni. — Pour le manuscrit de Na-
varre, il diffère complètement des autres par le style, dans
tout le cours de cette dernière chanson. Selon la leçon , les
chevaliers, en quittant Yalenciennes, s'enfoncèrent dans le
bois:
Escaut passèrent au pont Saint-Valentin
Par Saint Amant en peuve se sunt mis.
A icel jor, baron , que je vos di
N'i avoit-il ne ville né maini
Ains estoit tuit, bois, forest, sartéis....
Un essart truevent si ot un trencbéis ,
Chapelle i ot que uns sains homs i fist...»
GARIN LE LOHERAO. î53
De Lens les ot Fromons li poestis
Qui condiiisoit le cors, ce m'est avis.
L'abé apele, si l'a à raison rais :
— « J'entens ici ne sais quel gent venir,
« De la mainie dant Begon de Bélin,
« Je n'en quiers nul regarder né véir,
« Car gens iriés sunt tousjors esbahis ;
« Test font tel chose qui à mal reverti.
« Portez-en , sire, le cors qui ici gist '. »
L'abes s'entorne et Fromons s'en parti :
Tout maintenant en son chastel en vint.
Ferme les portes et les murs fit garnir;
"N'est pas merveille se Fromons doute si ,
Il a bon droit , qu'il a moult d'anemins.
Devant chevauche dans Berengiers li gris,^
Bien reconnu le bon abé Liétri ,
Il li demande : « Dont venez-vous ensi?
' Li ques bons est-ce qu'en celle bière gist? >>
Et cil respont : « C'est Bègues de Bélin,
« Li Loherens, frères au duc Garin.
n En la forêt Fromont le poestis
.< L'ont sa gent mort, destranchié et ocis. >.
Quant cil l'entendent, moult furent esbahis.
e^s'^'^'enfes Rigaus s'est à la bière mis,
Son oncle baise, entre ses bras le prist,
' Portez-en , aujourd'hui : emportez.
2 54 LI ROMANS DE
Il li doscout le cuir de cerf bouli,
En droit les icus li trenche le samis.
Il vit le duc en la bière gésir,
Les ieus tornés et tenebrous le vis,
Et les bras roides et le cors enfusci '
— « Oncles, » dist-il , « maie nouvelle a ci !
« Qui vous a mors il n'est pas mes arains. »
Et li dansel que Bègues out norris,
Et atendoient chevaliers les féist ,
Moult se clamèrent maleurous chaïtis :
— '< Que ferons or? que pourrons devenir?
« En nos païs n'oserons revenir.
« Que dira ores vo moilliers Biatris,
« Vo dui afant Hernaudés et Gerins? o
Et dist Rigaus : « Allons les assallir;
« Ne pris ma vie vaillant un Angevin '. w
— « Non ferez, sire, » dist li abes Lietris,
« Riches bons est Fromons li poestis ,
« De grant linage, et enforciés d'amins;
« Mais portons-en le cors que je vois ci
'< Tout droit à Mez , au Loherenc Garin,
« Là porons nos autre novelle oïr. »
Et dist Rigaus : « Tôt à vostre plaisir ! »
A tant s'en tornent li franc home gentil ,
Ens chiez lor oste vinrent à Valentin.
I Enfusci , noirci ; du latin fiiscus.
» Ne pris, je ne prise.
GARIN LE LOHERAIN. aSS
Sus en la salle font la bière venir,
Véoir la vont cil damoisiaus de pris ,
Les belles dames qui ont simples les vis.
« Dist l'une à l'autre : « Diex! quel damage a ci! «
Grant luminaire ont entor lui esprins.
Rigaus apelle son ostes, si li dist :
« Por Dieu ! biaus ostes, entendez envers mi ;
« Conduisez-moi trestot droit à Crespi',
« Je vous donrai ma robe que voici. »
— « Sire , » dist l'oste, « la vostre grant merci! »
Rigaus s'en enble, des autres est partis,
L'oste le guie au cler et au seri;
Il passent Oise en un batel petit ,
Passent le bois et la forest aussi ,
Quant furent fors et fut passés midis,
L'oste retorne si li montra Crespi,
Va s'en Rigaus ne but né ne dormi ,
Ne finera si venra à Paris,
Où sejornoit la franche emperéris.
Nuis fut oscure comme Rigaus i vint.
Ses bons chevaus ne pot dou pas issir.
Il descendi chiez son este Landri.
L'oste le voit, moult en fu esbahis :
— « Sires Rigaus, d'où venez vous ensi?
« Où est vos sires, dus Bègues de Bélin? »
' Crespi en Valois.
2 56 LI ROMANS DE
— << En Loheraine, o son frère Garin ' :
'< Mais il m'envoie arrier en son pais.
« Où est ma dame, la franche enpéreris ? «
Et cil respont : « Je la vis, hui matin
« A Notre Dame, où elle messe oï. »
Jusqu'à la salle ne fina, si i vint,
Por desconoistre ot son chaperon mis '.
En une chanbre estoit l'empéreris.
Il la sallue corn jà pourez oïr :
— '< Diex vous saut, dame, qui en la crois fu mis! »
Elle l'esgarde devant, enmi le vis.
Si li escrie : « Es tu ci , Rlgaudins ?
« Où est dus Bègues , li sires de Bélin. »
— « Dame, » dist-il, « jel vous arai tost dist. »
A une part la dame se guenchi :
— « Dame, » dist-il, « entendez envers mi :
« Ne dites mot de ce que je vos di ,
« Ains le celez, por Dieu qui ne menti. »
Et dist la dame ; « Volentiers, biaus amins. »
Et dist Rigaus : « Mes sires est ocis,
« Li riches princes qui souef me norri ! »
La dame l'ot , tous li sans li frémi ,
Une grant pièce ala que mot ne dist.
I O son frère, avec son frère.
» Desconoistre, demeurer méconnu.
GARIN LE LOHERAIN. 267
Ça fust chéiie quant Rigaus la retint,
Et dist Rigaus : « Dame, por Dieu merci,
< Ne faites noise, né senblance, né cri,
« Que ne le sachent li grant né H petit;
« Ains que le sachent mi mortel anerain,
« Les cuis-je faire coureçous et maris.
« Mais grant merveille or en droit m'en avint
« Que desous moi mes chevaus mort chaï. »
— « Ne vous chaut niés, » ce dist l'empéreris,
« Vous le raurez gros et grant et forni. »
Elle en apelle son chanberlain David :
— « Donnez Rigaut cel destrier arrabi
'< Que me donna li abes de Clugni ,
« Et vous comant que soiez avoc li. »
Et dist Rigaus : « Dame, vostre merci !
« Il a deus nuis, dame, que ne dormi
« Né ne manjai, tant ai le cuer marri. »
— « Si mangerez, » dit la dame, « un petit. »
On li aporte plain un barris de vin ',
Et quatre pains et un paon rosti*. »
Li bers manja qui le cuer out hardi.
Un sol petit se cuicha et dormi,
Puis sallit sus et s'en torna d'enqui.
' Piain un barris. Variante: Tôt plain un pot.
* Et (juatre pains. Variantes : El quatre cignes. — Et
quatre simles. — Et quatre peins.
258 LI ROMANS DE
A Dieu commande la franche empéreris,
Moult fut doUante, ni ot né geu né ris.
Rigaus s'en va, que lonc délai ne fis!:
Jusqu'à Orliens ne prist-il onques fin ;
N'i trouva mie le sien oncle Hernaïs,
En Anjou est o Joiffroi l'Angevin.
Joie li fait ses aiole Heloïs :
— « Li miens cliiers niés, bien puissiez vous venir
' Où est mes frères, revenra-il par ci? »
Et cil respont : « Si m'aït Diex, nenil,
« Mors est vos frères; Bordelois l'ont ocis. »
— « Diex ! » dist la dame, » sires pères , merci ! »
Et dist Rigaus : « Je raoverai matin ;
n Nel dites mie , mais pensez del covrir ;
« De Bordelois cuis-je faire tel train ,
« Toute la terre tornera à desclin.
« Dites mon oncle , por Dieu qu'il ne m'oblit ,
« Vengne après moi et Jofrois l'Angevins ,
« A tant de gens com il pouront sofrir.
« A Gironville soit li dus mercredi. »
GARIN LE LOHERAIN. 269
XI.
«es parolles est montés au destrier.
^^^^Va-s'en Rigaus, sans point de l'atargier.
jLa bonne dame li avoit fait chargier
En sa compengne quatorze chevaliers;
Boorges passe et Neuf cliastel sor Chier ' ;
A grans jornées a Rigaus chevauchié.
Deci à Blaives ne fine d'esploiter.
Celle nuit jut chiez le prevost Gautier,
Si fait moût bien la ville aparillier
Les fossés faire et les murs redrecier;
Puis fait semondre et mander estagiers.
XII.
Ij^ui-MAis dirons de Begon le marchis.
*^' P lÔ^*^^'-^^^ servise en fist l'empéreris;
" ^ (Begon en portent au Lohérain Garin.
Ardenne laissent, en Argonnois sunt mis.
En Lohéraine d'autre part sunt guenchis.
De ci à Gordes ne prisrent onques fin
« Neuf chaste/, ou Château-Ntuif , à liuit lieues au-delà
de Bourses.
26o LI ROMANS DE
Une abaïe qui fu del temps aniif ,
Là la fonda des mons d'Auxois Tieris '.
La nuit i jurent; bien furent recoillis ,
La messe chantent si tost com li jors vint,
Puis s'en tornèrent, as chevax se sunt mis;
Bégon emportent qui en la bière gist.
De ci à Mez ne prisrent onques fin :
Le jor, fu feste d'un cors saint bénéi.
Del mostier ist li Lohérains Garins
Avec sa feme la cortoise Aélis ;
Quatrevins dames i ot de moult grant pris,
Toutes vestues et de vair et de gris :
Devant Garin, l'enfes Girbers, ses fils,
Et après lui de daraoisiaus ot vint.
Grans fu la joie qu'on fait devant Garin.
' As eschelettes font le mabre tentira,
Les damoiseles chanter et esbaudir :
Haute est la feste, chascuns la vuet oïr.
» Les chartes de l'abbaye rapportent à l'évéque Gode-
grand , en 749, et non pas au comte Thierri d'Alsace , la
fondation de Gorzes.
2 As eschelettes, aux clocheltes. Les Italiens disent
squilla , et nos Méridionaux squlllo, pour cloche. On
trouve dans les auteurs de la basse latiuité chillœ et es-
chillce pour cloche; les Angevins en gardent encore le
diminutif eschillettes.
GARIN LE LOHERAIN. 261
— « Sainte Marie ! « ce dist li dus Garins,
« Salvez mon cors et trestot mes amis!
« Li cuers me faut, trestoz suis estordis,
« Il m'est avis fouldre doie chaïr.
« Diex ! se c'est bien qui me doie avenir,
'< Donnez-le moi, par la vostre merci,
« Et de toz maus, se toi plaist, m'escremis '. »
— « Biaus sires dus, « dist madame Aélis,
« Car faites crois, par devant vostre vis,
« Que desor vous ne soit maus anemis,
'< Ne jà déables ne vous puisse esbaïr. »
— '< Je lotroi, dame, » ce dist li dus Garins,
Leva sa main , de Dieu signa son vis.
Sos un olive li Loherains s'asist 2,
Moult fu dolens , ne se pot sostenir.
Environ lui ses chevaliers gentis,
Les belles dames qui ont simples les vis.
Il resgarda tôt le ferré chemin ,
Et vit les rotes parmi le pont venir.
Begon aportent qui en la bière gist.
Et dist li dus : « Je voi le gent venir,
• M'escremis , tirez-moi de la crainte de tout malheur,
i Soz un olive, un olivier. Ce mot est souvent pris dans
le même sens :
Bele Emmeios , desoz la verte olive....
(Romancero françois.)
262 LI ROMANS DE
« Estrauge sunt, foi que dois Saint Martin ,
. « Attendons-les , signor, les vos raercis. »
Et cil respondent : « Sire, vostre plaisir! »
A tant , ez-vous le bon abé venir;
Garins le voit, moult doucement li dist :
tt Dont venez-vous, biaus sires, biaus amis? »
— f< De nostre terre » li bons abes a dit ,
« Méusmes-nous, il n'a pas quinze dis. »
— « Ques bonis est-ce qui en la bierre gist ?
« S'il est malades o navrés o ocis? »
Et dist li abbes : « Il vous sera bien dit :
« C'est vostre frères , dus Bègues de Bélin,
!< En la forest Fromont le poestis
« Le vos-a l'en destrenchié et ocis. »
Li dus l'entent, à poi n'enrage vis.
Vint à son frère qui en la bière gist,
Il li derompt le cuir de cerf bouli
Endroit les iex li trencha le samit
Et vit le duc en la bierre gésir,
Les iex troublés et tenebreus le vis.
S'ot les bras roides et le corps afusci.
Li dus le voit , moult en fu esba'is ,
Il chiet pasraéi» ne se pot sostenir.
Au relever sunt enforcié li cri :
■ — « Ha ! sire Bègues, » li Loberains a dit,
/V « Fraus chevaliers , corajeus et hardis !
GARIN LE LOHERAIN. 263
« Fel et an gris contre vos anemis
« Et dois et simples à trestoz vos amis,
« Tant mari fustes, biaus frères, biaus amis.
« Tant as perdu, Girbert, biaus sire fils!
« Terre! car ouvres, si reçois moi, chaitis,
« Ce est domage, se je longement vis. »
Garins se pasme, que ne se pot tenir.
Au relever or oez que il dist :
« Por coi , biaus frères , vos a Fromons ocis ?
« Jà disoit-il qu'il ère nostre amis;
« La pais fu faite devant le roi Pépin.
« Or vos ont mort ! Jà n'en puissent joïr!
« Mais par celui qui le mont establi,
« Ne plaise Dieu qui onques ne menti
« Qu'il en soit fait accordance né fin
« Tant qu'il en soit detrenchiés et ocis. »
L'abes l'oï, moult grant pitié l'en prist :
— «Hé! sires dus, por amour Dieu merci ,
« Ni avoit corpes Fromons li poestis.
« Tenez cest brief que vous mande par mi. »
De lettres sot li Loherains Garins,
Quant fu petis si fu as lettres mis.
Tant que il sot et romant et latin ' ,
Bien vit les lettres et reconnut l'escrit.
' Et romant et latin. La langue maternelle de Garin
était le Tyois ou Allemand.
264 LI ROMANS DE
A mont se dresce quant la parole vit ,
Ses gens apelle, ses a à raison mis :
« Or entendez, li grant et li petit,
« Savez que mande Fromons li poestis*^;
« Qu'il a ciaus pris qui le duc ont ocis,
« Les me rendra por faire mes plaisirs,
« Ardoir ou pendre; lui le convient sofrir.
« Puis jurera vingt fois, à trente, à dis,
« Que ne le voult né ne le consenti
n Né là ne fu où li dus fu ocis.
« Or et argent me donra trop , ce dit,
« Plus que ne pevent porter quinze roncin;
« Dis mile messes fera chanter por li,
« A sains abbés, à moines bénéis,
« Por quoi de l'arme mon frère ait Diex merci.
« S'il me fait ce, je ne le doi haïr.
« Consiliez-moi, franc chevalier gentil. »
Chascuns se tut, nus mos ne respondi,
Fors solement l'enfes Girbers ses fis,
Pfavoit encores que quinze ans acomplis :
— « Pères, » dist-il , « cora estes esbaïs !
« L'on puet bien mettre mençonge en parchemin ,
« Mais, se c'est voirs que Fromons vos a dit,
« Bien est raisons que il soit vostre amis.
I Savez pour sachez.
GARIN LE LOHERAIN. 265
"■ Ou se ce non pourquoi tardons-nos si?
« Tout maintenant allons les assallir.
« Adohez-moi , sires pères Garins ,
« Li cuers me dit, ne vos en quiers mentir,
« Encore arai mestier à mes amis. »
Et dist li pères : « Je l'otroi , sire fils.
« Abbés » dist il , « vous remanrez o mi ;
« Si m'aiderez à gaitier mon ami,
« S'el porterons au chastel de Belin
« Et si verrons la bêle Biatri,
n Ses deux eufans et Hernaut et Gerin ;
« Car je ne doi, sans eus , tel plait baslir. »
Et cil respont: « Sire, à vostre plaisir! »
Cierges manda li Loherains Garins
Et fist les crois et encensiers venir;
Grant luminaire ot environ espris '.
Qui dont véist provaircs revestis',
Clers escoliers les bons sauticrs tenir
Qui les vigiles chantent por le marchis,
Dusqu'al demain que jour fu esclaris.
Begon emportent qui en la bière gist.
Jusqu'à Châlons ne prisrent onqucs fin;
' Espris, enflammé.
' Qui dont, chacun {^(juisqtie cr£c>).
II. 12
266 LI ROMA.NS DE
La nuit hébergent cliez le vasque Henri ,
Il fu lor oncle; moult bel hostel lor fist ,
Del duc Begon ot moult le cuer marri.
Et l'en demain, si tost com li jors vint,
Se resont mis li baron el chemin.
Tant esploitierent li chevalier gentil
Qu'à Meléun le chastel seignori
En sunt venus, encontre l'avesprir.
Devant lor va la très franche Heloïs.
Et à Peviers vinrent au samedi.
Au diemenche, quant il dut avesprir,
En sunt venus à Orliens la fort cit.
Encontre va l'empereres Pépins
Et la roïne cui il estoit cousins.
Il sejornerent tote jor le lundi,
Puis s'entornerent, s'entrent en lor chemin.
Garins chevauche qui le cuer ot hardi,
Begon emportent ; Diex quel dolor a ci!
Passent Gironde au port Saint-Florentin,
Bordelle laissent; à destre sunt guenchi,
Aine nefinèrent, si vindrent à Belin.
Encontre va la bêle Blatris,
Si dui enfant, Hernaudès et Gerins.
Il fut assez qui noveles lor dist
Que mors estoit dus Bègues de Belin;
GARIN LE LOHERAIN. 267
La dame l'ot, à la terre chaï,
Quant se redresce, si a gicté un cri ;
Vint à la bière, si a son signor pris,
Ele li baise et iels et bouce et vis,
Si le rcgrete com jà porrcz oir :
« Tant mari fastes frans chevaliers gentis!
« Dous et loiaus, simples et bien apris !
« Lasse, dolente, que porrai devenir!
« Or verrai-jou csiler mon païs,
« Et s'en iront mi chevalier gentis
« En autres terres autre seigneur servir. »
Dont chiet pasmée, ne s'en pot astenir.
Au redrescier sunt enforcié li cri,
Ele regrete et Hernaut et Gerin :
« Enfant, « fait-elle, « or estes orphenin,
« Mors est li dus qui vos engeuoï.
« Mors est li dus qui vos devoit garir! «
— ' Aiez pais, dame, >- ce dist li dus Garins,
« Foie parole et cuiverte avez dit '.
< Cuiverte, indigne d'une personne de noble race. Culvert
ou cuivert est un adjeclif dont le sens précis est indique
par un passage de la Chanson de Renaud de Montauban.
-C'est la traduction du mot latin liherlus, coUlbertus (d'où
le nom propre Colhert), affranchi. Roland vent insulter
Ogier le Danois, qui n'avait pas livré Renaud à Charle-
niagne :
I. Jamais , par cel apostre que quièrent pèlerin ,
9 68 L[ ROMANS DE
' Por vostro terre qu'avez à maintenir,
« Por vos lignages et vos riches amis,
« Vos reprendra uns chevaliers gentis;
" De vous fera son bon et son plaisir :
<i Mais moi convient le grand dueil maintenir.
" Quant plus aurai et argent et or fin,
« Tant serai-jou plus dolens et marris.
« Mi neveu sunt et Hernaus et Gerins ,
0 Moi en convient les grans guerres souffrir,
« La nuit veiller et lever par matin. >-
— « Grans mercis, oncles, » ce lui dist Hernaudins,
« Diex, que nai-jou \iu haubergeon petit!
« Je vos aidasse contre vos anemis. "
Li dus l'entent, entre ses bras l'a pris,
Il li baisa et la bouche et le vis.
— « Par Dieu , beaus niés , trop par estes hardis !
« Mon frère semblés et de boche et de vis,
« Le riche duc cui Diex fasse merci ! »
A ces paroles, vont le duc enfoïr
Si mauves cerf coart de mère ne nasqui !
Unques de Danemarce ne vis prodome issir.
Fis à putain ! coars ! mauves serf acatis !
l'or quatre deniers l'an ies-tu acnhertit...»
Corne Ogiers l'entendi si est en pies salli ;
— « Rolans , vos i meniez , par Dieu qui toz nos fist.
u Sire ves ci mon gaige, por combatre vers li,
« Que jo ne sui culvert , acatés né conquis.
« Onques li miens liuages à çou ne se tramist. »
(Msc. Lavall., n° Sg.)
GARIN LE LOHKRAIN. 269
A la chapele, par de delà Beiin.
Encor le voient très bien li pèlerin
Qui ont saint Jacque en Galice requis.
A tant ez-vous l'enfes Rigaiis en vint.
Bien semble prince qui grant guerre maintint;
La cote ot courte et le branc d'acier tint ,
Capcl el chief , le blanc hauberc vesti ,
Entre ses poins le roit espié bruni.
Chevaliers ot avoc li seize vint,
Aubelestiers et archiers cent et dis,
Et de serjans à pié i ot bien mil;
Lez lui, Morant, qui fu preus et gentisi.
Tuit li borgois del chastel de Belin
Et les borgoises sont as fenestres mis,
Por esgarder comment Rigaus en vint.
Dist l'uns à l'autre : « Quel chevalier a ci? »
Quant il i entre, tout le chastel empli.
Encontre va li Loherens Garins :
— '< Biaus niés, » dist-il, < bien puissiez-vous venir!
« Bien senblcz home qui doit guerre tenir. »
— « Si sui jou , oncles, je m'en suis entremis.
« Et vos, que faites? par le cors saint Denis!
' ilorant, le jeune frère de Rigaut.
■2-0 LI ROMANS DE
« Jà déussiez estre el cuer del païs. <
— « Niés , » dist li dus, « jou en ai un jour pris '.
« Mesure m'offre Fromons li poestis",
■. Et qui mesure refuse, ce m'est vis,
« Il n'en puet mie , au daerrain , joïr. «
Et dist Rigaus : « Por noient l'avez dit ;
« Que par l'apostre que quierent pèlerin ,
« N'i aront pais tant que je soie vis :
'< Tos les plus coin tes ferai à dueil morir.
I Quant ai perdu mon signor, mon ami,
'( Se nel vengeois, dont serois-jou bonis. »
Et dist li pères : « Escotcs, sire fils,
" Mes sires est li Loherains Garins,
« On ne se doit vers son signor tenir;
« Puis qu'il le vuet et je le vueil ainsi. »>
Rigaus l'otroie, mais ce fut à envis.
II fait fermer le chastel de Bélin ,
Et la Valdoine et mont Esclavorin;
I Jou en ai un Jour pris ,]e suis convenu d'un jour pour
recevoir salisfaclion. Jour se prend souvent dans l'accep-
tion de plaids, assise, consessus judicnm, suivaut Cai-
pentier.
* Mesure, satisfaction , dédommagement. — DuCange,
au mot mensura, a négligé d'enregistrer cette acception;
il a même traduit ce mot par corvée, dans un texte où
peut-être il doit s'enlendre comme ici.
GARIN LE LOHERAIN. 271
De Gironvile fait la tour cnforcir,
Les estagiers en la ville venir.
Et les viandes aporter del païs,
Que pas ne cuident à la guerre fallir.
Non feront-ils, si com je l'ai apris.
Ez-vous Rigaut : '< Par Dieu, sire Garin ,
n Qu'avez-vos fait de Begon de Bélin ? »
— " Biaus niés, » fait-il, «je l'ai en terre mis;
'< A la chapelle qui siet sor le chemin,
'< Là gist li princes cui Diex fasse merci!
« Et deus provoires i ai fait asséir
« Et douer rentes dont se porront garir;
« Si chanteront dusqu'al jor del juïs ,
< Por que de l'ame le duc ait Diex merci. »
Et dist Rigaus : « Me le convient véir;
TI m'est avis que onqucs ne le vi. »
•'" Dusqu'al raostier ne prisrent onques fin :
Le duc ostèrent, fors de terre l'ont mis,
Rigaus li enfes entre ses bras le prist,
Sor lui se pasme, plus le virent de mil,
Là recommence et li dueil et li cris.
D'ileuc enportent la bêle Biatrix
Tote pasmée, dusqu'au palais marbrin.
En un sarcuel qui fu de mabre bis
Cochent le duc, en terre le r'ont mis;
272 LI ROMANS DE GARIN.
Après l'ont fait moût richement covrir;
Un paiie d'Ynde ont desus le cors mis:
La sepolture tote faite à or fin ,
Et par desore ot sa scnblance cscrit.
La lettre dit qu'il ont desor lui mis :
: Ce fu li mieuldres qui sor destrier séist. »
Jet faut Irt fijonson it ta
mort iGcgcn îie jCclin,
bout Dicï ûit et
bc nous
wrer-
fiî
INDEX
DES NOTES ET COMMENTAIRES.
Je me réserve de terminer cette édition des anciennes Chansons
de Geste ou Romans des Douze Pairs, /^«r la Table générale des
matières , et par celle des noms de lieux et de personnes. Mais on
me saura peut-être gré de placer ici l' Index des courtes obser-
vations pltilologiques et géographiques que j'ai jointes au texte
déjà publié du Gaiùn le Lolierain. Cet Index aura l'avantage
d'épargner le temps de ceux qui se livrent au même genre d'étu-
des ; il permettra d'appliquer au sens de plusieurs passages non
éclaircis les notes faites à l'occasion d'autres passages analogues,
et surtout il donnera le moyen de constater rapidement toutes les
lacunes de mon commentaire. Plusieurs fois , dans le second vo-
lume , on lira la réfutation des explications hasardées dans le pre-
mier : je dois la plupart de ces redressements au vif intérêt que
plusieurs philologues ont pris à mon travail , intérêt qui les a
portés à m' envoyer de nombreuses et bonnes observations sur
l'édition de Berte aux grands pies, et sur la première livraison
de Garin le Loherain. Qu'Urne soit ici permis d'exprimer surtout
ma reconnaissance à M. Raynouard , dont les bienveillants con-
seils soutiennent mon courage ; à MM. Pithou , Tastu, Génin,
professeur à Strasbourg, Ferdinand ÎFolf, bibliothécaire de l'em-
pereur à f'ienne, et de Martonne, mon judicieux confrère à la
société des Antiquaires de France.
Tome Premier.
A ces paroles, iSa.
A cliascnn, 174.
A mont de sor li chief, i3i.
A poi n'enrage vis, 3i,
A (|uiiizc moines, .\~.
A tout , 218.
TosiE SlCONI),
A.
A celé, 20 j.
A graiil besoing , 145.
A c|uatrL-vins , 5o.
A tel niurtrier ne doit l'en plait
tenir, 63.
A toi qne tient ? 17.
i:^iii X iJEs xoTr.s
TOMK TlirMIER.
A tuil lor genl , ()7.
A une part , 76 , 157.
Abandonne (de guerre), 81.
Ablette (1'), 272.
Abrivc , 6.
Accoillir, 166.
Acerins , 4.
Aehilles, 107.
Acier sofrir ( ne pot ) , 3 1 .
Acoiutié, i3o.
Acousivit , 29.
Acquérir, 276.
Adoubés ( chevaliers ) , 64 ■
Adurés ( 1' ) , 65.
Aescheri, 120,152,279.
Agait, 174.
Aincores, 214.
Aire (de pute et de bonne), 32.
Aisgue, 32.
Aives (vos), 126.
Aleaume de Ponlis ou Pon-
thieu , 1 5o.
Alcoirs, 169.
Aies (en être) , 74.
Aliaume , 249.
Aliaume li floris , 295.
Allemant (!'), 85, io3, loG.
Aloses (!'), 10 3.
Amant , 22.
Amali , 1 49-
Amiens, 157.
Angevin , 7 , 3o.
Anséis , roi de Cologne , 55.
Anservile , 58.
Antis , 99.
Apiaus ( sonne ) , 1 66.
ApoUis , 3[.
A pou d'ire ne fent , 1 26.
Apparissant, 22.
Appelés , 6.
Arainié, i34.
Tome .Skcojid.
A vous que tient ? 194.
A val un bi ueil llori ,81.
Aati , i44.
Aatir ( s' ) , x66.
Abandon , 90.
Abatéis , 228.
Abrivé , 5o.
Accroistre et norrir, 160.
Aigles, i36.
Ains de nous, 117.
Alemèle ( 1' ) , 36.
Alues saint liertin , 220.
Amenevis , 242.
Amont sallir, 4.
Anti , 16 r.
Apres-germain , 9.
Araine bis , 2o5.
Arcevesque allant à matines, 4.
Arrières, i58.
Atrait ( l'), 207.
Attendié (ne 1') , 226.
Au deseure venir, 149.
Atibri , 25o.
Audegon , 184.
Aus grans batailles les l'ait
llatir, 95.
Avers princes , 148.
Aversier, 227.
Aveuc ,97.
Avez-vous garde , 78.
Et l■.OMMF.^^AlRLS.
Tome Premiet..
Aichededin ( St. ) , 75.
Ardans , 170.
Ardéor ( li ) , i<35.
Aresluel {V) , iSô.
Arme ( T ) , 259.
Armoiries , 253.
Aroiité , 81.
Ars Tricois , 37.
Ars Turquois , 37.
Artu ( le roi) , 2 38.
Aspremont, 247,
Assallir, 2 44-
Asseml)lée des parents de Fro-
ment , 146.
Assenbler , i3, 24.
Assisreut , 1.
Assovir, 245.
A-tant, 17.
Alapiner ( s' ) , 269.
Aube crève ( li ), 219.
Aubelestriers , 376.
Auberi le bourgoing , 5o, 107,
299-
Aucubes , 58.
Au deseiir, i3o.
Aiiner, 140.
Autressi-tels , 5.
Autretant , 10 , 36.
Autretel , 36.
Aulri (Gallerans d') , 274.
Auvi^non , 259.
Avaller d'anqui (s' ) , 277.
Avallois , 83.
Avant , 265.
Avers princes , 239.
B.
Bacon ( maint ) , 2o5.
Baile (le), 23o.
Bailler, i38.
Tome Second.
B.
Bacon ( li ) , 56.
Baigner et refrcschir, 180.
Bailles , 62.
ijG
IWDEX DES NOTES
Tome Premier.
Bailli, I.
P.arnage et son lin ( son ) , 75.
Barons combatlanl leurs amis ,
246.
Barres ( à ces ) , 1 99.
Barril, 178.
Bassigni , an.
Batailles, 11.
Baucent , 6(5.
Baudré, 85.
Bauduinsli Flamans, iGi,i-5.
179-
Baugi , i85, 201.
Beauvais, 162.
Bec , 289.
Behordé , 66.
Belin , 49-
Belleville , 194.
Belliam , 21.
Ber, i3.
Bernart de Naisil , 164.
Berser, 27.
Biais, 188.
Biaugiu, igS, 293.
Biauvoisin (le comte), 162.
Bible (la), 5i.
Bienfais, 7.
Bienfait , 270.
]5ieres ( vint) ,212.
Blaives, 188.
Blancheflor, 226.
Blanzy, 290.
Blaslengier, i3o.
Bobanl, 124.
Bon-abes, 12.
Bonivent , 1 2 5.
Bordelle, 186, 225.
Borgoing ( li ) , io3.
Borroflemens, 126.
Boucle , 36.
Boulongne, 164.
losiE StroD.
Ballier, 241.
Barril , 1 3o.
Baucent , 146.
Bègues en vint , 63.
Bègues parle à son cheval, 2 3o.
Bègues prie en mourant, 239.
Bègues et Garins en Gascogne,
66.
Belle garde ( de ) , 2o5.
Bellement ( or ) , i56.
Berengier d'Aulri, 75.
Bernard ( paroles de ) , 144.
Beinart haï d'Auberi , 48.
Biatris, 211.
Biaus pères, 82.
Bien pert , 49.
Bière ( font une ) , 24 r.
Blancafort, 109.
Bliaut , 127.
Bolir, 83.'
Bore de fors (el) , iSg.
Bordel , i36.
Borges qui appartient Aubri ,
69.
Borgoins ( li ) , 48.
Bouchars , 32.
Breniers , 226.
Bris , 24.
Brouces , 196.
Bruieni , 167.
Buriaus, i8u.
ET COMMENTAIRES.
ÏOME Premier.
Bourbon-Lancéis ( laines de ] ,
192.
Bourgogne (toute), 82.
Boves ( Robert de ) , i63.
Brans acerins , 4.
Bras au col ( les ) , 261.
Bregier ( comme villaiii ) , 1 3 3 .
Breteches , 144.
Brochier, 26.
Broigne, 14.
Bu , i3.
Busines , 11.
c.
Cadeter, 10.
Canlel (en) , 168.
(laorsin, 73.
Car, 29, i5i.
Ce m'est vis , 4.
Cendé , 97.
Chaélons, 45.
Chalengier, i3o.
Challantcorsif , 1.59.
Champagne (Hues de) , 292.
Champagne ( la ) , 264.
(;hanels , 19.
(Chapelet, 298.
Chaplcis, 16.
Chars (les), 197.
C^hase (la ), 207.
Chascment , 123.
Chasser, 265.
Chastel-flori, i88.
Chastel-Monlforl , 60.
(Ihastel de Poissy, 69.
Chasiel-Thieri ("le), i85, 204.
Chastelet de Soissons, 142.
Chasli ( je vous ) , 239.
Chastri, 248.
Ciiateau -Vilain (ceux de), 211.
Tome Second.
Camoussé, 78.
Caors, 116.
Capelain , io3.
Cappelle , 114.
Caries, io3.
Castiei , 60.
Celui, 168.
Cercier les rans, 84.
Chaitis, 17.
Challans corsis , 116.
Chalongier, 5r, 96, 23S.
Chambelin , 252.
Champaigne , 114.
Chaiigéor, it5.
Chappelet, 112.
Charme, 104.
Charroi (sur le) , 117.
Charleriers, 22.
Chartres (cil de) , 77.
Chasé , 34.
Chastel! 58.
Chasioier, 3o.
Chastois (je te) , 160.
Chauces ( mes ) , 80.
Chaudel , 9t.
Chenus ' icni.jiiis) , 5.
2-8
INDEX l>t,S NUITS
J'OME PrEMIï.1'.
Cliatel de Tri , 206.
Chances, 168.
Chaiilin, 147, 201.
Chauvigiion , 141.
Chavés (chemius ), io5.
Chevir, 160.
Chief enclin (le), 79.
Chier (avoir ) , i34.
Choisir, 33, 62, — Quant il
les a choisis, 174.
Ciaus, 198.
Cil, 19, 22, 35, 196. — ■ Cil
les reculleiU , 199.
Gis, i35. Cis autre, 198.
Claré (le), 8r.
Clermont (Henri de), 162,
283.
Clugny, 74.
Coite, 25.
Com belle dame a ci, 299.
Comparroit, 262.
Com vous esla? 148.
Combe, 96.
Commander come son cor, 90.
Communaument, 197.
Compaignon juré, 80.
Compains , 63.
Concueillis , 100.
Conduit, 281.
Confors n'i a meslier, i36.
Conréer, i38.
Conte et en escrit ( en ) , 1S4.
Contre, 3, 56.
Convenans ( perdre ses ) , 61.
Couvent ( par tel ) , 116,288.
Covine , 98.
Coscéir, 239.
Couci ( Anjorant de) , i63.
Cri novel ( un ) , 258.
Croissir , 4 , 69.
Croule , 104.
ToilE SttOND.
Chevaus chiet ( li ) , 176.
Cis, 75.
Coillir les couples , 236.
Col en passe ( le ) , 92.
Commander ( les ) , 190.
Commencier ( au ) , 24 .
Communes ( les ) , 53.
Compcrra (jà), 5r.
Connoit (se il), 27.
Conquis, 70.
Consivit (le), 58.
Contre Vromont , ig4.
Couvent ( avoir en ) , 2 r .
Cordouan, i47.
Corgie, m 3.
Coupe ( la grant ) , 1 5.
Crespi , 255.
Croissant, 116.
Crouler, 5o.
Croûtes, i53.
Cuens palaisins, i83.
Cuer dou ventre ( le ) , 33.
Cui qu'il plaise, 16.
Cuivert , 267.
Cuves ( emplir les ) , 1 46.
ÏOMF. Premier.
CrXicéfis ( verser les) , 144.
Cuer ne puet mentir, 160.
{;ui cliaul ? 9.43.
Ciii que je faille, 53.
Cuvert paulouuicr, i36.
D.
Damage, 28.
Dame-Diex , 2.
Dangier, 282.
Dansel , 271.
Debarelé, 19.
Deflaé, 19.
Deffens (je le ), i23.
Dehait, 209.
Délit, 74.
Déporter (se), 78.
Dcront, 173.
Désafuhié, 297.
Descordent ( se ) , 6.
Desarti, 173.
Deseure se mettre, 142.
Désire ( en ) , 1 56.
Destre et senestre , 14.
Destrier, 3.
De tel gent es naquis, nature
pert , 171.
Deviement, 122.
Devisement ( par tel ) ,
Deviser, 36 , 281.
Dex en penst, 45.
Diex le me doinst deservir,
145.
Dismes, 9, 42, 280.
Disva, 295.
Dois, 264.
Dolor, 268.
Dos li venerres , 188.
Douter du siège , 170.
Drecer contre quelqu'un, 56.
KT COMMENTAIRES.
Tome SECosn.
2:9
D.
Dans, 137.
De ci à quatre mil, 93.
De l'une part, 127.
De son bon prince avoir merci ,
210.
Defubler, 22',.
Del torner ne fu pas conseil
prins, 204.
Délivrer, 212.
Délivrer a us gardes, 34.
Demaine de Guillaume , 174.
Demanois, 243.
Derangier, 164.
Desafublé, 112.
Desarmés, 186.
Desbarretés, 191.
Descendus , 127.
Desconnoitre , 2 56,
Désis ( le ) , 26.
Devant Guillaume est venu ,
201.
Dient Franceis, etc., 209.
Discours de Bègues , 71.
Diva, 23.
Diva, t55.
Dois ( les) , 178.
Dont , 3.
Doon, 86-
Doon commande, 8r.
Dosuoier, 84.
Drecier la bannière, 173.
Droitement , 40.
D'une part, 6.
a8o
INDEX DtS XOTIS
Tome PaewitR.
Draoncics , 89.
Droit ( faire ) , 282.
Drosin (Saint) , 34.
Duel sor dolor, 262.
Duu, 247.
Dusqu'à quinze ans , 238.
E.
Écu , 4.
Eflbrcement , 12 5.
Emmi lieu , 221.
Enarmes , 257.
En cest nosire pais , 100.
Euchaucier, 32.
Encontre aller, 11 5.
Enfers, 87.
En fist (1'), 64.
Engraignier, 273.
En haut parole , si que... 54,
Enlatiué , 97.
En pensez , 267.
Ensangne St.-Denis , 106.
Enseignes de cendal , 58.
Ensemeut corn se l'on la tresisl,
33.
Ensengne au duc Garin ( T ) ,
259.
En sunt dedans l'ost mis, 283.
Entailles , 167.
Enterin , 50.
Enterrer ( une porte ) , 169.
Eiitornent , 120.
Envers, 126.
Euvis, 63.
Erre drecier ( son ) , i37.
Es , 108.
Esauchier , 90.
ILsboele, 38.
Eschauguettes, 20.
Eschec , 21.
l'ov.E .Second.
E.
Enibrunchiés, i3o.
Eu a porté , 193.
En meilleur point , 144.
Eu vint , i5r.
Enbatlu , i36.
Encensiers , 195.
Enclin ( faire parfont ) , 4 3.
Encontre nous s'est mis , iSa.
Endroit la tierce, xy8.
Endroit ( d' ) , 82.
Eufes (H) , t65.
Enfusci , 254.
Engordelis , 1 3o.
Enseigne Saint Denis , lai.
Ensérir (à 1'), 198.
Entre aus , 180.
Entreprins, 193.
Envi (je vos) , 145.
Épée de Coulongne , 3o.
Ernois est vostre ( 1' ) , 194.
Errant, 208.
Esbahi , 46.
Esbaudis, i65.
Esbaudis en l'estor, 172.
Escapins ( chaucié d' ) , 112.
Escharbocle ( 1' ) , 36.
Eschargaite ( 1' ) , '57.
Escheleltes , 260.
Escremis (m'), 261.
Escrins , 218.
Eslai ( faire un) , 147.
Esmaier, 239.
Espérons coupés, i45.
ET COMMENTAIUFS.
9.8 I
Tome Premier.
Eschciis d'argent, 77. ( Voy.
Aescheri.)
Kschevis , 85.
F.schiver, 11.
Escler ( peuples ) , 59.
Esclos ( les ) , 220.
Escolc ( f u misa), 179.
Escrrns, 197.
Escu au col ( 1') , 173.
Escu enluminé , 66.
Esgue , 32.
Eslaisser ( s' ) , 126.
Esmaier (ne t') , iio.
Espces traites , i35.
Essaucié, tg.
E'stain, a'» 4,
P^standart ( mettre par force
à 1'), 38.
Estaublir, 246.
Est-ce dont il , 252.
F.stenois , 244.
Estevoir , 26.
Esleura , 116.
Estor , 76.
Estormir, io5.
Estons, 149.
Estouloiés, i34.
Estral)ort , 292.
Estre (prépos.) , i83.
Estre bien, i5o.
Estrif, 68.
Esve , 32.
Esve (demander 1') , 112.
Es-vos , 28.
Es-vous, 17.
Eves , 19.
Ez , 208.
Ez-les vous , 288.
Tome Seconu.
F.spiel , 3o.
Espouser et d'argent et d'or lin,
69.
Espris , 265.
Esta, 235.
Eslagicrs, 93.
Estelcr, 226.
Estelles, 92.
Estendard, 162.
Estevoir, 20.
Estor esbaudi, 237.
Estordera, 11 3.
Eslrain (1')., i34-
Estre, 208.
Estre sor, 42.
Eslris ( li ) , 52.
Esiroé, 35.
Et je l'otroie , 1 80.
Et vous por quoi .-' 210.
Eure fu bonne (T), 74-
Eus (à), 12.
Eus, iro.
282
ITÎDEX DKS NOTFS
TOMF. PBEMfER.
F.
Faillir, 3i.
Fait-il, 99.
Fauconiîel , fils de Bernard de
Naisil, 233.
Féauté faire, 117.
Fellenesse ost a ci, 117.
Félons, 24.
Ferir corne ber , i3.
Ferrant , 168.
Fervestir, 36.
Feste joïs , 62.
Fi (de), 68.
Fil, 3.
Fin , 5.
Fis , 237, 242.
Flamens ( li ) , 172. — Fla-
mant.
Flandres acquitrent avec Pé-
pin , 70.
Flori (le), 87
Floberge , i63.
Foi (mentir sa), 143.
Folie ( meure en), 87.
Follie ( requérir ) , 214.
Forfais, 44, 68.
Forjurer , 54.
Forment, adv. , 3.
Forrier ( li ) , i65.
Fosses, 10.
Foucher , 290.
Fours et moulins, 7.
France (limites de la), 119,
176.
Franceis, 19.
Frein ( prendre le ) , 23 1 .
Frères, 211.
Froniondin, iSg.
]-romons, 63, 146, i5i, i58,
161. — Fromons de Lens ,
182.
Tome Seco.nd.
Faites-moi bien , 78.
Faiira ( ne ), 43.
Fausser un jugement, 33.
Fel et estons , 160.
Fil de Drocs (li), 177.
Filolage , 212.
Fis, 65, 86.
Floberge, 3o.
Flori , 5o.
Forclose ( à la ) , 172.
Forfaire, 148.
Fors chastiaus perrins , 128.
Fors de céans, lo.
Foucbiers li mainres, 77.
Frait, 35.
Frarin , 97.
Fretelant', 88.
Fromoudin , 188.
Fromont, 173.
Froment assis au chevet de
Bègue, 247-
Fusil , 23i.
Tome r'nEjiitR.
Fiomout (lie la Tour d'Ordre,
frère de Fromont de I.ens,
de Bernard de Naisil , etc.),
164.
Fiiere ( en ) , 272.
G.
Cadres, 168.
Gaite (li), 219.
Gai lier, 91.
Garde (avoir) , 214.
Gari (se tenir à), 34, 266,
299-
Garir, 142, i52, 185,264.
('>arlain ( félonies de ), i3o.
Gart! (bien), 141.
Gandin ( niés ) , 74.
Gauthier d'Hanau , 216.
Gent ( sa ) , 5 , 1 96.
Gésir, 4- — Gésir-ens, 18.
Giberl ( pont ) , 16.
Gieu partir ( un ) , 102.
Girard de Liège , loG.
Girar de Roucillon , 140.
Gircnville , 1S7.
Gite ( droit de ) , i43.
Glouton , 10.
f'rondrecort , 229.
Gordes ( abbaie de ) , 46.
Gornai ( lluon de ) , i6?.
Grans deus, i34.
Grantcj , 2o5, 206.
Grantmont, 188.
Granlpré, 247.
Grant-pré (Henri de), ifiS.
Grenon flori ( o le ) , 87.
Grenons sachier, i3i.
Gresle , 35.
Gris ( le ) , 8.
Guenchir, 16, 155,217.
r.r COMMENTAIRES.
Tome SECo:iD.
îS-î
G.
Gait (partir de son), 159.
Gaite, i58. — Mettre ses gaites,
i58.
Gallerant et Gandin , 32.
Garçon né frarin , 160.
Garçons ( li ) , i32.
Garir, 27.
Garnier de Paris , 23.
Garnis ( être bien ) , 2.
Gau , 121.
Gantiers de Hainaut , 224.
Genevois, i63.
Genvres (de) , 93.
Gerin , 83.
Germaise, 47.
Getez au vin , 99.
Gieu vous pars ( un ), 70.
Gilbert au bras de fer, 74-
Glouton (li), i32.
Gonfanons , 3o.
Grantmont, io5.
Granlpré, 44-
Grenon , 64.
Guenchil ( lor ), 52, 55.
Guerpis ( se) , lor.
Guiclie(la), 232, 242.
Guillaumes , i83.
Guillaumes le Marquis, 83.
284
Ï-VDEX DES XOTF.S
Tome PntMitR.
Gueres, 63.
Giierpir, ir, io5, 277, 286.
Giiier , 84 , 99.
Guillaume de MontcHn, frère
de Lancelin de Verdun ,
264 ,187, 255.
Guirez , 291.
H.
Ham , 277.
Hause, 19S.
Hansle fraile , 273.
Hante, 3o.
Hardie , 44 , 64. — Les fils
H ardre, 186.
Hatier, i32.
Haubergier, 268.
Haubert ireslis , 4.
Heaume , 4.
Hébergié, 84.
Heloïs , 139.
Henri de Bar-le-Duc , 246.
Hérisson ou Hirson , 148.
Héritage ( estie mis en 1'), i5o.
Hernaïs d'Orléans, 107.
Hervi de Lyon , 204.
Hervis ( li vilains) , 187, 188,
190.
Hie ( à) , i35.
Honor, 110.
Horder, 12.
Houdure, 32.
Hues de Cambrésis, 5i.
Hues de Champagne qui Troies
tienl , 292.
Hui-mès, 2, iSg.
lollE SEf.O:îD.
H.
Haslier, 19.
Hauberges, i52.
Haubergié, 219.
Haus bons, 160.
Henri (ai'chevèque de Picitns ) .
I.
Henris ( li capelain ) , 107.
Hervis le feu a mis, 208.
Hervis le vilain , 77.
Hireciés , i53.
Honor, 64.
Honorer les chevaliers genlis .
148.
Hons suis Begon , 76.
Houé , 232.
IT COMMENTAIRES. sS!
loMt PREMrtR. Tome Second.
I.
Icc, 70.
leus rians , 298.
Il est vos bons et de vous doit
tenir, 2 10.
Iliade (traduclion de 1'), 267.
lUuec , ri 5.
Illuecques, 11.
Isnellement, 114.
Isorés le gris ( fils de Faiicou
de BoiiloMgnc), 164, 268.
Issir ( s'en ), 104.
Issir dou pas, 1S9.
Issoiidun, 191.
Isteriez ( n'en ) , 12 5.
J.
Je ne dis mie ainsi, 279.
Jocelins (de Dijon ) , 107.
Joïr, 104.
Jornée (la) , 271.
Justice féodale, 284,287.
K.
Karles, pore de Pépin, 21 3.
L.
La {pour celle de ) , m.
Lagni, 16.
Laidir, Sg, 5\.
Laissier la chambre , 209.
Lanborc, 292.
Lancéis (mes ), 204.
Lancelin , 164.
Langue en boche (n'avoir), îj.
Larges par le pis, 239.
Larris, 92.
Latin (en), 89.
I.
Il n'i a plus , 116.
Issoudiui, io5.
Ist , 229.
Ist ( s'en ) , 5o.
J.
Jà recouvrast , 206.
Je n'el pris , 3o.
Je n'en puis mais, 12 5.
Je ne quiers plus, 211.
Jes , 66.
Jofrois et Gascelins , 198.
Jour pris (jou en ai un), 270.
Juis ( del ) , 144.
l^iiidcDgie , ri 3.
Laidi, 78.
Laidis , 37.
Laissiez ester, i33.
Landri, 86.
Langenerie, 114.
Laniers , 2 35.
Larris ( par les ) , 60.
Lechières , 40.
Lens , 114.
Lices, 169.
iS'j
JNUKX DES NOTIS
Tome Phemier.
Lendemain (à), 287.
Leres, 233.
Les encontre , 220.
Lettres (être mis aus), 5o.
Lever, i38.
Liges (homes ), 112.
Lin , 32 , 75.
Lion bis (au), 253.
Lisses , 20.
Loons, 120.
Lorains ( li ) , 297.
Lorrains (les) , 290.
Los (au ) , 77.
Losangier, 139.
Louer, 116.
Loulre, 264.
Luisir, iio.
Lusignon, 295.
Lutin, 40.
M.
Maçon, 199.
Maint, 36.
Maint en Belliam, 21.
Mais que, 234.
Maistre, 54,
Mal faire , 1 56.
Malgré en ait, 109.
]Manaide, i32.
Mangié avoit, i45.
Maugier ( le ) , 263.
Mar, 102.
Marchiés, 91.
Marie (Thomas de), i63.
Marrir (s'en), 8.
Mastins de la cuisine, i54.
Maillaient, 8.
Menaide, 286.
Mengiers (droit de), 57.
Menois, 11.
Tome Second.
Lievcr, 32 , 33.
Lin, 3.
Liui , 48.
Lioncel bis ( au ) , 120.
Longes garir, 3r.
Los, i4-
M.
Maillier, 207.
Main ( par), i58.
Mais que , 199.
Mal dahé, 46.
Mangier servir, 14.
Mantiaus sebelins , 67.
Marchiés de ÎNIez, 212.
Marmiteus le vis, 112.
Maserin, 79.
Maillaient, 36.
Mauvais moine issu de rabbaye,
IIO.
Menoier, 226.
IMeuuel galopin , 99.
Merir, 120.
Mes , 71, 194.
Mesure, 270.
Mettre avant , 22.
Milon oDcîe de Pcpin , 64.
y.V COMMENTAIRES.
287
ToMt PkEMI£R.
Merveilles {(/ire et oîr), 100.
Mes (subst. ), II.
Mes ( prép. ), 6r.
Mesage (prendre un), 211.
Mesagers, 29').
Mesagier ( féi ir le ) , 2 1 3 .
Meschin , 33, i58, 241.
Mcslicr. (avoir) , n4, 171.
Mettre à force (se), 184.
Meubles des rois, 43.
Mis à raisou, 25.
Moles , 85.
Monstereul, io5
Montciin (Giiillaiirae de), 164.
Montagii , 137.
Montdidier (Garuier de), 162.
Mont-le-heri , i45.
Moutagn , 248.
Mont-Loon, 52.
Mont meliant , i23.
Monts d'Aussai , 292.
Moriaoe, ^3.
Mors les eussent, 39.
Movoii-, i5i.
Muls, 4.
Murs, m.
Musart , 282.
N.
Nager, 227.
Naisil, 227.
Ne porterai mais, 172.
Né que, 283.
Ne t'esmaier, i52.
Neporquant , 3i.
Nés, 12 , 27.
Nés à tout , 85.
Nés une, ii5, 124.
Neuf-chatel, 248.
Ne vous donroie, 12 5.
Tome Second.
Misnie l'cmpcreris , 28.
Monclin , 44 , i34-
Moniaus , 162.
Monnuble , 129.
Monstereul, i34.
Monter, 182.
Monter (faire), 197.
Morant , 269.
Murs, 58 , 146.
jNIustiaus ( les ) , 20 , 99.
N.
Nagierenl , i35.
N'ai encor conseil pris , i5i.
Naisil à quatre lieues de Liiii ,
48. — Conquis par J. Cé-
sar, 53.
Ne^. s'il ne, 25.
Ne me honnir, ii4-
Né n'i ot aive, i53.
Ne fu plus entreprins , 52.
Nef dor ( la ) , ifi.
N'en cbauroit guercs , i53.
288
IN DFX DKS NOTf.S
Tome Premier.
Ni, i3.
N'i a que dei bien contenir,
44-
Nicaise (Saint), i.
O.
O, 24.
Oirre ( aprcster son ) , 1 5G.
Oliphant, 20.
Or est issi, i56.
Ordre (la tour d"), 164.
Orendroit, i5i.
Orfe, 76.
Orguillous (1'), 256.
Oste, 74.
Ostel (descendre à 1'), 121.
Ostex (aller aus), 66,
Palasin , 5i.
Palefroi , 3.
Paoniers , 25 1.
Parmi, i35.
Paroles commencent à
(les), 4.
Part (de soie), 142.
Part (s'en), 220.
Par teiis, 268.
Passons, aSi.
Pechoié, 52.
Pecoier, 277.
Pelisson gris, i5.
Pénéanl , i25.
Pennons , g5.
Tome Second.
N'en verrez aulres , 176.
Nés, 38, 97.
Nés porchascier, i34.
Nés puet-on, etc., 126.
Neuf-Chastel , 25().
Niés, prens la teste, 3;.
Nis , Ht.
Novelles ont , 118.
Nuns d'aus, 193.
O.
o son frère , 256.
Ocis por lor seignor, 88.
Olive , 261.
Ouor ( 1'), 210.
Onques , u3.
Or n'i a plus, 195.
Or niier (d'), 232.
Oiiflame, 121.
Oscuri, 167.
Oslages d'un combat , 26.
P.
Paine i a au tenir, 100.
Pais , 100.
Pais en feront , 77
Palais d'Orléans , 107.
Par de delà a chevaliers assés
192.
Parmi , la.
Par ses espaules, 112.
Parage , 46.
Parmi le cou , 19.
Parsonniers, 235.
Partir entre deux , xoi.
Pas , 59.
Paumée (une), 181.
Pautonniers (uns), 75.
ET COMMENTAIRES.
^89
ToMB Premier.
Penoncel , 36.
Percier chastiaus , iBg.
Perdes, 23 1.
Peronne , 278.
Pers del pais , i5t.
Pertrix, 270.
Peviers., 5o, i33.
Pez (les), 25 1.
Pierepont, 248.
Pinçonart , 40.
Pinçouie , 40.
Pinel , 195.
Pitié, 12.
Plais à tenir? (Est-ce), 286.
Plaisséis, 289.
Plait de noiaut (or a ), 123.
Planéis , 298.
Pièges, 288.
Poignant, 29.
Point, 27, 36.
Pons , 32.
Pont Savari, 69.
Ponthieu , i5o.
Pontis, i5o.
Por Dieu merci , 273.
Por les membres tollir, 90.
Porchascié ( s'est ) , 180.
Postis, 142.
Pour cel signour, 4.
Pour un petit, 27.
Pour assenbler ( por), ir.
Prendre femme sans le congié
du roi, 180.
Prendre fln , 79.
Prest, 9.
Preu , i53.
Prévoires , 5.
Prodons (Il n'est), a 18.
Proier, 184.
Putiin(de), Sa.
Tome Second.
Pecoier, /^5.
Pclisson liermin, 22.
Pelissons hermins , 67.
Peste! , 19.
Piielle ( le bois de ) , 219.
Pirant à esiri , 229.
Plaine terre (de), 119, 147.
Plevir, 49.
Ploviers de Lorraine, 19.
Ploviucr, 228.
Plus qu'iins ai's ne traisist, gS,
Poing destre( lever par le), 33.
Pont de l'espée, 36.
Por corpus Deu , 240.
Por un petit , 37.
Porchasseni ( se ) , gS.
Pois qui a fumé , aaS.
Postis , 49.
Prang l'un (je), 71.
Prenez-ià, saurons tôt assouvi, 7,
Pris (de), 146
Pris ( les ) , 211.
Pris ( ne ), 254.
Prisons, i4i-
lî
29** IXDF.X DES NOTES
ToMK Premier. Tome Secoud.
Qu'a li Flamens , 172.
Qu'à tort, i3t.
Quant tu fus nés s'avoies moût
petit, iSa.
Quatre rois ( li) , 73.
Que, i5.
Que fais-tu, 194.
Quens dou Liège ( 11) , io3.
Quens palais, i53.
Que qu'il parolent , 275.
Qui, 2i3.
Qu'il conduira? 284.
Qui son nez coupe il déserte
son vis, 160.
Quierent, i3o.
Quiers , n.
Qu'il s'en ist fors, i23.
Quis ( tout le monde en cliief ) ,
114.
Quitter le fief, 55.
R.
Raier, 265.
Raison (mettre à ) , aS , 72.
Râler (s'en), 161.
Raoncles, 89.
Recoillir, 91.
Recoillir ( pensez de) , 169.
Règnes , 235.
Régnés (li), 53.
Reliques des Sains ,117.
Remanra por vous (ne ), 173.
Rendre vielle robe , 121.
Rente i métrai, que, etc., i38.
Requis, 173.
Resconsé , 20.
Rescovrer, i33.
Restes , 248.
Quanque, i55.
Que, 4 , 164.
Que ne le voise, 142.
Qiieus palais , i52.
dont véist, 188, 265.
er soir l'agait fist, 166.
est né cist né cil, 82.
le fist , 194.
vous conduit .■' 210.
t ( je le vos ) , II.
te, 70.
R.
Raimes, 225.
Rasotti, 145.
Rebais, 39.
Reflatir (faire) , 141.
Regisoient, 235.
Renge , 94.
Requis (il a ), 79.
Resorli (on le), 207.
Respit, 8.
Respousa, 74.
Ressembler le mastin , 16.
Restraindre, 247.
Riens n'i vaut li covrir, 2 5.
Riens parti, 73.
Rigaut, 81.
Roé, 29.
F.T COMMENTAIRES.
191
lOME Premier.
Rethel, 248.
Retorués , no.
Retournent ( s'en ) , 1 3.
Révélé, 67.
Ribemont, 148.
Riche, 16.
Richement, 274.
Robers, seigneur de Hérisson ,
148.
Roche (Simons de la), 295.
Roche-Caïu (la), 94.
Roial (li), ro3.
Roies ( Hebers de ) , 1 63 , 294.
Roitiaus s'est au grant cisne
prins (li ) , 190.
RoUéis, 23 1.
Romacles (saint) , 270.
Romancort, 228.
Roncin , 3.
Route , 26 , 29.
Rumignè , 249.
S.
S, final, 38.
Sa, 274.
Sachier, 167.
Saigner, 273.
Sains, 12.
Sains (tenir sur un drap les ) ,
ii3,
Sains-Denise , 1 3.
Saint-Marcel, 11.
Saint-Martin ( tête de la ) , 71,
— Li boillans, 177.
Saint-Mihiel , 292.
Saint-Pierre de Troyes , 42.
Saint-Pol, 12.
Saint-Quentin ( mostier de ) ,
147.
Saint -Vincent (le pui), 84.
Tome Second.
Roiaus (les), 5o.
Romant et latin (et), 263.
Ronciii , 67.
Rouge vermeille, 111.
Route (en lor) , 67.
Routes , 149.
Sacha, 17.
Sachier, 84.
S'affiche, 4i.
Sagement , 38.
Saint-Denis (Feste de) , 42.
Saint-Ladre, 45.
Saint-Magloire (Eglise de) , 5,
Saint-Seurin, 69, i56.
Saint- Vincent, 11 5.
Saint-Croix (église de) , 106.
Salerne (mires de) , 89.
Sallir à mont, 4.
S'amer comme loial voisin, 44.
Sanbelet (un ), 228.
Sarrasins, S-j, 199.
Savés, 264.
Scelés (écrits), n5.
292
INDEX DES NOTES
ToM£ Premier.
Saint- Vincent (monastère Je) ,
i37.
Saisne , 88.
Sallemons (de Bretagne), lo;,
i88.
Sambuc, 298.
Sarrasin , 88.
S'atendent, i5.
S'avoit aie, 174.
Sculptures des tombeaux, 261.
Se ce non, 5.
Secours vois querre, 54.
Se Diex n'en pense, gS.
Se il vient à plaisir, 2 85.
Séjour , 80.
S'en, 86.
Séné (le), 85.
S'en ist, 178.
Sens cuide des ver ( le ) , 27.
S'en va , 220.
Seoir devant el chief , 252.
Se povoir tenir, 77.
Ses a, 279.
Ses linages , 140.
Séur ( en faire ), 57.
S'eust, 279.
Sevrer, 18.
Si con , 104.
Si cont mie, i83.
Siet bien (elle), 143.
Sissons (cliastelet de), 142.
— (fief de), 1 53. — (plaids
de), 212.
Soffrir, 2, 87, 191, 222.
Soie, 19.
Soudoiersj i83.
Soure 11 , i3i.
Tome Second.
Se ce non, etc., 9,
Sebelin (mantel), 23.
Seine trespasse, 39.
Sercliier, 22.
Serchier la forest, 242.
S'es, 124.
S'es accordez , 3 1 .
Si, 20.
Si bailli , 57.
Si com li ruis d'une fontaine
vient, 226.
Si emplir, 5g.
Si fais, 24.
Si li est prest, 9.
Si m'aist Dieu , 40.
Si va de guerre, i5o.
Signor de Chauni ( li ) , 86.
S'il n'est prodons, 180.
Sofrir, 12.
S'offrir, 29.
Soie (la), 69, 86.
Soliers, iSg.
Son enfant, 159.
Sor les espaules , 68.
Sore lor court, 95.
Sortnenter son rang , 168.
Soure, 240.
Sous de Poitevins, 100.
Sovieut, 37.
Sovin, 75.
Soz son mantel hermin , 68.
Suet, 243.
Surprises dans les églises, 184.
ET COMMENTAIRES. îgS
Tome Premier. Iome Second.
Tabours sonent (les), 39.
Talent, i3.
Tant ,
Tenir à vilouie, 145.
Tant mar i fusles, 261.
Tele genl a ici , 238.
Tenir, 276.
Tenir son lieu (vouloir) . i83.
Tenir une ville , i44-
Tenser, 197.
Tertre avale ( le ) , 137.
Thieri , 99.
Thouars ( li vis quens de ) ,
275.
Tierce (la) , 178.
Tirant, i3.
Toi (n, d. 1. ), 184.
Tombe de Charles Martel, 43.
Torner ( faire ) , 26.
Tornez plus (Ne), 221.
Trais ( n'i a mestier ) , 2 33.
Tramettre, 74.
Tré, 97.
Tref, 22.
Très, 23.
Treslis, 4.
Treslout le pas , 218.
Troies , 292.
Trova riens ( n y ), 219.
Troyes, 2 3.
Vaillant un esperon , aS.
Vair et le gris (le), 8.
Val-de-Morin , 290.
Valentin, 226.
T.
Talens, 220.
Tant mari fastes. 248.
Tant me duel, i5o.
Témoignages ( véracité des ) ,
ir.
Tempier, 243.
Tenir à ses serjans (se), 172.
Tenir de quelqu'un , 18.
Tenir vers son signor, 195.
Terrer, 126.
Tes, ï55.
Tesée, 187.
Thierri d'Ardennes , i3.
Tierce (la), 35.
Tor de Bordelle ( la grant ) ,
i36,
Tornoi (le) , 149.
Tornois tôt ensemble mis, i65.
Tornuere, i63.
Tos dis, 160.
Tos sens , 55.
Touchiés, 238.
Traiez (ne), 55.
Traïn, 88.
Traïson ( de ) , 3 1 .
Tramet ( il s'en), 197.
Tresces et baus, 196.
Trésor a ci ( molt bel ) , 56.
Trésors (mes), 90.
Tressauter la table, 16.
Trestuit, 164.
Troi barons (les), 178.
V.
Vair de Valfondrée, 186.
Vair et le gris (avoir le), 179.
Val Saint-Dié , 72.
Valentin , 222.
2 94
INDEX DES NOTES El COMMENTAIRES.
Yse , 94.
Tome Premier.
Tome Secohd.
Val parfonde, 73, 96.
Vallès (de), 146.
Val-Rinel, 228.
Vasselage, 12 5.
Vanduel, 216.
Vaucel, 120.
Vassal, i4, 49-
Veiller, i56.
Vaucel , 171.
Ventailie, 171.
Véir, 170.
Vergier du roi , îg.
Veuéor ( le ) , 99.
Vertu , 239.
Venir aus huis, i32.
Veves, 34.
Venlaille (la), 168.
Viandes, 45.
Verdun ( l'évéque de ) , 46 ,
Vicoigne, 219.
164 ; frère de Guillaume de
Vierge pucelle, 36.
Montclin.
Vin (après lel, 166.
Vespres , 20.
Vis, 36, 95.'
Vianne, 91.
Vissiers, r35.
Viel et li raeschin ( li). Sa.
Viteri, 48.
Villes, 289.
Vois ( le ) ,
Villes (les bonnes) , 166.
Vous en tenrés, 195.
Vis ( visage ) , 5.
Vousures, 68.
— (vivant), i52.
Voutis, 94.
Vit , vixtt ( que ces hons ) ,
Voyage de Pépin en Gascogne,
284.
65.
Voire, i.
Voit r Harnais , i34.
Voleuléis, 270.
Vous me donna , 207.
Vuis ( chevaus tos ) , Sg.
1
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Université d'Ottawa
Échéance
i
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University of Ottawa
Date Due
CE
â39003 0021321420b
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